Peut-on considérer le célibat comme un problème psychologique ? Le psychothérapeute Fethi Houcine considère que le célibat n'engendre pas de souffrance psychologique, mais qu'il s'agit plutôt de stress exogènes, dont les origines sont d'ordre social. Avant d'aborder la question psychologique, il est indispensable d'introduire le sujet dans le contexte sociologique. Le célibat n'est pas une maladie, mais il y a des souffrances psychologiques qui y sont greffées. Il existe un bouleversement dû à ce qu'on appelle la post-modernité depuis les années 80. Toutes les sociétés occidentales sont passées par ce bouleversement : relâchement des grandes entreprises, de la famille, les liens dans le travail. C'est pourquoi les couples sont devenus éphémères, les contrats de travail sont plus précaires qu'avant, etc. On est passé d'une société solide à une société liquide où les choses sont devenues plus ou moins floues. C'est pour cela qu'il y a ce phénomène social de décalage d'âge du mariage, les familles monoparentales, les mariages homosexuels et hétérosexuels. La société occidentale a répondu à cela par le concubinage. Nos sociétés arabes sont frappées indirectement par cette postmodernité. En Tunisie, la famille d'aujourd'hui n'est pas la famille d'autrefois. Les liens sociaux ont changé. La femme tunisienne est embarquée dans cette post-modernité. Elle doit continuer ses études très loin, elle devient par exemple chef d'entreprise. Les priorités ne sont plus celles des années 60. Une femme tunisienne ordinaire à 23 ans poursuit encore ses études à la faculté et ne pense pas du tout au mariage. Jadis, à cet âge-là, elle était mariée et mère d'enfants. Tous ces bouleversements sociaux sont dus à la mondialisation. En un mot, il y a un peu plus de liberté et moins de sécurité. Quelle sont les souffrances psychologiques que cela peut engendrer ? C'est plutôt un autre mode de vie et il n'y a pas forcément de souffrance psychologique; par contre on peut parler d'un grand stress social. C'est la société qui pèse et génère un certain stress vis-à-vis de la personne célibataire. Il s'agit d'un stress exogène auquel beaucoup de célibataires sont soumis. L'agent stressant est donc l'entourage et la famille parfois spontanément et, d'autres fois, il s'agit d'une mauvaise foi, ce qui peut engendrer des souffrances. D'autant plus qu'en Tunisie, nous sortons d'une révolution où on retrouve une dislocation de tous les systèmes et donc une précarité qui se répand partout. Le stress est vécu de manière plus douloureuse dans notre pays. Même notre modernité est précaire, nous sommes frappés par ce nouveau libéralisme international sans avoir de structures solides. Le problème social est beaucoup plus aigu qu'en Europe. Ne pensez-vous pas que chez la femme, le célibat est doublement pénalisant ? Certes, c'est pénalisant à cause de la fécondité et de l'âge limite. Avoir des enfants ou pas ou être en couple ou pas est un choix. Ce sont encore une fois de faux problèmes car il s'agit de stress exogène. On connaît des couples qui ont regretté le mariage et ont vécu de grandes souffrances. Il y a aussi le problème démographique qui inquiète les politiques L'Etat gère de manière plus ou moins hypocrite les grands problèmes sociaux souvent dans le cadre de contextes électoraux. La marge de manœuvre du politique est beaucoup moins importante qu'on le croit. Le politique est dépassé par le contexte international. Quelles sont les véritables causes psychologiques qui peuvent être derrière le célibat ? Il y a des structures de personnalité bien particulières, ce qu'on appelle des personnalités pathologiques : hésitantes, évitantes, anxieuses, phobiques et antisociales. Chez ces personnes il y a une difficulté à établir un lien social pas uniquement dans le mariage mais même dans le travail. La personne ne peut pas nouer durablement un lien social. Ces personnes consultent souvent lorsqu'ils établissent une première rencontre, lorsqu'elles sentent que ça ne va pas. Les réseaux sociaux aident-ils ces cas pathologiques à établir une relation ? «La vie est vraie comme une illusion», disait Mahmoud Derouiche. Les gens qui se contentent de contact virtuel ont des troubles de personnalité. Il y a une autre catégorie : les malades mentaux, lorsque quelqu'un vient consulter à 40 ou 55 ans, je lui pose la question : est-ce que vous êtes marié, à la fin de l'entretien, je fais le diagnostic d'une schizophrénie ou d'une névrose obsessionnelle grave ou une psychose. Certaines maladies graves se déclarent à l'âge de l'adolescence lorsque des liens doivent être établis avec l'autre sexué; s'installe alors la maladie. C'est le lien social qui est atteint par cette maladie. C'est une difficulté supplémentaire mais colossale. Malheureusement en Tunisie, il n'y a pas d'appartement thérapeutique où les malades peuvent se rencontrer pour établir des liens et se marier entre eux. Car le fait que l'autre soit aussi malade on a moins peur de l'aborder. Une autre catégorie de maladie, dont on ne parle pas beaucoup, est ce qu'appelait Freud «les névroses de destinée». Il s'agit de personnes qui se comportent de manière répétitive. Ils sont dans l'échec. Chaque lien qu'elles établissent se résout par un échec. L'échec nourrit l'échec et elles font porter le chapeau au Maktoub (destin). On explique cela par un sentiment de culpabilité inconscient. Il y a aussi les débuts amoureux difficiles, les histoires traumatiques individuelles. Ce sont des personnes qui craignent de répéter l'échec dans une deuxième relation alors elles se renferment sur elles-mêmes et entrent dans un cercle vicieux. C'est ce qu'on appelle les névroses traumatiques. Par ailleurs, il faut séparer le sexuel du social. Beaucoup de célibataires vivent pleinement leur sexualité et ne veulent pas être importunés par le mariage qui reste une grande responsabilité.