Animateur culturel au club Tahar Haddad depuis juillet 2010, Gharbi Mouaouia en est le jeune directeur depuis février dernier. Il emboîte le pas à des figures illustres de la culture tunisoise, qui ont marqué de leur empreinte cet espace : Jalila Hafsia, Hédi Mouahli... Cet ancien de l'Institut supérieur d'animation pour la jeunesse et la culture (session 2006), qui a également fait ses armes à travers ses passages aux JCC, au festival de Carthage et à la Foire du livre de Tunis, s'explique sur sa démarche et sur sa vision du travail sur le terrain... Vous êtes, depuis peu, à la tête du Club Tahar Haddad, qui demeure un lieu emblématique de l'activité culturelle dans la capitale... Quels sont les chantiers que vous avez ouverts et ceux que vous entendez ouvrir à l'avenir ? Le Club Culturel Tahar Haddad est un espace historique comptant parmi les plus importants de Tunis. Il s'agit d'un espace dont la principale spécificité réside en ceci qu'il allie le patrimoine, la civilisation et l'art contemporain. Depuis que je suis à la tête du Club, j'ai essayé d'insister sur les mécanismes du métier culturel, notamment la réadaptation des ressources humaines en encourageant le personnel à s'impliquer davantage dans le travail. Le Club n'était pas très « visible » pour tous, et pour moi, la visibilité est la clef de la réussite de toute entreprise culturelle. C'est que toute personne travaillant dans les métiers de la culture, quel que soit son grade ou sa fonction, doit se sentir partie prenante de l'établissement et doit être fier de compter parmi les membres de la famille du club. J'ai également essayé de rendre l'espace à sa vocation première, à savoir recevoir et encadrer les jeunes pendant leur temps libre. J'ai essayé de les impliquer vraiment en revoyant les horaires des clubs spécifiques et les tarifs d'abonnement. N'oublions pas que le Club se situe dans un quartier populaire. Par ailleurs, et malgré le manque de personnel, comme c'est le cas dans toutes les maisons de la culture, nous essayons de réaliser chaque jour un événement. Je ne supporte pas personnellement de franchir le seuil d'une maison de la culture où il ne se passe rien, ne serait-ce qu'une petite activité. On dit que le Club Tahar Haddad ambitionne de sortir de ses murs, d'investir les espaces qui l'environnent dans la Médina... Qu'en est-il et, si c'est vrai, quelles sont les limites « géographiques » que vous vous assignez et pour quel projet ? Le Club Culturel Tahar Haddad est l'un des plus anciens espaces de Tunisie et il est le premier espace culturel de la médina de Tunis, vu qu'il a été fondé en 1974. D'ailleurs, nous célébrons cette année le quarantième anniversaire de sa naissance. Cela dit, pour que l'espace quitte son espace et aille à la rencontre de la médina, cela nécessite un minimum de moyens. C'est que nous ne pourrons pas réussir un espace culturel ouvert sans impliquer les familles et les habitants des environs. Il en va de même pour les associations existant dans la médina, lesquelles associations jouent un rôle fondamental. Nous essayons, en effet, de rassembler tous les amoureux de la médina et, prochainement, nous lancerons un projet qui consistera à rassembler les livres et les documents qui touchent à la médina. Ce sera un projet sous forme d'appel lancé à toute personne passionnée par la mémoire de la médina. Cela nous permettra de donner la possibilité à tout visiteur tunisien ou étranger de découvrir la riche histoire de la région. Le Club culturel Tahar Haddad est appelé à s'inscrire activement dans son environnement. J'espère que, dans chaque rue voisine, il y aura un représentant du Club capable d'en faire la promotion et d'en défendre les principes. Les habitants doivent sentir que l'espace est le leur. Après cela, nous pourrons parler d'un projet culturel réussi dans la médina de Tunis. Nous sommes dans une culture où la jeunesse impose ses marques... Au point, parfois, de nous pousser à tourner le dos à l'héritage, aux grands classiques de notre culture. Comment appréhendez-vous ce phénomène ? Je pense que tout mouvement culturel nécessite la fraîcheur de la jeunesse et que l'activisme culturel des jeunes est un phénomène positif qu'il faut encourager et encadrer. Le seul problème est l'aptitude des jeunes à supporter la critique. Ici, il me semble devoir passer par trois étapes fondamentales pour réaliser un paysage culturel novateur et élevé. D'abord, il faut renforcer les jeunes moralement, c'est-à-dire leur faire confiance en tant qu'êtres et en tant que projets. La devise « Laissez faire, laissez passer » me semble très pertinente dans le cadre culturel. Une fois que les jeunes ont pu se manifester, il faut ensuite les critiquer et les réorienter. C'est de cette manière que les jeunes acceptent la critique qu'ils considéreront comme une révision de leurs projets culturels. Enfin, nous arriverons à créer un mouvement culturel homogène pouvant harmoniser notre culture classique et les visions des jeunes. La jeunesse est une catégorie sensible. N'importe quel rejet ou refus à son égard se transforme vite en conflit avec la précédente génération. Le club que vous dirigez porte le nom d'un emblème de la pensée réformiste du XXe siècle : est-ce que cela engage, selon vous, une sorte de responsabilité et, dans l'affirmative, de quelle façon peut être assumée cette responsabilité aujourd'hui, après la révolution de janvier 2011 ? Le Club culturel Tahar Haddad porte le nom d'une figure qu'on ne présente certes plus, mais je voudrais dire qu'il a une histoire culturelle profonde portée par des noms et des figures qui ont leur importance dans le paysage tunisien, de Mesdames Jalila Hafsia et Khadija Kammoun à Monsieur Hédi Mouahli et Madame Houda Bouriel. De même, le Club a connu beaucoup de penseurs tunisiens et étrangers. Les anciens m'ont raconté son histoire et cela m'a profondément marqué et ému. Ce n'est pas facile que le ministère de la Culture accorde une telle confiance pour une institution si précieuse. Cette mission qui m'a été confiée témoigne du courage du ministère, vu mon jeune âge, en regard des anciens directeurs. À ce titre, je voudrais remercier le délégué régional de la culture de Tunis, Monsieur Hédi Jouini, qui m'a beaucoup encouragé pour accepter cette responsabilité et qui m'a apporté son aide et son soutien. La responsabilité est double, puisqu'elle a lieu après la Révolution de janvier 2011. Les attentes du public se sont démultipliées, notamment celles des jeunes. Les maisons de la culture sont le berceau de l'élévation du goût, de la pensée, de l'harmonisation entre les différentes catégories de la société. Notre mission consiste essentiellement à attirer un grand nombre de visiteurs et de créer des espaces interactifs. Il faut, de ce point de vue, dépasser dans la culture la dichotomie « émetteur »/ « récepteur ». Impliquer le public dans la programmation est une obligation. Parlez-nous des prochains rendez-vous du Club... Ces jours-ci, le Club accompagne activement les vacances de printemps. Nous avons essayé d'alterner ateliers d'écriture et de lecture, ateliers de peinture et spectacles pouvant apporter un plus. Au cours de la deuxième semaine des vacances, nous ouvrons aux jeunes les portes de la création active à travers l'atelier de sculpture, les lundi, mardi, mercredi, ainsi qu'à travers l'atelier de peinture et de lecture le jeudi et le vendredi, pour que la clôture ait lieu avec la pièce de Habiba Jandoubi, Le Petit prince. Au mois d'avril, la littérature sera à l'honneur, dans la mesure où nous célébrerons la deuxième session du Printemps du livre. Nous recevrons donc l'écrivain Adel Lahmar, qui présentera son roman Abdallah ettounsi. Youssef Rzouga présentera Mesmar Tchékhov. Nous célébrerons également l'écrivain Abdelmagid Youssef et organiserons une soirée poétique tuniso-égyptienne avec Ahmed Bakhit et Sghaier Ouled Ahmed. Le poète, écrivain, journaliste et universitaire Aymen Hacen assurera la présentation du nouveau roman de Mohamed-Ridha Ben Hamouda, Le Vingt-quatrième hiver. De même, nous organiserons la troisième session de la Journée de la nouvelle, au cours de laquelle nous annoncerons les résultats du Concours culturel Tahar Haddad de la nouvelle, tout en rendant hommage au Professeur Mokhtar Ben Jannet. La musique sera également au rendez-vous avec la célébration du quarantième jour du décès du grand artiste Mohamed Sassi, ainsi que le centenaire de la diva Saliha, qui sera assuré par la jeune chanteuse Hend Nasraoui. Nous n'oublierons pas « le mois du patrimoine », qui sera inauguré avec un colloque sur l'héritage andalou en Tunisie, avec la participation des Professeurs Ridha Mami, Jomâa Chikha et Ahmed Hamrouni. En mai, la musique sera découverte sous toutes ses coutures à travers différentes écoles, le Malouf, le Stanbali et la musique jeune étant au programme, pour clôturer la saison, en juin, avec la présentation des œuvres des clubs et ateliers du Centre. Nous allons également organiser une manifestation en collaboration avec l'Ambassade du Maroc en Tunisie.