• L'idée du sacré s'érige comme genèse et prétexte de l'œuvre, mais une fois l'œuvre achevée, elle consomme la rupture avec l'idée du sacré L'exposition qui se déroule depuis le 16 juin à la galerie Le Cap, à Gammarth, intitulée «Rythme chromatique» est de Kawthar Bourissa. Elle est assez spéciale et constitue une exception dans la mesure où l'artiste (docteur en esthétique, sciences et technique des arts à l'ISBAT et maître-assistant à l'Ecole nationale d'architecture et d'urbanisme de Tunis), plasticienne de formation, s'est trouvée investie de la mission d'aller défricher le monde de la peinture sous-verre traditionnelle en Tunisie, objet de sa thèse de doctorat‑: «L'Alternative de la présence et de l'absence dans la peinture sous-verre en Tunisie». Un patrimoine culturel Dans cette exposition, 46 pièces ornent l'espace. Des pastels sur papier avec techniques mixtes (acryliques et collages), des monotypes sur zinc, des photographies aussi, mais surtout une trentaine de peintures sous-verre : une nouvelle expérience ainsi que la découverte d'une technique et d'une esthétique inconnues jusque-là. Dans un premier temps, l'artiste a procédé à un répertoriage typologique des peintures sous-verre, classant ainsi les œuvres en trois thèmes‑: — Calligraphique, en écho aux textes sacrés du Coran avec des formules propitiatoires encadrant les PSV (peintures sous-verre) — Pictographique, qui reprend le thème calligraphique en l'intégrant dans des formes végétales (fleurs et faune), animales (lion, paon, oiseaux) ou architecturales s'inspirant des édifices arabo-musulmans (mosquée, mausolées, mihrab). — Figuratif, qui relève de la tradition orale et de la culture populaire au Maghreb. Cette culture puise ses sources dans la culture moyen-orientale et, surtout, méditerranéenne et berbère (les thèmes de Jazia l'hilalienne, du Prophète Mohamed avec la représentation d'Al Buraq, le thème chiite autour de la personne de l'Imam Ali et le thème de la confrérie de la Kadiriya avec la représentation de Sidi Abdelkader Jilani combattant le lion). Pour développer ces trois thèmes, Kawthar Bourissa a procédé, dans une analyse iconographique plastique formelle, à l'organisation de l'espace peint. Une organisation qui se présente sous trois aspects: symétrique, vertical et central. Dans un dépassement de cette analyse, elle a essayé de faire ressortir, mettre en relief la symbolique en se référant à l'esthétique du beau, exemple la quadrature du cercle, le polygone étoilé ou sceau de Salomon (Khatam Soliman), l'arabesque dont la forme rappelle l'incantation mentale chez les soufis. Acte volontaire de retour aux sources Support incontestable de la PSV, le matériau du verre se caractérise par deux traits dominants : la transparence et la lumière. D'où la dimension mystique et symbolique de cette matière dans la tradition de l'Islam et de la mystique soufie. Cette réflexion trouve toute sa latitude dans la référence à la sourate «La Lumière»» XXIV, 35. «Dieu est lumière des cieux et de la Terre. Sa lumière est comme une niche dans un mur où se trouve une lampe, et la lampe est dans un verre et le verre est comme dans une étoile brillante. Elle est allumée avec de l'huile d'un arbre béni, un olivier qui n'est ni d'Orient ni d'Occident et cette lumière est allumée (et l'éclat de sa lumière), brille sans que le feu y ait été mis. C'est lumière sur lumière. Dieu guide vers Sa lumière qui Il veut et Dieu propose aux hommes des paraboles, car Dieu connaît toutes les choses». La technique de la peinture sous verre n'échappe pas, elle également, à cette réalité mystique avec la réversibilité de la lettre et de la figure. Ce qui est tracé à droite est perçu de l'autre côté du verre, à gauche et vice versa. En définitive, l'artiste est parvenue à la conclusion suivante : la représentation dans la PSV sert de médiation à l'établissement d'une dimension sacrée à travers la calligraphie, l'arabesque, le rythme et la symétrie. L'image dans la PSV ou peinture sous verre oscille entre le sacré et le profane. «J'ai découvert que le but véritable dans la PSV, du moins celles retenues dans mon corpus, est une transgression de cette limite qui peut bien se révéler être la recherche d'une certaine spiritualité. La PSV persiste encore en notre siècle mais sous la forme galvaudée d'une production à vocation mercantile à destination prioritairement touristique», souligne l'artiste Kawthar Bourissa. * L'exposition «Rythme chromatique» de Kawthar Bourissa se poursuivra à la galerie Le Cap, à Gammarth jusqu'au 6 juillet 2010