Par M'hamed JAIBI La marche contre le terrorisme organisée, hier, par Nida Tounès et rejointe par Ennahdha et d'autres partis, prônait symboliquement l'impératif de la mise en place d'un «front uni de toutes les forces civiles et démocratiques» contre le jihadisme. Bien que parsemée de petites frictions et de slogans accusateurs opposant ses composantes partisanes, sur la base d'anciens clivages idéologiques et politiques et de malentendus tenaces, elle a réussi à faire intérioriser à ses participants et à l'opinion publique la nécessaire idée d'une indispensable «unité nationale» devant prémunir le pays contre les menaces extérieures et les foyers de déviance internes. Une vraie marche nationale... Certes, une vraie marche nationale aurait gagné à être organisée conjointement et solidairement entre tous, et à voir la démarche autant que les slogans et mots d'ordre âprement négociés, mais l'initiative s'imposait assurément. Autour de Taïeb Baccouche et des autres dirigeants de Nida Tounès, le Quartet qui avait parrainé le Dialogue national était là au complet, ainsi que des têtes d'affiche d'Ennahdha, les leaders d'Al Massar, les chefs d'Al Moubadara destourienne, des figures de proue du Front populaire brandissant les portraits de feu Belaïd et Brahmi, le secrétaire général de l'Alliance démocratique... et mille et une figures des divers bords et fractions de la société civile, elle-même compartimentée. Mais l'«union sacrée» contre le terrorisme, que devait matérialiser cette marche «consensuelle» en réaction au quadruple assassinat dont viennent d'être victimes de fiers défenseurs de la patrie, enfants du peuple ravis à la fleur de l'âge, n'a pas vraiment été à l'ordre du jour. Le Front populaire sans Hamma Le Front populaire, très présent mais sans Hamma, qui, suite à la polémique autour de la présidence de la commission des finances à l'Assemblée, accusait justement Ennahdha et Nida Tounès d'avoir scellé, à ses dépens, une véritable «union sacrée», constate sur le terrain la discordance des approches et des discours entre les deux formations les mieux représentées â l'ARP. Mais Habib Essid et ceux qui l'ont pressenti puis investi comme rassembleur et acteur de l'unité nationale ne peuvent que faire le constat du dur labeur qui les attend s'ils veulent réellement concrétiser ce vœu. Mais peut-on reprocher aux anciens concepteurs et acteurs du sit-in du Bardo de rester sur leur faim quant aux responsabilités dans les assassinats politiques, sur leurs positions quant à l'ancienne attitude d'Ennahdha et ses alliés d'alors à l'égard de l'envoi de jihadistes en Syrie, des «jeunes sportifs» du Chaâmbi et d'ailleurs, leur «rappelant leur jeunesse», du rôle du Qatar ou de la Turquie, du déferlement de prédicateurs extrémistes prônant le jihad sur notre sol et dans nos mosquées qu'on avait permis aux salafistes wahhabites de contrôler... Mettre les points sur les «i» Il est un fait certain aujourd'hui, c'est que les islamistes tunisiens étaient bel et bien là, activement présents dans cette marche unitaire contre le terrorisme, de la même manière qu'ils avaient prouvé, en dissolvant le gouvernement Laârayedh au profit du cabinet technocratique de Mehdi Jomâa, et en adoptant dans la Constitution les principes de l'Etat civil, qu'ils abordent une phase soit de profonde réflexion, soit de recul tactique. Maintenant, tant qu'ils n'auront pas eux-mêmes mis explicitement les points sur les «i», tant qu'ils continueront à parler de «concessions», tant que le flou des références et des allégeances sera entretenu, l'avenir du pays et son destin se jouent, en fait, dans cette nuance. S'agit-il d'un recul tactique ou d'un abandon sincère des options théocratiques ? Ou y a-t-il des deux? Ennahdha est-il devenu un parti de colombes, de démocrates modernistes acquis à l'Etat civil, au Code du statut personnel et au droit positif républicain de la souveraineté populaire ? L'avenir nous le dira. Et surtout l'avenir des relations internationales, car au sein du mouvement lui-même trop nombreux sont ceux qui n'adoptent la «démarche parisienne» de Rached Ghannouchi qu'à demi-mot, comme l'a bien démontré leur ralliement massif au candidat Marzouki lors de la présidentielle. Et, dans le doute, et malgré les avantages majeurs qu'apporterait à la Tunisie une unité nationale réelle, effective et durable, beaucoup à Nida Tounès et dans d'autres partis se demandent s'il faut vraiment croire à une réconciliation authentique.