On ne voudra pas s'enfoncer dans la mélancolie, mais une plongée dans certaines œuvres ravivera en nous un espoir lucide «Voilà, je meurs en sachant qu'on me lit et que, probablement, on me lira encore un peu dans un an, dans dix ans, dans un siècle ! », avait dit Jules Verne. Qu'il se rassure ! Ses livres n'ont pas vieilli. C'est incroyable, cette fascination qui se prolonge bien au-delà de son « Voyage au centre de la Terre », cet engouement qui s'obstine en relisant « Vingt mille lieues sous les mers ». Que ne citons-nous pas Zola et les personnages de « Germinal », symboles d'exploitation de l'homme par l'homme ! Opposons-nous la vie aux livres ? Impossible ! Ils en font partie et, pour les défendre, des lecteurs, des écrivains-lecteurs, tels Montaigne, ce « libraire » dans l'âme qui fit de sa tour « un endroit parfait », le centre de son univers : « Les livres sont rangés sur cinq colonnes qui courent le long des murs, mes jours se passent au milieu d'eux ; tantôt l'un, tantôt l'autre, je les feuillette un peu comme ils se présentent, sans ordre et sans dessein, plus pour nourrir la réflexion que pour traiter un objet particulier ». Montaigne est un homme de la belle littérature tout comme Sagan de la fiction sensible. Ce goût du livre est très présent dans « Bonjour tristesse ». Reprenez sa première phrase : « Sur ce sentiment inconnu, dont l'ennui, la douceur m'obsède, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse ». Insolence, grâce et cette manière si précoce de porter sur le monde des yeux de soie ! Ce maigre roman n'a pas vieilli non plus. La littérature peut tout La littérature est une passion. Curieuse, faut-il bien en convenir. Ces mots que les écrivains tracent sur du papier, inventent pour glorifier des sentiments, des émotions, des souvenirs, des vies, des illusions, des absences, des rêves, des déceptions, des trahisons, des amours, faut-il leur accorder de l'importance ? Faut-il des mots pour se les rappeler ? Absolument ! La littérature est, en effet, imparable. Elle peut tout. Plus que la thésaurisation des connaissances, c'est l'exception de la « chose écrite » ou de l'originalité du moindre vers qui nous passionnent. En voici la preuve dans « Des gens très bien » (Prix des lecteurs 2012, éd. Grasset). Alexandre Jardin écrit : «Ouaknin s'empare de mon texte, passe gaillardement sur le corps de mes certitudes, les culbute, dégomme mes points finaux pour en faire des points d'interrogation. Et dynamite ses questionnements ! (...) Il a l'odeur de la joie et le sourire d'un nouveau-né ; ou plutôt d'un type occupé à naître. Et non à se perpétuer ou à ruminer des croyances. Le zigzag semble sa spontanéité, le looping intellectuel son habitude (...) Il gifle le XVIIe siècle, apostrophe les vivants, interpelle les pas encore-nés, rit de bon cœur avec les déjà-morts » ! Cavalcade des mots. Lissage du vocabulaire. Précision du trait. C'est de cette façon qu'Alexandre Jardin règle ses comptes avec sa famille, des gens très bien. On ne s'improvise pas écrivain ! Jim Harrison dit Big Jim, chantre de la nature et de la littérature américaine, s'exile, lui, comme ses héros, dans les décors lyriques des grandes plaines pour dire la beauté de notre Terre. Du Michigan ou du Montana en particulier : « J'ai trouvé un bon coin sur une pâture à flanc de colline et je me suis installé sur un gros rocher qui surplombait le Mississippi chargé de glace. Il faisait assez chaud pour rester confortablement assis sur mon rocher, et je me suis rappelé un professeur d'histoire merveilleusement cynique qui insistait sur le fait que, lors de notre arrivée en Amérique, nous découvrions sans cesse des choses, par exemple les sources du Mississippi, que les Autochtones connaissaient déjà depuis belle lurette... » («De Marquette à Veracruz», Christian Bourgois éditeur). Prurit des mots Avions-nous caché livre et lampe sous les draps ! Avions-nous ramassé feuilles mortes et vieux papiers qui traînaient, tourbillonnaient, autant en emporte le vent ! Un réflexe, une sorte de prurit des mots, un état de manque, manque justement de phrases pour oublier cette basse époque, fertile en violences et en vilenies, guère heureuse, qui nous donne chaque jour une idée bien précise de ce que certains hommes sont capables de faire à d'autres hommes. Ce sont les mots qui nous hissent au-dessus de ce que l'on appelle la « nature humaine ». Ils sont le reflet de l'âme, une révélation du monde pour mieux l'aimer, un trompe-l'œil pour éviter le délabrement des choses quotidiennes. La vraie vie, en somme. Le temps que l'humanité, endormie sur ses démons, recouvre sa lucidité. Toute sa lucidité. En attendant , nous irons bien faire un tour du côté de « Samarcande » d'Amin Maalouf : (...) « C'est parce que des hommes comme toi se détournent de la politique que nous sommes si mal gouvernés...Les qualités qu'il faut pour gouverner ne sont pas celles qu'il faut pour accéder au pouvoir. Pour bien gérer les affaires, il faut s'oublier, ne s'intéresser qu'aux autres, surtout aux plus malheureux ; pour arriver au pouvoir, il faut être le plus avide des hommes, ne penser qu'à soi-même, être prêt à écraser ses plus proches amis... » Flâner en compagnie d'Amin Maalouf, c'est l'Orient, les cités envoûtantes d'Asie, la Route de la soie et la prose souple, chaude, veloutée de l'auteur qui nous transportent, nous ravissent. Lisez-le, relisez-le pour mieux bâillonner la furie langagière et le babil déboussolant des rues et d'ailleurs. Flâner parmi ces livres-là et bien plus, c'est s'emparer de tous les écrivains, philosophes, poètes, peintres, musiciens, par petites touches pointillistes. Et pour ceux qui aiment la fée Littérature, c'est une flânerie obligée. Ce sont les livres de la vie quand la vie se souvient des histoires qui en entraînent beaucoup d'autres et que l'on pourrait aisément confondre à notre propre vie.