Les démons de ceux qui refusent de séparer la religion de la politique semblent se réveiller. Férid Béji, président de l'Association «Dar Al Hadith zeïtounienne», prétend que les falsifications des candidatures à la présidentielle ont rendu les élections illégitimes et illégales. D'où l'appel à les boycotter Chassez le naturel, il revient au galop. On s'attendait à ce que la campagne électorale en prévision des législatives qui s'ouvre demain, samedi 4 octobre, évite de tomber dans le piège de la religiosité. En plus clair, l'expérience du slogan «Votez pour ceux qui craignent Dieu» utilisé par les sympathisants d'Ennahdha lors des élections du 23 octobre 2011, ne devrait, en aucune manière, se renouveler. Cette fois, tout le monde était d'accord pour mettre la religion à l'écart de la politique. Ceux qui veulent accéder aux palais de Carthage ou du Bardo doivent le faire en se basant sur des programmes économiques, politiques et sociaux répondant aux attentes des Tunisiens. Déjà, un code de conduite a été signé, fin août dernier, entre une trentaine de partis politiques parmi les plus influents sur la scène politique nationale. Dans ce code, les signataires s'engageaient à respecter les conditions élémentaires d‘une campagne électorale où les règles d'une compétitivité loyale et d'une émulation saine devaient être respectées et où les coups tordus étaient interdits. Malheureusement, l'accord tacite et le code de conduite en question sont tombés à l'eau bien avant que la campagne électorale ne s'ouvre officiellement. Et l'intrusion de la religion et des fatwas est de retour, mais cette fois il ne s'agit pas de donner sa voie aux pieux, mais de boycotter carrément et le plus simplement du monde les élections qui sont déclarées un acte de péché. Férid Béji, président de l'Association «Dar Al Hadith zeïtounienne», président du bureau exécutif du Centre des études de sécurité globale et sympathisant soutenant la candidature de Lazhar Baly, président du parti El Amen à l'élection présidentielle, a dressé, mercredi 1er octobre, ses comptes pour découvrir que «la prochaine élection présidentielle sera falsifiée et que celui qui la remportera est déjà connu». Au cours d'une conférence de presse tenue par Lazhar Baly qui a dénoncé le rejet de sa candidature à la présidentielle et a annoncé qu'il va ester en justice pour casser la décision de l'Isie, Férid Béji a longuement pris la parole pour pondre sa fatwa (avis religieux) considérant la participation aux élections comme un péché que tout musulman a l'obligation de s'interdire. «Au début, soulignait-il, j'envisageais de produire une fatwa considérant la participation aux élections comme un devoir sacré. Malheureusement, j'ai changé d'avis à la suite des révélations concernant les parrainages falsifiés auxquels ont recouru plusieurs candidats à l'élection présidentielle. Et comme l'Isie a reconnu ses actes contraires à la loi et à la morale tout en précisant qu'elle est incapable d'y faire face, ce qui l'a conduite à valider des candidatures de fossoyeurs avérés, je considère que l'opération électorale est devenue illégitime et illégale et y participer constitue un acte de cautionnement à une action irrégulière. Sur cette base, tout musulman respectueux de sa religion et de ses préceptes se doit de ne pas y prendre part et de boycotter les rendez-vous électoraux du 26 octobre et du 23 novembre 2014». La sentence est prononcée. Participer aux élections est un péché avéré selon Férid Béji qui a longtemps appelé auparavant à ce que la politique soit séparée de la religion et à ce que l'instrumentalisation de l'islam à des fins politiques soit éradiquée. Mais que pensent les acteurs de la société politique et civile du retour à ces pratiques où la religion islamique est confisquée à souhait et exploitée selon les aléas de la conjoncture et les désirs des uns et des autres ? Nous récoltons ce que nous avons semé Le Pr Abdelmajid Abdelli, enseignant de droit public et membre actif de la société civile, est catégorique : «Nous récoltons ce que nous avons semé. Il nous faut reconnaître que la vague ahurissante des falsifications a produit ses effets. Et la fatwa de Férid Béji est l'illustration de la mauvaise réponse aux falsifications. La meilleure réponse est pourtant simple et tout le monde l'a ignorée : il fallait que l'Isie rejette les candidatures des falsificateurs et elle a la compétence de prendre cette décision». Il ajoute : «Introduire l'islam dans la politique ne peut mener qu'au désordre et à l'anarchie. Il est affligeant de voir qu'aujourd'hui, dans nos pays, n'importe qui peut se considérer comme un mufti et formule les fatwas comme bon lui semble. Quant à Farid Béji, je lui demande d'où tire-t-il sa légitimité pour formuler une telle fatwa ? S'il était un vrai érudit religieux qui maîtrise la science religieuse, il n'aurait pas dû prononcer cette fatwa». Il défonce des portes ouvertes «Affirmer que le discours religieux est de retour sur la scène politique est exagéré. Jusqu'à maintenant, tout le monde pratique un discours civil n'ayant aucun rapport avec le sacré et le profane. Notre ambition est que l'accord sur la mise à l'écart de la religion au cours de la campagne électorale sera respecté par les signataires du code de conduite», confie à La Presse Lazhar Akremi, porte-parole de Nida Tounès. «Férid Béji défonce des portes ouvertes et je ne pense pas que son appel au boycott des élections soit entendu par les Tunisiens», souligne-t-il.