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«La République des castors »
Analyse critique de l'article 38 de la Constitution
Publié dans La Presse de Tunisie le 13 - 01 - 2014


Par Jamil SAYAH
«La République des castors», tel est le titre d'un ouvrage que Montesquieu avait l'intention de consacrer aux institutions vénitiennes. L'auteur de «L'Esprit des lois» entendait, sans doute, analyser les raisons qui ont provoqué la fin tragique de l'une des républiques les plus prospères et les plus attractives en Europe à son époque.
En effet, quand Venise «ville ouverte», tendue vers la mer, vouée au commerce et donc à la connaissance et à l'échange avec les peuples et civilisations, s'est enfermée sur elle-même en cultivant un entre-soi identitaire étriqué, elle n'a pu éviter sa chute. Le projet de faire inscrire définitivement dans la Constitution «.... l'enracinement de son identité arabo-musulmane ainsi que l'ancrage et le soutien de la langue arabe et la généralisation de son utilisation» est un processus mortifère. Il en résultera inévitablement une marque d'obsolescence, sinon la mort (du savoir) proprement dite.
Personne ne peut raisonnablement souhaiter le «déracinement» de la culture arabo-musulmane dont la fluidité de la transmission ne semble souffrir, dans notre société, d'aucun obstacle. Mais il n'est pas pour autant acceptable d'enfermer l'acquisition du Savoir dans un sarcophage identitaire. Les Tunisiens ne doivent et ne peuvent se satisfaire d'un débat tranché une fois pour toutes en faveur d'une conception identitaire aux vertus totalisantes et pathologiques.
1° L'article 38 ou la maladie identitaire
Il est peu de mots ou de concepts dont le contenu soit aussi discuté que celui du mot «identité». Si Balzac écrivit que «l'identité veut dire lien», pour Adorno et d'autres auteurs l'idée qu'exprime le mot identité n'est pas celle de relier, mais celle de recueillir, d'établir un paradigme de la vérité comme certitude. C'est aussi renvoyer, d'une façon plus ou moins voilée, à l'idée de nature, et plus précisément de race. Donc forcément et assez souvent au rejet de l'altérité. Tout comme le phénomène identitaire est ambigu, l'étymologie du mot « identité » l'est encore plus.
De ce point de vue, les autres cultures sont souvent définies par le groupe racisant comme différent de par leurs langues, leurs religions, leurs nations, leurs histoires et ces différences, irréductibles, constitueraient une telle menace pour «leur» identité qu'elles exigent en retour des discours et des pratiques ségrégationnistes, d'expulsion ou de destruction. Un paradoxe est ici que la volonté de défendre son identité peut tendre à construire de manière imaginaire la différence qu'elle dénonce, rejetant les autres expressions culturelles pour cette différence lorsqu'elle est non pas forte et visible, mais faible, voire nulle. Il s'agit le plus souvent de construire un autrui imaginaire, falsifié, en lui octroyant des traits susceptibles de ne présenter aucune utilité.
Dès lors, cet article 38 est dangereux car, d'une part, il se veut pourvoyeur d'une conception de l'identité qui cherche à assurer la médiation entre l'individu et le monde, contrôlant ses expressions et ses besoins, ses aspirations et ses intérêts et remplissant la fonction de «totalisation» groupale, puisqu'une telle identité s'imposait comme autosuffisante. Point de discussion. D'autre part, sa formulation défensive est empreinte d'un relativisme culturel hostile à la diversité, l'appel à «l'identité arabo-musulmane...», quand il ne tend pas à devenir nostalgique ou incantatoire, risque de devenir purement répressif et inconciliable avec la modernité. Bref, il n'est qu'un rafistolage d'un modèle périmé dont la pratique a été violemment rejetée par les Tunisiens: l'autoritarisme .
Enfin, cette disposition constitutionnelle est une atteinte énorme au droit des Tunisiens à disposer librement de leur identité. C'est un mensonge que de faire croire que l'identité culturelle est monolithique et surtout immuable. Elle est au contraire relative et changeante, objective et largement subjective, au point qu'il vaudrait mieux parler de sentiment de l'identité culturelle que de l'identité culturelle en soi. Être arabo-musulman, Français, Allemand ou Russe est une manière de se saisir soi-même, de se définir par rapport à une tradition et une situation culturelle, mais cette relation à soi-même et à ses données est changeante. Le Tunisien d'aujourd'hui n'est point celui de demain, comme il n'est pas celui d'hier. Le sentiment d'appartenance peut varier chez un même individu au cours de sa courte vie. On peut s'éloigner et s'approcher de sa communauté, les crises le montrent aisément. Chacun confirme, consolide librement son appartenance à sa manière. Il est évident que la religion constitue une part non négligeable dans cette construction, mais on ne saurait exiger de chacun qu'il y réduise sa philosophie, sa conduite et surtout son éducation et celle de ses enfants.
Ainsi, par voie constitutionnelle, vouloir assigner à résidence identitaire tout un peuple sous prétexte de chercher à défendre son identité constitue non seulement une aberration historique, mais surtout une faute politique. Au contraire, c'est un aveu explicite de faiblesse. Il faudrait peut-être que nos constituants ou ceux qui ont voté cet article arrivent à voir que la variabilité n'est pas uniquement signe de fragilité, mais l'un des caractères principaux du lien social et culturel. Une culture fermée sur elle-même, qui insiste sur la permanence et sur la pureté est une culture qui va mal et qui n'a plus confiance en elle, ni en son rayonnement. Et ce n'est, malheureusement pas par un article dans une constitution qu'on va rendre à la culture arabo-musulmane sa splendeur d'antan. N'en déplaise à nos excités de la norme, l'identité culturelle est une équation dynamique où se combinent inextricablement des éléments plus ou moins stables et des éléments changeants et relativement imprévisibles. Donc, si on veut efficacement défendre notre identité arabo-musulmane, il faut en faire un élément indissociable de l'Universel. Ce que, malheureusement, l'article 38 ne le laisse point supposer.
II° L'article 38 ou le rejet de l'universel
En réalité, derrière la manie récurrente des lamentations sur notre splendide histoire et les malheurs de nos valeurs agressées, se cache un très réel enjeu de récupération conservatrice « d'être Tunisien aujourd'hui». Ce concept semble inéluctablement porté par une volonté explicite de se dissocier de l'universel. Les lecteurs de l'article 38 peuvent en juger sur pièce. Il n'illustre nullement une position exceptionnelle ou marginale, il revendique hautement un relativisme culturel assumé. Il exprime une conception idéologique (dogmatique) qui veut que l'universel doit être pourchassé comme l'une de ces idées creuses qui ont trop longtemps entretenu religion et métaphysique.
Nous ne pouvons faire confiance qu'à nos idées, celles au fond qui nous donnent l'illusion de maintenir vivant notre groupe culturel. Toute ouverture qui irait au-delà serait porteuse de danger et d'incohérence mortelle. Il faut donc savoir opérer «un tri idéologique» entre les valeurs que nous acceptons et celles que nous rejetons sans ménagement. Et rejeter surtout celles qui perturbent nos certitudes : l'égalité entre les êtres, la liberté d'expression, la liberté de conscience..., bref, renoncer une part importante aux droits universels. A cet égard, on ne peut que s'inquiéter de la vogue qui consiste à caricaturer la référence aux droits de l'Homme en en parlant comme d'un «droit-de-l'hommisme».
Or s'ouvrir à l'universel signifie que l'on pressent que l'un a besoin de l'autre, que chacun ne peut pas et ne doit pas considérer son petit univers comme le seul satisfaisant, donc qu'il ne peut pas se passer d'autrui qu'autrui ne le peut. Ou encore on manquerait à la compréhension de soi si l'on tenait qu'autrui, si différent et étrange soit-il, venait à manquer. En ce sens personne ne peut se comprendre en sa singularité la plus singulière sans la référence à l'universel. Il est le souci d'autrui parce qu'il est aussi le souci de soi. Personne ne peut ni se comprendre ni vivre sans le souci de notre commune humanité. C'est grâce aux autres (et ce qu'ils nous ont légué en matière de tradition, de culture, de patrimoine commun...) que chacun parvient à se comprendre soi-même, à voir plus loin que son cercle groupal donc à s'ouvrir à une pleine humanité. C'est de cela qu'est porteuse la culture de l'universel.
Si l'axe idéologique autour duquel tourne notre Constitution se trouve dans la liberté humaine et dans le sujet à respecter en tant que tel (ainsi que Kant l'a fort bien démontré), on voit bien à quel point cet article 38 est un contresens et une facilité aux conséquences redoutables. Le repli identitaire (sur le nous), tel qu'il le prône, témoigne non seulement d'une courte vue quant aux problèmes lancinants de l'humanité actuelle, mais aussi d'une idéologie du quant à soi contradictoire aux idées que les Tunisiens ont porté en se révoltant contre la dictature.
Où se trouve la sagesse ? Il est clair que la crispation sur le relativisme culturel mène à la sclérose et ne permet guère de se défendre contre l'incessante richesse de l'universel. L'enfermement est confortable et rassurant, mais il est porteur d'un danger fatal : se déconnecter de la marche de l'histoire. Car l'oubli ou le mépris de l'universel risque bien de nous détourner du sens de l'ancrage dans notre propre histoire, qui elle-même n'est qu'une part de l'histoire de l'humanité. La sagesse serait donc de retirer cet article. A défaut, il appartient aux Tunisiens de faire entendre à ceux qui auront pensé que l'universel n'est pas fait pour eux, qu'ils sont le peuple le plus ouvert sur le monde et sur l'humanité et cela a toujours été (depuis la nuit des temps) sa matrice identitaire. Et ce n'est point une fiction juridique qui va la lui enlever.
J.S.


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