Lâchés par l'Occident, affaiblis en Turquie, déclarés hors-la-loi par-ci, condamnés par centaines à mort par-là, les islamistes — notamment les Frères musulmans — sont, aujourd'hui, assaillis de toutes parts. Sont-ils en train de payer leur inexpérience en matière de gestion des affaires de l'Etat et les énormes erreurs qu'ils ont commises lorsqu'ils ont accédé au pouvoir en Egypte et en Tunisie? La parenthèse de l'Islam politique, sitôt ouverte, est-elle en train de se refermer définitivement ? L'Islam politique constitue une singularité dans la longue histoire de l'humanité. Aussi loin que l'on remonte dans le temps, il est difficile de dénicher un groupe politique qui a mis aussi longtemps pour arriver au pouvoir et aussi peu de temps pour le perdre. Les Frères musulmans ont mis plus de 80 ans pour atteindre leurs objectifs, et il ne leur a fallu que quelques mois pour se discréditer de manière spectaculaire, balisant ainsi la voie à la longue traversée du désert qui les attend et que leur « noyau dur » a déjà entamée en Egypte. Deux erreurs fondamentales Pourtant, avec « le printemps arabe » et le soutien que l'Occident en général et l'Amérique en particulier leur a généreusement offert, les « Frères » se sont trouvés en 2011 dans des conditions si favorables que s'ils avaient su les exploiter, ils se seraient éternisés au pouvoir. Il y a deux erreurs mortelles parfaitement évitables, mais que les « Frères », de par leur structure mentale particulière, de par l'autisme qui les caractérise, n'ont pas su éviter. La première erreur a consisté à rejeter avec un mépris et une arrogance stupéfiants les revendications des masses révoltées en Tunisie et en Egypte qui ne voulaient rien d'autre que « le travail, la liberté et la dignité ». Au lieu de retrousser les manches et se mettre au service de ceux qui leur ont ouvert les portes du pouvoir, en faisant de leurs revendications des priorités nationales, les « Frères » ont jugé que ces masses, qui avaient mis fin aux dictatures de Moubarak et Ben Ali, n'étaient pas « suffisamment musulmanes » et qu'il était temps qu'elles soient mises sur « le droit chemin ». En d'autres termes, ivres d'un pouvoir qu'ils ont reçu sur un plateau d'argent, les « Frères musulmans » ont mis de côté les revendications relatives au travail, à la liberté et à la dignité et se sont attelés très vite à la réalisation de la première étape de leur vaste programme : jeter les fondations de l'Etat islamique. Le drame est que plus ils travaillaient sur ces fondations, plus la dégradation des conditions de vie des masses qui les ont hissés au pouvoir se dégradaient. En Egypte, cette dégradation était telle que des millions étaient descendus dans les rues pour chasser ceux qu'ils ont élus moins d'un an auparavant. En Tunisie, cette dégradation était telle que les islamistes, terrorisés à l'idée de subir le sort des « Frères » égyptiens, ont accepté de céder le pouvoir à un gouvernement de technocrates, chose qu'ils avaient pourtant obstinément refusé de faire, même lorsque l'un d'eux, Hamadi Jebali, en avait fait la demande au lendemain de l'assassinat du martyr de la nation, Chokri Belaïd. Le coup fatal La deuxième erreur mortelle est la complaisance qui frisait la complicité avec les groupes islamistes violents. Cette erreur est particulièrement dramatique en Tunisie où le terrorisme, profitant du laxisme, pour ne pas dire autre chose, des gouvernements Jebali et Laârayedh, a fait les ravages que l'on sait au niveau social et économique, mais aussi au niveau de la réputation du pays, gravement endommagée à l'étranger, surtout après l'attaque et la dévastation de l'ambassade et de l'école américaines le 14 septembre 2012. Ces erreurs monumentales et l'incapacité congénitale des « Frères musulmans » à tirer les leçons des échecs spectaculaires de l'islamisme au pouvoir en Afghanistan, au Pakistan, au Soudan, en Somalie et même à Gaza, ont porté un coup fatal à l'islam politique tant aux yeux des populations d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient qu'aux yeux des puissances occidentales qui se sont rendu compte, avec beaucoup de retard, qu'ils ont misé sur un « tocard ». Aujourd'hui, l'islam politique vit la crise la plus profonde de son histoire, une crise qui risque, sinon de l'emporter, du moins de le forcer à une longue traversée du désert. Abhorrés par la majorité des populations arabes, mis sur la liste des organisations terroristes en Arabie Saoudite, cette terre où l'islam est né, lâchés par l'Occident, en proie à une grogne populaire qui risque de les expulser du pouvoir en Turquie, les « Frères » sont dans le pétrin là où ils se trouvent. N'est-ce pas significatif que la majorité du peuple tunisien ait poussé un soupir de soulagement le jour où le gouvernement technocrate de Mehdi Jomâa est entré en fonction ? N'est-ce pas significatif que les menaces de guerre civile proférées par les partisans de Morsi se soient révélées être des pétards mouillés ? N'est-ce pas significatif que 529 « Frères » soient condamnés à mort de manière si expéditive et qui ne répond pas aux principes pour un procès aussi lourd, sans que le peuple égyptien ne manifeste la moindre réaction, si l'on excepte celle compréhensible des familles ? Il n'est plus rare d'entendre les gens du peuple commenter à leur manière l'échec spectaculaire de l'islam politique, en l'expliquant par « une punition divine » infligée aux « marchands de religion » qui, utilisant la duplicité, le double langage et bien d'autres « pêchés », n'hésitent pas à mettre le sacré au service d'intérêts bassement matériels.