Dans le cadre de ses activités culturelles, le Club Idhafet de la Maison de Culture Ali Ben Ayed d'Hammam-Lif a organisé le vendredi 15 février une séance de dédicace autour du livre récent « Entre chien et loup » de Fayçal Abroug. Une assistance formée d'écrivains, de poètes et d'hommes de culture a pris part à cette rencontre au cours de laquelle, Jalal El Mokh, écrivain et président de l'Union des Ecrivains Tunisiens (section de Ben Arous) a fait la présentation du nouveau roman qui a été suivi d'un débat. Dans sa présentation, Jalal El Mokh a procédé à une dissection critique de l'œuvre en faisant remarquer que le roman pourrait être classé dans le genre autobiographique dans la mesure où le narrateur nous relate certaines tranches de sa propre vie ; mais il s'agit d'une autobiographie d'un genre particulier dans la mesure où elle se démarque du genre autobiographique classique où le narrateur raconte sa vie selon un ordre chronologique et d'un point de vue subjectif où le « je » est omniprésent. Dans ce roman, a-t-il ajouté, l'auteur ne raconte pas tout, mais juste l'essentiel qu'il croit donner un sens à son récit. D'ailleurs ni sa vie intime, sentimentale ou familiale n'est mentionnée ; l'accent est plutôt mis sur sa vie intellectuelle, sociale, syndicale depuis les années de jeunesse. Concernant les événements, El Mokh a indiqué qu'il y avait deux types d'événements dans ce récit : ceux du moment présent qui se déroulent en une seule journée, du matin au soir, et se répartissent sur neuf chapitres où le personnage est partie prenante et donc un témoin oculaire. L'autre niveau des événements concerne le passé qu'il nous livre au moyen d'une suite de flashbacks sporadiques. Les deux types d'événements, l'un linéaire, l'autre entrecoupé, se côtoient, s'entrecroisent et s'enchevêtrent. Quant aux personnages, a-t-il souligné, il n'y a en fait qu'un seul : le narrateur qui, d'ailleurs, ne porte pas de nom. Les autres personnages passent pour des figurants ; ils se trouvent accidentellement sur les lieux et font ainsi partie du décor de la scène racontée. Le narrateur a eu recours à trois langues différentes : l'arabe classique, et parfois le français (surtout quand il s'agit de donner des citations) et le dialectal tunisien actuellement en vogue et qui reflète le vécu quotidien du tunisien de l'après-révolution. Le titre, emprunté à une expression française : « Entre chien et loup », qui signifie le moment crépusculaire et qui renvoie à la situation qui prévaut actuellement dans le pays où tous les principes et les idéaux de la Révolution sont menacés par des forces obscurantistes et des surenchères politiques tous azimuts souvent inutiles et inefficaces qui ont mené à un croisement de chemin, tout comme à l'heure du crépuscule qui se place entre le jour et la nuit, la clarté ou l'obscurité ! On ne sait pas où le destin nous mènera ! Le narrateur semble déçu à l'idée que tous les objectifs de la Révolution demeurent inachevés et que ses rêves révolutionnaires de jeunesse ne sont pas encore réalisés, lui qui a tant cru, tel un soixante-huitard, au changement de la situation dans son pays. Tout le roman se résume, selon El Mokh, en une image très évocatrice : une femme enceinte à été victime d'un accident de la circulation le 23 octobre 2011 et a été transportée à l'hôpital de Bardo où elle est restée jusqu'à maintenant sans secours. Cette femme n'est autre que la Révolution et cet hôpital n'est autre que l'Assemblée Constitutionnelle ! Hechmi KHALLADI
Entretien avec l'auteur : « J'ai eu un pressentiment qu'un danger pèse sur l'avenir de la Tunisie... » Nous avons rencontré Fayçal Abroug, auteur du livre « Entre chien et loup », paru en janvier 2013, qui nous a accordé cet entretien. Le Temps : La Révolution serait-elle l'inspiratrice de votre roman ? Fayçal Abroug : Dans une certaine mesure, oui ! L'envie d'écrire m'est soudain venue, une semaine après les élections du 23 octobre. Avec la victoire du mouvement « Ennahdha », j'ai eu un pressentiment qu'un danger pèse sur l'avenir de la Tunisie, car je n'ai jamais cru qu'un jour nous serions gouvernés par un mouvement d'obédience religieuse, car l'histoire nous montre que ces mouvements sont fascistes et usent de la religion pour s'emparer du pouvoir : ce qui se passe aujourd'hui en Tunisie en est un exemple concret. D'où ces appréhensions ressenties par les gens quant à l'avenir de la Tunisie depuis que ce mouvement détient le pouvoir en main. * « Entre chien et loup », que voulez-vous dire par ce titre que vous avez emprunté à la langue française ? -Oui, c'est un emprunt ! Cela signifie le crépuscule, moment où l'on ne reconnaît pas clairement les choses ! Allusion faite à notre situation actuelle, on ignore où va la Révolution ! Mais ce titre pourrait avoir une autre symbolique, sachant que le chien a toujours fait preuve de loyauté et de fidélité et a toujours été considéré comme un bon gardien ; alors que le loup incarne la méchanceté et la malice. Autrement dit, le chien symboliserait le jour puisque tout comme lui, il peut nous guider ; alors que le loup serait le symbole de la nuit, représentant une menace, mais également les cauchemars et la peur. * Peut-on parler d'une autobiographie dans ce roman ? - L'autobiographie existe. Mais c'est une fausse autobiographie. Je ne parle pas des aspects purement personnels qui ont trait à ma vie intime (j'ai rencontré la femme de ma vie, j'ai acheté une voiture, j'ai eu un prêt bancaire, j'ai vécu une déception amoureuse...), tout cela n'existe pas dans le roman. Tout ce qui concerne le narrateur implique les autres, tous ses soucis, tous ses désirs, toutes ses préoccupations sont partagées avec les autres. La vie syndicale du narrateur, ses activités culturelles au sein du club des cinéastes à l'époque de jeunesse, son adhésion aux forces démocratiques et progressistes dans le pays, tout cela a contribué à la formation de pas mal de Tunisiens qui se sont imprégnés des idées révolutionnaires qui mèneront plus tard au changement, à la Révolution. * Pourquoi avez-vous choisi d'écrire ce roman en arabe, alors que vous êtes francisant ? -C'est un choix. D'abord, par conviction que l'arabe est notre langue mère. C'est l'un des éléments fondamentaux de notre identité. Ensuite pour donner la preuve qu'un francisant est capable d'écrire en arabe et qu'il est toujours fidèle à ses racines. Enfin, je cible essentiellement les lecteurs de langue arabe, qui sont actuellement plus nombreux que ceux de langue française. Si j'avais écrit ce roman en français, seule une partie mineure du lectorat tunisien s'y serait intéressée. Propos recueillis par : H. KH.