«Toutes les peines sont permises, toutes les peines sont conseillées ; il n'est que d'aimer» «Le futur intérieur», Françoise Leroy On a tellement parlé de « La Liste de mes envies » que, par curiosité et en ce début d'année, nous avons voulu comparer les nôtres avec celles de la narratrice qui se décrit d'emblée et sans aucune complaisance comme une femme ordinaire, menant une vie tout à fait ordinaire , mais ayant un cerveau empli par des rêves. Elle découvrira plus tard que ses rêves coïncident avec ce qu'elle vit et que la déception n'est jamais loin de l'illumination. Elle se rêvait styliste à vingt ans, rêvait du même coup de Solal, le prince pas si charmant de «Belle du Seigneur» d'Albert Cohen, et des acteurs américains. Elle aime aussi les mots, les phrases longues et «les soupirs qui s'éternisent» : «J'aime bien quand les mots cachent parfois ce qu'ils disent». A quarante-sept ans, elle découvre que sa vie n'a pas la «grâce parfaite» que sa maman lui souhaitait le soir, en lui murmurant : «Tu as du talent Jo, tu es intelligente, tu auras une jolie vie». N'anticipons pas. Notre narratrice s'appelle Jocelyne, n'est pas jolie, n'a pas les yeux bleus « dans lesquels les hommes se contemplent, dans lesquels ils ont envie de se noyer pour qu'on plonge les sauver », n'est même pas mince, elle est grassouillette, quelconque. Jo épouse Jocelyn —une chan Divines, les femmes ce sur des millions—, qui lui susurre en la voyant pour la première fois qu'elle est belle. Elle sait qu'il lui ment, décide de faire un accroc dans la soie de ses rêves en acceptant la petitesse d'une existence qui se profile déjà. Ne lui dit-il pas «t'es gentille toi Jo, t'es une bonne petite» et elle de fondre de tendresse : «La finesse, la légèreté, la subtilité des mots, il ne connaît pas bien. Il préfère les résumés aux raisonnements, les images aux légendes et les épisodes de Colombo «parce que dès le début, on connaissait les assassins», tout comme les opéras où l'on meurt en chantant. On perd la tête ! La vie passe dans la monotonie la plus crasse. Entre la mercerie, la bien-nommée «dixdoigtsd'or» - cela ne s'invente pas -, les clientes qui papotent, le manque lancinant de ses enfants partis vivre leur propre vie, les désillusions cruelles et l'ennui, Jocelyne laisse couler les vagues à l'âme des femmes qui attendent, des Pénélope qui aimeraient juste avoir la chance de décider de leur vie, «le plus grand cadeau qui puisse leur être fait». Jo découvre qu'à quarante-sept ans, elle n'a pas décidé de sa vie ; elle en est , néanmoins et tout compte fait , satisfaite. Va-t-elle rester mercière toute sa vie ? «T'a pas envie d'autre chose ?», lui demande , un jour, son amie Danièle. Alors, elle fonce, achète un bulletin de l'Euro Millions, une envie comme ça... Et , contre toute attente, elle gagne. Une chance sur soixante-seize millions ! Dix-huit millions d'euros plus tard et quelques centimes, elle aura la certitude qu'aucune somme d'argent, jamais, ne vaudrait de perdre un quotidien , somme toute acceptable, et «l'amour avec un grand A, notre rêve à toutes ». Le chèque, le Graal, en poche, elle réalisera la vanité des choses, à ce que l'argent ne répare jamais, «à ce que maman n'a pas eu, dont elle rêvait et que je pourrais lui offrir désormais». N'est-elle pas riche maintenant ? Ne va-t-elle pas pouvoir acheter ce qu'elle veut et faire des cadeaux et se méfier parce que, «quand on a de l'argent, soudain, on vous aime, on vous demande en mariage, on vous envoie des poèmes, des lettres d'amour, des lettres de haine, on vous demande de l'argent pour soigner la leucémie d'une petite fille qui s'appelle Jocelyne , comme vous... ». Les doutes s'installent. Elle se tait, elle cache le chèque sous la semelle intérieure d'une vieille chaussure. Et dresse la liste de ses besoins : une lampe, un porte-manteau, des poêles, un micro-ondes, un presse-légumes, un couteau pour le pain... Une flaque de lumière Dans sa tête, elle ne se sent pas riche. Elle possède juste la tentation. Une autre vie possible. Une nouvelle maison. Une nouvelle télévision. Plein de choses nouvelles et une liste de ses envies, de ses folies : «Arrêter la mercerie et reprendre des études de stylisme, une Porsche Cayenne...». Tout au long de cette lecture, on se demande ce qu'elle va faire Que va-t-elle devenir ? Ses enfants voudraient-ils leur part ? Son mari l'empoisonner ? La convoitise ne brûle-t-elle pas tout sur son passage ? Va-t-elle dévaliser les boutiques, se déplacer en limousine ? Oui et non et pas avec tous les siens. Elle va s'abandonner aux délices de la sagesse et de l'oubli après avoir digéré la trahison de son mari : «Voilà pourquoi j'avais tu l'incroyable. Retenu l'hystérie( ...) Réaliser les rêves des autres, c'était prendre le risque de les détruire». Elle comprendra surtout que nos besoins sont nos petits rêves quotidiens : «Ce sont nos petites choses à faire, qui nous projettent à demain, à après-demain, dans le futur ; ces petits riens qu'on achètera la semaine prochaine et qui nous permettent de penser que la semaine prochaine, on sera encore vivants». Après la déception, après son errance et ses secrets, elle rôdera sans une fausse note et avec une agilité de cœur et d'esprit au plus près de sa vie et, dans une flaque de lumière, elle dressera une dernière liste, rien que pour elle, pour ces petits plaisirs qui font du bien, comme aller chez le coiffeur , partir ailleurs , choisir une nouvelle garde-robe... Qui dira qu'une mercière et la littérature ne font pas de la bonne dentelle ? Ce roman nous rappelle «L'Elégance du hérisson» de Muriel Barbery : même souplesse d'esprit, même cynisme, même autopsie de l'âme humaine. «La Liste de mes envies» est un roman écrit par un homme si près des femmes. Grégoire Delacourt les aime et les comprend et , pour elles, il leur tricote de l'amour et apaise ainsi leur douleur, leur souffrance, leur fragilité, leur force, lorsque le souvenir martèle sa présence et que le temps et les blessures saturent la mémoire.