M. Ali Trabelsi, dans son article paru le 13 juin 2014, accuse le laxisme parental d'être responsable de la dérive comportementale des jeunes et de leur abandon dans la rue au profit des recruteurs criminels, jihadistes et organisateurs de migration clandestine. Les ONG sont accusées d'être complaisantes et inefficaces : au lieu d'agir en amont, elles apporteraient une aide dérisoire et tardive aux victimes de ce fléau. L'Etat, l'école et les enseignants boucs émissaires de parents irresponsables supporteraient la foudre de leur colère. L'Association Tunisienne de Défense des Droits de l'Enfant (ATDDE) s'indigne de la tenue de ce discours et de la facilité de l'accusation des familles dans la responsabilité d'un phénomène social qui n'est que la résultante de la défaillance de la politique de protection et de défense des enfants, des adolescents et des jeunes. Que prévoit l'Etat pour les nourrissons de trois mois à trois ans ? Le code du travail octroie à une jeune maman trois mois de congé... et après ??? La galère de la famille commence, une errance dans un système de débrouillardise où le supposé « intérêt supérieur de l'enfant » est en fait le dernier à être pris en compte. Le contrôle de l'Etat des institutions (crèches et garderies) ou des personnes (nourrices) à qui sont confiés ces enfants est quasiment absent. A trois ans, l'enfant est en âge de fréquenter le jardin d'enfants. La partie a été abandonnée au secteur privé qui représente 82% des établissements et qui ne couvre que le tiers des besoins de la population infantile. Près de 60% de nos chérubins ne fréquentent pas les jardins d'enfants. Où sont-ils quand les parents travaillent ? Comment sont-ils préparés pour affronter leur entrée à l'école, quand on sait que fréquenter une institution préscolaire améliore les chances de réussite des enfants ? Où en est le droit à la non-discrimination tel que le prévoit notre nouvelle Constitution ? L'école, cette noble institution républicaine, a perdu son rôle d'ascenseur social, la qualité de l'enseignement dispensé n'est pas la même pour tous ni la même partout : quand les familles les plus démunies ne peuvent accéder ni aux garderies ni aux cours supplémentaires devenus les garants indispensables de la réussite. L'adoption d'un système sélectif qui ne fait de la place qu'à l'élite, laisse sur le bas-côté de plus en plus d'enfants en état d'abandon scolaire (au-delà de 100 000 cette année), sans aucune qualification, voire analphabètes dans une société où l'accès à l'emploi devient de plus en plus ardu. La loi prévoyant l'obligation de la scolarisation de 6 à 16 ans, l'Etat non seulement a failli à son devoir mais de plus ne prévoit pas de solutions de rechange ou si peu (les centres de défense et d'intégration sociale, au nombre de 18 sur tout le territoire tunisien, ne peuvent prendre en charge qu'environ 5.000 de ces enfants et durant une seule année). L'école est responsable à plus d'un titre de cette dérive. Le choix de la séance unique de cinq heures d'enseignement durant le primaire, contre tout bon sens pédagogique, a fini par assombrir le tableau de ce consensus sélectif. Que font les enfants durant le reste de la journée ? La corruption est enseignée à l'école. On distille à nos enfants que l'argent est le plus court chemin vers l'excellence. Le travail, l'effort personnel et l'intégrité morale ne sont pas reconnus et ne sont pas valorisés. L'Etat est aussi responsable de l'environnement scolaire : maisons de la culture, maisons des jeunes, clubs d'enfants et autres institutions dépendant de plus d'un ministère, après avoir été une arme politisée, sont voués à l'abandon et désertés. Que produisent les médias nationaux (presse écrite et audiovisuelle) en visant pour public cible les trois millions quatre cent mille enfants? La nature ayant horreur du vide, ce sont les paraboles qui diffusent des cultures et des valeurs qui nous sont étrangères qui façonnent nos générations futures. Quand la responsabilité de l'Etat est engagée seule vis-à-vis des enfants dépourvus de soutien parental, les derniers faits divers donnent lieu à beaucoup de préoccupations vis-à-vis des pupilles de l'Etat voués à beaucoup d'actes de négligences dans une totale impunité ! En l'absence d'une politique globale destinée aux enfants de la nation, les familles tentent de s'en sortir comme elles peuvent, très certainement mal, à l'instar de ceux qui nous gouvernent. Les dernières statistiques publiées par le délégué général à la protection de l'enfance sont alarmantes par la faible couverture de la détresse infantile par les mécanismes de protection de l'enfance. Un enfant violent est un enfant victime de toutes les violences, injustices, exclusions et négligences que nous leur infligeons. En un point, vous avez raison, monsieur Trabelsi, le traitement que nous leur réservons nous revient à la figure comme un boomerang, mais leur violence nous est insupportable.