Par Adnen el Ghali* En ce début mouvementé de XXIe siècle fait d'instabilité chronique et de mouvements d'émancipation contrôlés à distance, la question du religieux est centrale. Clef de voûte de l'édifice sociétal pour les uns et pierre d'achoppement pour les autres, elle constitue le prétexte d'une prétendue guerre des opposés inconciliables. Un fait pourtant pourrait changer du tout au tout ce point de vue. Il s'agit de la question du devenir des Lieux saints en Islam et plus particulièrement de La Mecque et de Médine. Dans un silence assourdissant et dans le complet désintérêt des médias arabes et des « élites » religieuses, autoproclamées il est vrai, les Lieux saints de l'Islam vivent leurs derniers instants. Bientôt ils appartiendront au patrimoine immatériel de l'humanité, pour reprendre une formule onusienne, afin de continuer à exister dans la mémoire collective comme autant de « spectres » de ce que furent les lieux fondamentaux de l'Islam. Mais des sites eux-mêmes, il ne reste aujourd'hui pratiquement plus rien. A l'heure où vous lirez ces quelques lignes, les bulldozers du groupe Ben Laden — ce nom vous est familier n'est-ce pas ? — lanceront l'assaut final contre les dernières colonnes de la mosquée abbasside entourant la Kaaba et constituant son enceinte protectrice. Les décombres seront jetés dans la mer Rouge pour éviter qu'ils ne deviennent des reliques objet de la vénération des musulmans traditionnels et ils y seront rejoints bientôt par ceux de la maison du Prophète, celle où il est né, qui fut épargnée quelques décennies suite à sa réaffectation en bibliothèque municipale en 1989. La parade dura une vingtaine d'années et aujourd'hui le destin de ce lieu est scellé. Il en va de même pour la demeure de la première épouse du Prophète, seyyida Khadija, qui fut transformée en latrines publiques. Quelle étrange destinée pour un lieu qui, après avoir accueilli le prophète de Dieu, Sa Lumière et Son Bien-aimé, fut racheté par la mère du calife Haroun al-Rachid qui en fit un lieu d'accueil destiné aux célébrations du Mouled. Ces actes de destruction sont perpétrés par des autorités mettant en avant deux arguments : le premier, d'ordre religieux, est propre à la secte wahhabite ; il a trait à la question des reliques et des formes de piété qui se développent autour des objets et des lieux ayant appartenu au Prophète, à sa famille et à ses compagnons. Ce point de doctrine, si l'on peut parler de doctrine wahhabite, occulte la question de l'anthropomorphisme, attribuant des qualités humaines à Dieu, qui est le propre du credo wahhabite et la raison principale de leur condamnation à l'unanimité par les tenants de l'Islam traditionnel. L'opposition aux wahhabites fut unanime dans le monde musulman jusqu'à la chute de l'Empire ottoman, en témoignent les Rudûd des oulémas du monde musulman condamnant sans équivoque la secte naissante et la qualifiant d'hérétique. Cette unanimité se reflètera dans l'alliance historique, et singulière à bien des égards, entre Ottomans et Perses, au début du XIXe siècle, afin de mettre fin à la fitna (discorde). Le fait que le musée du roi Abdulaziz offre aux visiteurs la possibilité de contempler la canne du fondateur de la dynastie et d'autres objets personnels ne peut que laisser perplexe. Pourquoi donc détruire les reliques du Prophète pour mettre en valeur celles d'un roitelet à la souveraineté récente ? De même, pourquoi détruire des lieux de mémoire, telle la demeure de sayyida Khadija, et les profaner par une destination dégradante ? Le royaume possède bien une entité chargée de la préservation du patrimoine mais à ce jour, seule la tombe de Museilima al Kadhdhab, renégat puis faux prophète, jouit d'un programme de conservation en l'état. Elle partage ce privilège avec la citadelle de la Deriye, fief des Saoud, qui fut reconstruite pierre par pierre près de 200 ans après avoir été dévastée par les armées égyptiennes venues libérer le Hedjaz du joug wahhabite. Le second est d'ordre « technique », il fait partie de la propagande « moderniste » du régime essentiellement liée aux réalisations pharaoniques qui honorent le dieu Mammon. Ainsi, les édifices détruits devraient faire place nette à des ouvrages plus lucratifs telle la tour du roi Abdelaziz qui héberge par ailleurs une boutique de lingerie fine de la griffe Paris Hilton... Sous des prétextes fallacieux, la pétromonarchie saoudienne détruit ce qu'il y a de plus précieux pour les musulmans. Ceci est choquant mais pas autant que le silence qui entoure cette question. A ce jour, aucune protestation officielle émanant d'un Etat musulman n'a été enregistrée. Rares sont les docteurs de la loi à dénoncer ces agissements et à exiger que soit mis un terme à cette campagne de déprédations. Les prédicateurs wahhabites, d'habitude prolixes, restent étrangement silencieux sur le sujet quant ils n'appuient pas purement et simplement la destruction de tous les lieux de mémoire de la tradition musulmane. A Médine, la parade des autorités religieuses wahhabites est autre. Ne pouvant opérer la destruction pure et simple du tombeau du Prophète, ils l'isoleront, par un tour de passe-passe architectural, du reste de la mosquée afin d'en faire un lieu retiré et donc non fréquenté. Devant une telle débauche de hargne contre l'Islam et les musulmans, peut-être devrions-nous conclure à la manière de Louis Alexandre Olivier de Corancez, consul français à Alep de 1802 à 1809, encyclopédiste, qui, pourtant zélateur des progrès de ces musulmans « réformés » et admiratif de leur esprit de conquête si propice à la destruction du califat ottoman et de l'Islam traditionnel, dut avouer que «les wahhabites ont donc les musulmans en horreur. L'intolérance, à leur égard, est un précepte de leur loi, ils l'exécutent à la rigueur. » *(Architecte D.P.L.G, urbaniste D.I.U.P - Tunis)