Par Moncef Kamoun (*) Sfax, deuxième pôle de Tunisie, est privilégiée par sa position entre le Centre et le Sud du pays, et sa large ouverture sur la mer avec un littoral de 235 km qui permet les échanges de produits au niveau national et international. Sa population est estimée à 950 mille habitants, soit 8,5 % de la population totale; pour 5 % de la superficie du pays. Les Sfaxiens sont connus pour leur esprit d'entreprise, leur dynamisme et leur savoir-faire. Ils sont connus pour une très bonne conscience professionnelle. Sfax la ville-business s'est distinguée par son audace économique et manifeste son caractère dominateur, ce qui a permis au gouvernorat de disposer d'atouts importants lui permettant une évolution multisectorielle rapide dans les domaines de l'agriculture, de l'industrie et des services. Au départ, l'économie de Sfax a toujours été basée sur la pêche et les phosphates, mais surtout l'agriculture qui occupe une place importante dans l'économie de la région. La superficie agricole utile représente 90 % de la superficie totale avec 639 000 habitants maintenus par 54.000 exploitants. Elle est dominée par l'arboriculture en sec. Les oliveraies occupent 326.000 habitants (environ les 2/3 de la superficie agricole utile) et comptent 7 millions de pieds, en deuxième lieu viennent les amanderaies avec 87 000 ha. L'olivier et l'amandier s'adaptent mieux que les autres cultures au climat aride de la région. Premier producteur de Tunisie, Sfax produit en moyenne 40% d'huile d'olive et 30% d'amandes par rapport au niveau national. La ville connaît aussi, depuis les années soixante, le développement rapide du secteur tertiaire et la diversification du secteur agricole par l'émergence de nouveaux créneaux d'investissement comme l'élevage bovin, le maraîchage, l'aviculture et les cultures biologiques. Le tissu industriel assure 59.000 emplois, soit 25 % de la population active occupée. La plupart de ses entreprises sont de petite taille, le nombre des entreprises qui emploient 10 ouvriers et plus s'élève à 667 unités (soit 30% du tissu industriel). Sfax est aussi la deuxième ville du pays pour les activités tertiaires, en particulier le commerce, qui a été toujours florissant. Le nombre d'emplois dans le tertiaire a été évalué à 100 mille. Sfax occupe une place prépondérante dans le commerce intérieur et extérieur. Le port commercial de Sfax est l'un des plus anciens. Il a été créé vers 1905. Il est spécialisé dans l'exportation des produits qui viennent essentiellement du Centre et du Sud du pays, en plus de la production locale comme le sel marin, l'huile d'olive, les phosphates traités et divers autres produits semi-finis ou finis de certaines industries comme la confection, l'habillement, les conserves de poisson et autres. On y importe les produits alimentaires, les produits chimiques, les matériaux de construction, les céréales et tous les équipements nécessaires pour le marché du pays. Sfax, la mal-aimée Il fut un temps où l'on a surnommé Sfax le «Singapour tunisien», mais Sfax a toujours été marginalisée car les Sfaxiens ne se sont jamais alignés sur les dominations successives. Ils ont toujours été rebelles, et ce, depuis la colonisation. Sfax a bien connu la révolte d'Ali Ben Ghedhahem s'opposant au bey de Tunis en 1864 et celle de 1881 pour refuser le protectorat français qui lui a coûté des bombardements des troupes françaises pour en venir à bout. Sfax a été également bombardée par les Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale alors qu'elle était occupée par les puissances de l'Axe. Sfax est la ville où s'illustrent deux grands militants de l'indépendance nationale assassinés par l'organisation terroriste coloniale la Main Rouge : le syndicaliste Farhat Hached (natif de Kerkennah) qui est assassiné le 5 décembre 1952 et le responsable destourien Hédi Chaker qui est tué le 13 septembre 1953. La ville a connu quatre décennies d'oppression et d'abandon. Habib Bourguiba, d'abord, se méfiait de ceux qu'il surnommait les «Sfaxistes». Quant à Zin El Abidine Ben Ali, il avait peur de tout ce qui bougeait à Sfax. Il n'a pas seulement négligé la deuxième ville du pays mais il a aussi tenu les élites de Sfax à l'écart. En 1952, Sfax a vu s'implanter une usine extrêmement polluante à quatre km du centre de la ville : la Siape, puis dans les années 60, le président Bourguiba, conseillé par ses proches fidèles sfaxiens, a construit une usine aussi polluante : la NPK, qui a été implantée au bord de la mer de l'autre côté de la ville comme si c'était pour mieux polluer Sfax et la mer. D'ailleurs depuis cet instant, elle est devenue l'unique ville au monde sur la côte qui tourne le dos à la mer Sous le régime Ben Ali, l'abandon s'est poursuivi. Ben Ali a attaqué aussi toutes les entreprises créées par des Sfaxiens au point de prendre de force le contrôle des meilleures d'entre elles dont la BIAT, une banque privée fondée par Mansour Moalla, ancien ministre de Habib Bourguiba et personnalité sfaxienne particulièrement respectée. Dans la décennie suivante, les Trabelsi, la belle-famille de Ben Ali, se sont invités dans le capital des entreprises qui pouvaient les intéresser. C'est pour toutes ces raisons que Sfax est restée au niveau des années 1970, et même pire Sfax, une ville impossible La qualité de la vie et l'état des infrastructures et des équipements publics sont dans un état lamentable et indigne de la seconde ville du pays. Elle a aujourd'hui un taux de mortalité nettement supérieur à la moyenne nationale en raison d'une pollution qui sévit depuis les années 50 et un taux de mortalité sur les routes supérieur à la moyenne nationale en raison de l'état des routes. La pollution n'est pas uniquement provoquée par des déchets solides mais aussi des déchets liquides et la pollution atmosphérique. La production d'une tonne de phosphate dégage 5 tonnes de phosphogypse. C'est ainsi que la Siap a cumulé le phosphogypse résultant de son activité dans une montagne de 63 mètres de hauteur avec une base au sol sur les rives de la mer égale à deux fois la surface de la médina de la ville de Sfax. Les unités de traitement de phosphate telles que la NPK et la Siape ont fortement contribué à la dégradation de l'environnement. La zone située au sud des ports fait l'objet de rejets des eaux traitées par la station d'épuration de l'Onas et des rejets de la Siape. Cela sans parler des tonnes d'ordures dans les rues de Sfax. Des ordures partout, et c'est horrible. La ville de Sfax si longtemps isolée et négligée et devant la croissance démographique et le développement urbanistique qui n'ont pas été accompagnés par la réalisation adéquate d'infrastructures et l'action environnementale requise, ne sait plus compter ses déboires, ni même les formuler ou par quoi commencer: - Un petit aéroport aménagé très tardivement après une multitude de batailles de la société civile locale et qui tourne à 5% - Un port ridiculement petit ne pouvant même pas accueillir les conteneurs et ne fonctionnant qu'à 30%/40% Une voie ferrée qui reste inchangée depuis la colonisation - Des routes dans un état désastreux, aucun échangeur ou presque. Une circulation urbaine qu'il est impossible de pratiquer si on n'est pas de la région - Les grands projets tels Taparura et le métro complexe sportif - CHU sont toujours sur le papier Aujourd'hui toute l'infrastructure de Sfax est loin d'être à la hauteur de sa population et de son dynamisme économique. En termes d'investissement public par tête d'habitant, Sfax occupe la 18e place et est sevrée des flux d'investissement étrangers. Elle n'attire aujourd'hui que 3% des investissements étrangers alors qu'elle représente presque 10% de la population. Cela a entraîné la fuite de ses capitaux et un manque d'investisseurs étrangers dans une ville réputée pour son dynamisme et le sens de l'entrepreneuriat de ses habitants. Enfin, le commerce parallèle a fini par vider Sfax de son industrie et de ses industriels soit pour fermer boutique ou pour aller s'installer dans des zones plus clémentes fiscalement. Plusieurs Ssfaxiens ont été obligés de quitter leur ville à la recherche d'un emploi prometteur ou de conditions de vie plus agréables ailleurs. Cet exode à double sens fait que le pouvoir d'achat a baissé, entraînant un appauvrissement perceptible Sfax, une ville à refaire Le retard du développement de Sfax n'a pas été donc le fruit du hasard mais d'une politique pensée par Ben Ali, réfléchie et loin d'être innocente. Maintenant, après la révolution, la donne politique a changé et l'équité entre les régions est possible. Sfax doit donc reprendre son rôle de capitale du sud et redevenir le second poumon économique de la nouvelle Tunisie, un poumon dont la Tunisie a grandement besoin en ces temps très difficiles. Ce rôle, Sfax a les moyens de l'assumer mais encore faut-il impliquer tout le monde dans la conception des affaires et sortir du «voir petit». Cela est possible grâce à une culture du travail et du travail bien fait et un fort esprit d'entrepreneuriat mais cela ne se fera pas sans une mobilisation et une solidarité entre Sfax-ville et son arrière-pays et entre la région de Sfax et toutes les régions du centre et du sud. Enfin, il est grand temps de repenser notre modèle de gouvernance et de développement régional avec comme objectif une vraie autonomie, une solidarité et une complémentarité de toutes les régions de la Tunisie. Selon Imed Ayadi, vice-président de l'association Beit El Khibra, les actions à mener et sans délai sont nombreuses dont : La fermeture ou le déplacement de la Siape L'animation de l'aéroport de Sfax par le transfert de 25% de vols internationaux de Tunisair à partir de Sfax connectant Sfax au reste du monde La mise à niveau du port de Sfax pour accueillir les conteneurs. L'établissement d'un plan pour l'aménagement des infrastructures de base, chaussées, trottoirs, éclairage, L'exécution du projet Taparura Le lancement du projet du métro léger de Sfax Accorder à Sfax le statut de ville touristique La mise en place d'un plan de propreté de la ville La création d'un fonds de développement régional La création d'une banque régionale (crédit du sud) La création d'une agence d'urbanisme du Grand Sfax Le démarrage de l'exécution d'un ouveau CHU à Sfax. Le démarrage de l'exécution du nouveau complexe sportif L'établissement d'un plan de réhabilitation de la médina et des quartiers marginalisés La construction d'une route reliant le sud de Sfax au nord par une corniche en front de mer La création d'une zone franche pour le shopping international. L'exécution d'une deuxième voie ferrée jusqu'à Sousse L'aménagement de parkings de voitures sur les routes et en ville tous les 500 mètres et l'interdiction de stationner tout le long des routes Bref, il faut sortir toutes les études presque achevées ces trois dernières décennies, les actualiser et les mettre à exécution. Les jeunes de Sfax se sont déjà regroupés dans une association qui s'appelle «Sfax Tehlem» tendant à pousser les citoyens et les autorités locales et centrales à réaliser les investissements nécessaires Ensemble, faisons de Sfax une ville de rêve. Rêve d'un avenir radieux Sfax est désigné déjà comme capitale de la culture arabe 2016. Sfax a élaboré son dossier de candidature pour l'organisation des Jeux méditerranéens de 2021 Sfax se propose d'inscrire sa médina sur la liste du patrimoine mondial Il y a beaucoup à faire pour la promotion de l'image de Sfax, de son histoire, son patrimoine et ses contributions sportives et culturelles ainsi que sur son ouverture sur la Méditerranée et l'image de la Tunisie post-révolution. (*)Architecte