Phare de la musique et de la chanson tunisiennes, la Rachidia a profondément marqué l'histoire des arts tunisiens, préservant l'identité même de la culture du pays. Ainsi participa-t-elle à sa façon à la sauvegarde de la culture du pays contre les visées coloniales qui cherchaient à tirer un trait sur l'un des fondements de la tunisianité comme le souligne le contexte dans lequel elle a vu le jour. Le Congrès de la musique arabe En effet, plusieurs facteurs ont concouru à la naissance de cette troupe de légende, sinon de cette école et de cette référence des arts tunisiens. Le premier est la tenue à Tunis du Congrès eucharistique au mois de mai 1930 qui s'employa à installer une culture aux fondements chrétiens et européens à partir de la conviction de ses organisateurs, les croisés du siècle dernier, que le patrimoine musical et artistique tunisien représente un des piliers de la personnalité arabo-islamique du pays. Cet évènement aux portées et à la symbolique très importantes a incité de jeunes Tunisiens à donner jour à une association chargée de la sauvegarde de la chanson tunisienne. Autre facteur : la médiocrité affligeante dans laquelle était tombée la chanson tunisienne, prise en otage par quelques renégats des arts et des commerçants juifs, avec pour conséquence un produit musical insignifiant et d'un goût incertain. L'apparition à une grande échelle des disques des chansons orientales, popularisées aussi bien dans les maisons que dans les cafés avec pour conséquence une nouvelle tendance qui voit les chanteurs du pays se bousculer au portail pour enregistrer sur disque des chansons orientales. Dans ce contexte très inquiétant, c'est la chanson tunisienne de qualité qui en a fait les frais. En 1932, la délégation tunisienne venait de participer au Congrès de la musique arabe (du 28 mars au 3 avril 1932 au Caire). La délégation était formée de Khemaïes El Ati, Khemaïes Tarnane, Mohamed Ghanem, Ali Ben Aifa et le chanteur Mohamed Belhassen… Ce sont des spécialistes et cheikhs de l'art andalou. Le Baron Rudolf d'Erlanger est par ailleurs décédé après avoir pris part à la préparation du congrès, prenant à sa charge une grande part de son financement. Le rôle vital de Mustapha Sfar Par ailleurs, le directeur du protocole au Premier ministère, M.Mustapha Sfar, venait de rentrer de Constantine. Là-bas, dans cette province algérienne, M.Sfar a pu constater la belle renaissance artistique qu'elle vivait. A son retour, donc, M.Mustapha Sfar avait pour sujet de discussion favori le moyen de relancer la musique tunisienne. Il ne fréquentait plus que les cercles animés par cet exaltant dessein : mettre sur pied une association qui se consacrera à la musique tunisienne. Ses compagnons de route ont ainsi tenu plusieurs réunions préparatoires pour tracer les grandes lignes de leur entreprise. Les amateurs des arts et de la musique En novembre 1934, a été annoncée l'assemblée constitutive de la troupe à El Khaldounia. Y étaient présents un grand nombre d'amateurs des arts et de la musique dont: MM. Ahmed Dhahak (fonctionnaire au ministère de la Justice) Ahmed Ben Arous (Cheikh de Zaouit Sidi Ben Arous) Ahmed Ben Mami (commerçant et membre du Grand Conseil) Ahmed Ridha (ingénieur) Ahmed Driss (fonctionnaire au ministère des Finances) Ahmed Ben Ammar (fonctionnaire) Ahmed Belhassine (douanier) Ernest Cohen (un juif tunisien) Bahi Ladgham (grand amateur de la musique andalouse, fonctionnaire aux Finances, puis à la Chambre de commerce, partisan du Néo-Destour, ayant mené une manifestation contre le congrès eucharistique pour laquelle il a été emprisonné puis déporté et ayant assuré le secrétariat général du Parti dans les années 1950-1960, ainsi que les fonctions de Premier ministre et de ministre de la Défense). Assistaient également à cette assemblée constitutive : MM. Belhassen Ben Chaâbane (poète et enseignant à la Zitouna et à la Khaldounia). Belhassen Lasram ( grand amateur des arts). Béchir Boulakbache (enseignant) Jamaleddine Bousnina (fonctionnaire, journaliste et comédien) MM Jalaleddine Naccache (grand poète). Jacques Schemama (avocat juif, grand défenseur des nationalistes tunisiens, traduits devant des tribunaux français, militaires ou civils). David Khayat (un juif tunisien) Habib El Kéfi, (arrangeur à la Rachidia, commerçant de tissus en soie). Hassouna Ben Ammar (juge) Hassen El Béji (fonctionnaire et grand spécialiste du malouf). Tahar Zaouche (un des tout premiers médecins spécialistes tunisiens). Tahar Mhiri (grand commerçant d'huile d'olive) Taïeb Jmayel (avocat et grand luthiste). Tahar Kassar (poète et enseignant à la Zitouna) Tahar Mannaï Lalou Béchichi (musicien juif tunisien) Mohamed El Arbi Kabadi (doyen des hommes de lettres du pays) Mohamed Chedly Khaznadar (grand poète, fervent défenseur de la cause nationale). Mohamed Badra (traducteur au Premier ministère avant de devenir ministre de la Justice et ambassadeur en Egypte). Mohamed Bourguiba (poète et journaliste). Mohamed Tébourbi (fonctionnaire). El Haj Mohamed El Mamlouk (artisan à Souk Essarajine, cheikh de Soulamia) Mohamed Ben Slimène (juge) Mohamed El Béhi (agriculteur) -Mohamed Tlatli (gynécologue, chef de service à l'hôpital Aziza Othmana). Mohamed Ghanem (membre de la délégation tunisienne au congrès de la musique arabe au Caire) Mohamed Ali Annabi (ingénieur) Mohamed Ali Annabi (bibliothécaire) Mohamed Belhassine (journaliste) Abdelaziz Jemaïl (musisien) Hadj Othman Gharbi (poète et journaliste satirique, ayant publié le journal «Ezzahou» (La bonne humeur), auteur de plusieurs chansons reprises par la Rachidia Khémaïes Tarnane (grand compositeur) Youssef alias Soussou Slama (joueur de cythare d'origine juive)… En fait, ils étaient 71 personnes à avoir assisté à cet événement historique. Trois commissions furent à l'occasion composées‑: - Une commission littéraire pour l'écriture de paroles, de textes et de poèmes de qualité - Une commission musicale chargée de rassembler le patrimoine musical et de composer des chansons modernes - Une commission de propagande chargée de faire connaître cette association aussi bien auprès du grand public qu'à travers les médias Premier concert public On a choisi au nouveau-né le nom de la Rachidia en référence à Si Mohamed Rachid Bey, grand homme de lettres et musicien, né en 1701. Il assura un bref règne sur le pays avant de céder le pouvoir à son frère en raison de sa santé fragile. Le premier comité directeur de la Rachidia avait la composition suivante : Mustapha Sfar (président), Mustapha Kaâk, Haj Tahar Mhiri, Belhassen Lasram, et Docteur Khayat (vices-président), Moncef Okbi (secrétaire-général), Ahmed Ben Ammar (trésorier), Abdelaziz Ben Chaâbane (secrétaire général- adjoint), Jamel Eddine Bousnina, Abdelkader Belkhodja (secrétaire généraux-adjoints), Tahar Zaouch et Mohamed Ben Abdallah (conseillers). Belhassen Lasram a fait don de sa maison sise rue El Pacha n° 36 bis, près de la Place Romdhane Bey, pour servir de siège officiel de la Rachidia. Le premier concert public présenté par la Rachidia a eu lieu au Théâtre municipal en 1935. Le concert a été salué par les médias comme le signal de la naissance d'un véritable conservatoire de la musique tunisienne.