La loi de finances 2015 est jugée raisonnable au vu des circonstances économiques nationales et internationales. Les convergences sont plutôt autour de la loi de finances complémentaire, ce qui laisse présager un long débat lors de la discussion du plan quinquennal par la suite. Les priorités des uns ne sont pas forcément celles des autres... Participant au Forum de la loi de finances, organisé hier par l'Institut arabe des chefs d'entreprise (Iace), le président de la Commission économique et sociale du parti Nida Tounès, Slim Chaker, a annoncé que la loi de finances complémentaire pour l'année 2015 serait fin prête avant fin mars 2015. D'après lui, la LFC permettra de fournir les moyens et les outils nécessaires pour un plan d'urgence des cent premiers jours du nouveau gouvernement qui s'impose dans la situation actuelle du pays. Ce plan d'urgence, a-t-il expliqué, s'articulera sur trois axes principaux et prioritaires dont le rétablissement de la sécurité et notamment à travers le renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme, le rétablissement de la confiance des citoyens en l'Etat en leur assurant une vie décente, et l'élaboration d'un plan économique quinquennal afin d'avoir la visibilité nécessaire, améliorer le climat d'investissement et rétablir l'image du pays auprès des partenaires et bailleurs de fonds internationaux. « Une fois que le nouveau gouvernement prendra ses fonctions, il va mettre en place un plan d'action d'urgence pour les cent premiers jours. Cela impose une loi de finances complémentaire, en concordance avec la loi de finances initiale, qui mettra en place les outils nécessaires pour ce plan d'urgence», a-t-il affirmé. Et d'ajouter : « Le plan quinquennal devra bénéficier du plus large consensus possible, ce qui prendra pas moins de 9 mois de travail ». Alors que, lors du débat, les avis ont été unanimes autour des efforts fournis lors de l'élaboration de la loi de finances 2015 afin de préserver les équilibres financiers, ils ne l'étaient pas quant à l'impératif d'élaborer une loi de finances complémentaire ou pas. Noômen El Fehri de Afek Tounès et rapporteur adjoint au sein de la Commission spéciale chargée des finances au Parlement, considère que l'urgence prioritaire n'est pas d'élaborer la LFC mais plutôt de relancer les projets en suspens, ainsi que la loi sur le partenariat public-privé (PPP). Dans ce sens, il prône l'adoption d'une loi d'urgence économique qui s'impose au vu des circonstances et qui donnerait les pleins pouvoirs au chef du gouvernement d'accélérer les procédures et contourner les lourdeurs administratives et juridiques, tout en gardant un processus de contrôle a posteriori. Pour sa part, Slim Besbes, membre du mouvement Ennahdha et président de la Commission spéciale chargée des finances au Parlement, est, par contre, favorable à une LFC qui comblerait les défaillances de la loi de finances. Selon lui, cette dernière manque d'orientations claires et laissera le prochain gouvernement face à un défaut de revenus nécessaires pour réaliser les objectifs initiaux, notamment en matière de développement. Compétitivité des entreprises menacées Sur un autre plan, les nombreux participants audit forum — une centaine de personnalités, notamment des experts économiques de diverses spécialités — qui a été animé par l'expert-comptable Finor Tunisie, Fayçal Derbel, et le président du Ctive, Walid Bel Hadj Amor, ont débattu, entre autres, des dispositions fiscales et de la compétitivité des entreprises. En ouverture du forum, Fayçal Derbel a qualifié la loi de finances de « light » puisque, selon lui, elle ne comporte que 25 dispositions fiscales et a été élaborée, à l'image de ses précédentes, sur fond de prédominance du politique aux dépens des questions économiques majeures du pays. Et d'ajouter : « L'Assemblée nationale constituante a laissé le code de l'investissement et la loi sur le partenariat public-privé (PPP) dans ses tiroirs et n'avait voté que trois lois à caractère économique sur un total de 59 textes pendant ses trois années d'exercice ». Rebondissant sur le faible taux de croissance enregistré en 2014, 2,2%, il a évoqué plusieurs handicaps qui ont entravé la croissance économique à l'instar de la baisse du rythme des investissements, le déficit grandissant de la balance commerciale ainsi que la situation critique de la productivité du secteur du phosphate, dont la production n'avait pas dépassé les 3,9 millions de tonnes en 2014. « On a, certes, revu le taux de croissance à la baisse, 3%, par rapport aux promesses électorales de la majorité des partis lors de la campagne électorale. Mais le déficit budgétaire est de 4,9% et le taux d'endettement public est de 52,9%. Cette loi de finances a été élaborée sur la base de certaines hypothèses dont le prix du baril, estimé alors à 95 dollars, ainsi qu'une parité dinar/dollar à près de 1,8. Même en révisant ces paramètres, d'où va-t-on combler la hausse attendue du budget de 5,5%, alors qu'on n'a pas opté pour la reconduction de certaines mesures comme la contribution conjoncturelle et la redevance de compensations », s'est-il demandé. L'autre facteur qui préoccupe l'expert est la dette nationale qui, combinée avec les fluctuations du taux de change, serait plus importante dans les prochaines années et serait ainsi insoutenable... En revanche, Derbel a valorisé le renforcement, dans la LF, des garanties du contribuable qui met désormais l'administration devant un délai précis pour répondre aux oppositions reçues. Il a aussi apprécié les mesures de soutien aux entreprises totalement exportatrices, désormais autorisées à écouler jusqu'à 50% de leurs marchandises sur le marché local, selon lui un levier important face aux troubles sur les marchés européens et libyen. Un avis qui n'est pas partagé par d'autres experts qui voient en cette mesure un handicap supplémentaire devant les produits locaux qui peinent déjà avec la hausse des prix et la réduction du pouvoir d'achat du Tunisien. Une croissance faible tirée par la consommation et non par l'investissement, baisse des investissements publics, faible contribution du privé dans l'économie et d'autres éléments ont été évoqués par Walid Bel Hadj Amor, qui a énuméré les facteurs qui limitent le potentiel de croissance et accable l'entreprise. Il a, dans ce sens, présenté les menaces auxquelles fait face la compétitivité-prix dont la pression des charges sociales, le coût de production, etc. D'après lui, le changement vers une compétitivité-qualité est difficile sans des mesures, entre autres, d'accompagnement aux entreprises, alors que le transfert des technologies ne se fait pas aussi facilement. Le président du Ctive ne voit pas en la loi de finances 2015 d'apport significatif pour renforcer la compétitivité des entreprises. Par ailleurs, le Forum de l'Iace a enregistré hier l'absence de Hamma Hammami, secrétaire général du Front Populaire, ainsi que de Mohsen Hassen, président du bloc parlementaire de l'UPL.