Par Dr Habib BOUSSAADIA Elle est burlesque cette démocratie tunisienne : pathétique en apparence mais parodique dans la réalité ! Elle est émouvante et bouleversante quand des gens simples expriment leurs préoccupations quotidiennes devant la cherté de la vie, mais elle devient grotesque quand on voit comment elle est allégrement violée par les politiciens de l'après 14-janvier 2011. En termes simples : si vous avez du culot à revendre, de la cupidité à satisfaire et enfin une conscience à anesthésier, sachez que cette période est propice pour exprimer ces talents en herbe car l'instance Dignité et Vérité n'aura pas le temps pour épingler les nombreux opportunistes qui ont effectué leur lifting politique au grand dam de la population . Voici quelques exemples qui résument la situation en Tunisie ! 1. Au nom de la démocratie et du droit de toute personne à se présenter aux prochaines élections, vous pouvez concourir aux prochaines législatures sans aucune obligation de demander pardon au peuple tunisien pour les années de silence délictueux devant la douce terreur imposée par Ben Ali et l'ample corruption instaurée par les Trabelsi & Ben Ali. Ainsi, un ancien zélé mais très culotté parmi les vassaux du régime défunt de Ben Ali, a pu s'engouffrer sans aucune gêne dans cette brèche démocratique et clamer parmi les premiers son intention de se présenter aux élections présidentielles ! La démocratie ne l'oblige pas à dévoiler son programme politique, ou son patrimoine des biens mal acquis ; mais comme le dit le dicton « si vous n'avez pas de pudeur, faites ce que vous voulez » ! et pourquoi ne pas rapatrier Ben Ali avec statut de conseiller spécial à la présidence tant que vous y êtes! 2. La démocratie est émouvante quand on voit la multitude de partis en course, sauf que si vous êtes riches et que vous voulez conjuguer pouvoir et richesse, le côté parodique de la démocratie facilite cette collusion si vous êtes néophyte en politique ! Il suffit de contribuer généreusement à remplir la caisse d'un parti de votre choix, qui se fera un plaisir de vous désigner comme tête de liste ou à la rigueur second pour les prochaines législatures. On ne vous demandera pas s'il y a concordance entre vos idées et la politique globale du parti : c'est tellement secondaire que la question n'est pas abordée au moment où vous vous apprêtez à signer ce fameux don ! Quant à la pléthore de prétendants aux présidentielles, elle n'est pas à rattacher à la ferveur née après la démocratie mais à la convoitise des postulants : les bénéficiaires des 78 mille dinars savent d'avance que la restitution à l'état de cette somme n'est pas contraignante en cas d'échec ! Enfin et le must pour cette démocratie vacillante, est que certains députés se font monnayer à prix d'or leur signature pour les candidats. On peut parler sans risque d'erreur qu'on est dans un état d'«arnaquo- cratie» ou si vous voulez un Etat de droit « payant » ! 3. La démocratie stipule « concourir à armes égales devant le peuple » mais si vous avez occupé un poste de premier plan dans la hiérarchie de l'Etat tunisien, vous pouvez aussi postuler à la présidence en occultant de façon grossière le conflit d'intérêts dont vous êtes bénéficiaire et adjudicateur : le président de l'assemblée « consternante » qui a promis de démissionner s'est ravisé au dernier moment pour l'intérêt supérieur de l'Etat : c'est pathétique et parodique à la fois ! Son homologue à Carthage veut se représenter pour les présidentielles au terme d'un mandat de 3 douloureuses années pour le peuple où on relèvera ses week-ends prolongés à Sousse, sa fonction principale de «porte-voix» d'Ennahdha quand un membre de l'internationale des Frères musulmans est en position critique, son échec à réconcilier les Tunisiens et surtout la pléiade de conseillers CPR aussi mauvais dans la gestion des affaires d'Etat que nuisibles pour l'image de marque du pays dans le monde ! 4. La démocratie stipule un minimum d'éthique et si vous êtes attrapé la main dans le sac (détournement de fonds ou malversation) vous devez démissionner pour l'honneur ! Mais si vous êtes parent du président de ce grand parti, votre récupération est envisageable et même réalisable ; et le must de la parodie est que vous pouvez parader avec votre mentor lors des meetings officiels ou officieux de votre parti, comme si votre acte indélicat a été classé « coup bas » concocté par de vicieux journalistes d'investigation ! En conclusion la démocratie n'est pas seulement un mode de gouvernance. C'est aussi une culture , un état d'esprit : accepter l'alternance au pouvoir, reconnaître la réussite de l'adversaire , refuser la violence , savoir partir quand on sent qu'on ne peut plus apporter sa pierre pour la construction de l'édifice tunisien, et surtout faire tout cela en pensant à son pays, pas à sa propre personne ! Pour le moment, ces conditions ne sont pas toutes réunies d'où les atermoiements de la démocratie en Tunisie.