A défaut de Constitution, on se chamaille. La situation à l'Assemblée constituante ressemble à ces vieux couples abîmés de vieux fiancés. Le constituant Mongi Rahoui a été à l'origine, avant-hier, d'une levée de boucliers en évoquant les augmentations des primes que les constituants se sont autoconsentis. On en est arrivé aux invectives en bonne et due forme, à la bonne franquette. En fait, la situation à l'Assemblée constituante empire au fil des jours. C'est un peu la guerre de tous contre tous. Avec l'imminence de la dernière ligne droite en vue des prochaines élections, c'est le grand branle-bas. Chacun affûte ses couteaux, s'avise de réorganiser le ban et l'arrière-ban, conçoit de nouveaux positionnements, de nouvelles alliances. Dans tous les cas de figure, ou presque, seules les considérations électoralistes l'emportent. Cela confère à notre scène politique cette allure de puzzle inachevé sur fond de desseins inavoués. Le dialogue national organisé par la présidence de la République en dit long sur l'étendue des dissensions au sein des mêmes familles politiques. Qu'on en juge : le parti Ennahdha a de tout temps affiché une hostilité non feinte à l'endroit de Nida Tounes et du parti el Moubadara. A l'entendre, ce seraient des transfuges du RCD dissous qui devraient répondre de leur forfaiture en vertu de la loi dite d'immunisation de la révolution. Ce qui ne l'empêche pas de s'associer avec eux au débat chapeauté par la présidence de la République. De son côté, Nida Tounes s'est empressé de participer audit dialogue tout en annonçant qu'il le fait par souci de ne pas céder au syndrome des chaises vides. Entre-temps, il se retrouve en porte-à-faux de ses deux principaux alliés de l'Union pour la Tunisie, le parti al-Joumhouri et al-Massar. Le premier est un zélé défenseur du dialogue qu'il semble diligenter avec verve. Le second a tout simplement décidé de boycotter le dialogue pour fidélité au dialogue précédent organisé sous la férule de l'Ugtt en octobre 2012. Ce dernier est boycotté par Ennahdha et le CPR, deux formations de la Troïka gouvernante. Lesquels disent envisager de faire participer l'Ugtt à leur propre dialogue ! Quant à l'autre formation de la Troïka, Ettakatol, il participe du bout des lèvres. Son plus haut dirigeant, M. Mustapha Ben Jaâfar, a déclaré qu'il ne saurait concevoir de dialogue national non chapeauté par l'Assemblée constituante. Moralité de l'histoire, tout le monde participe ou se désolidarise en vertu de considérations propres à rebrousse-poil de ses alliances affichées sur la scène politique. C'est un cas d'école. Une espèce de manuel de ce qu'il ne faut pas faire. Jusque-là, le Front populaire semble tirer son épingle du jeu en campant l'attitude dénonciatrice du tous pourris. En toile de fond de ce mélange des genres, il y a l'absence de programmes, une attitude que se partagent tous les protagonistes le plus démocratiquement du monde. Çà et là, on s'en tient à de généreuses professions de foi. Ce qui autorise tous les dérapages, tous les écarts. Tous les reniements aussi. Tant qu'à ne pas être ligotés par des programmes clairs, nets et précis, autant se dilater sur toutes les aires de positionnement possibles, en long et en large. Et de travers au besoin. Le citoyen, lui, regarde. Médusé. Il n'y pige plus rien. La grille de lecture lui échappe. Le non-dit et la simulation en rajoutent à sa détresse. Il semble enclin lui aussi à camper l'attitude du tous pourris. Au grand bonheur des populistes de tout acabit. Qui se préparent aux bonnes moissons électorales.