Par Khaled TEBOURBI On se promet « d'arrêter » avec la télé et les «buzz» télé, ça nous revient, presque, à tous les coups. Il y avait une «secte» bien particulière, années 90, aux Etats-Unis. Elle se donnait pour nom : «la télévision est mieux que la vie !». Ses membres, de vrais «accrocs», consommaient leurs existences à se relayer devant la petite lucarne pour ne pas rater la moindre émission. Honnêtement, on n'en est pas loin. Tous que nous sommes ! De la gent commune à beaux QI. La révolution nous a transmis cette espèce de «téléphagie». Nous regardons tout, en vrac, pensant être libres de nos choix, alors que nous n'avons pas idée de l'effet que cette «absorption massive» a sur nos jugements et nos comportements. Ça nous revient par « téléphagie », par «virus contracté», mais il y a des raisons « rationnelles » à cela. L'actualité, en premier lieu, devenue systématiquement « otage » de la télévision. C'est la télévision qui décide des priorités aujourd'hui. Et pas forcément selon les meilleurs critères. Exemple de cette première quinzaine de mars où chaînes publiques et privées auront «matraqué» à souhait les « révélations» du professeur Ettalbi et les querelles de Nida Tounès, au détriment de faits politiques, sociaux et culturels objectivement plus importants. Franchement, quel intérêt présentaient ces sorties répétées du Pr Ettalbi, sinon «d'ameuter » l'opinion (les téléspectateurs et les publicitaires) sur des questions, plutôt anachroniques, comme l'interdiction (ou non)du vin et de la prostitution dans l'Islam ? Plus gênant encore : que faisait un tel savant sur de tels plateaux et face à de tels interlocuteurs ? Nos confrères de la télé ont peut-être « l'excuse » du gain, mais l'immense Pr Ettalbi , qu' y gagnait-il, sauf se «coltiner » à un monde qui ne pouvait que desservir son image et nuire à sa réputation ? Seconde raison, maintes fois réitérée ici : l' absence d'une politique de l'audiovisuel. Schématiquement, cela se résume en des chaînes privées qui n'en font qu'à leur guise, et une télé publique qui ne se conduit pas comme telle. Résultat : on ne sait plus quel rôle est alloué à la télévision, si c'est un service rendu à une communauté de contribuables, ou si c'est une « boutique » dont tout détenteur de « patente » peut user comme il l'entend ? L'interrogation n'est pas anodine. Elle pose un problème crucial, celui de bien faire la part de la liberté des diffuseurs et des impératifs culturels et éducatifs de l'Etat. A ce jour, les réponses données ne résolvent pas grand-chose. Voire, tous les intervenants semblent se complaire dans une sorte d'ambiguïté. Les patrons de chaînes privées se prévalent de leur « absolue liberté éditoriale », alors que la télévision publique glisse , sans que nul ne l'y invite, vers les stratégies de marché. Inutile de vouloir convaincre, mais on peut rappeler aux uns, comme aux autres, que dans tous les cas, une autorisation de diffusion télévisuelle correspond à une mission de service public. Concrètement, nos deux « Watanias » doivent, d'abord, se conformer aux objectifs fixés par l'Etat. L'aspect lucratif n'est pas exigé. En tout état de cause, il passe en second. Les chaînes privées, pour leur part, ont des obligations à respecter, dont précisément, celle ne pas omettre qu'elles participent, elles aussi, du service public de la télévision. Des valeurs s'imposent aux diffuseurs, publics ou privés. Des principes consacrés par la Constitution, votés par des élus de la nation. Sur un plateau de téléréalité, l'autre soir, un animateur interrogeait une femme battue sur « les raisons qui ont poussé son mari à la battre » !?. Se produire dans une télé privée n'autorise pas à proférer (même sans le savoir) de telles calamités sur la femme tunisienne. Cette idée du «tout permis» devrait être rayée de l'esprit de tous les patrons de chaînes. Sans exception ! Un mot, pour finir, à propos des « stratégies commerciales» de la télévision publique. L'expression est exagérée, mais la tendance existe depuis longtemps déjà. Il en a résulté, et il en résulte encore, une distance de plus en plus accentuée, entre des institutions appelées à remplir une seule et même fonction d'intérêt public. On n'en avertira jamais assez : nos deux chaînes nationales privilégient, de plus en plus, la « démarche publicitaire ». Or ce n'est pas, exactement, ce qu'on leur demande. On en attend, plutôt, d'être les renforts du développement du pays, de ses activités éducatives, culturelles et artistiques, par-dessus tout. La culture nationale doit s'inscrire dans un processus entier et cohérent, ralliant l'école, l'environnement sociétal, la formation des élites praticiennes et des publics de l'art, la production et la diffusion. Aucune perspective de réussite si le « chaînon » télévisuel y fait défaut.