Par Khaled TEBOURBI Une nouvelle chaîne (Tounessna TV) s'ajoute, donc, à notre paysage télévisuel. Et quatre autres sont annoncées, ayant également reçu l'approbation de l'Instance nationale pour la réforme de l'information et de la communication (Inric). En ces temps de liberté, l'irruption des télés privées semble aller de soi. L'espace cathodique est ouvert. On peut émettre, diffuser, pourvu que l'on justifie de moyens, et que les dossiers présentés répondent aux normes de la profession. Dans nos contrées du Sud, pourtant , la privatisation de la télévision n'offre pas que des avantages. On est des pays neufs, notre production en la matière reste limitée, nos marchés sont réduits, nos publics, surtout, s'avèrent encore trop fragiles. Ce dernier point a toute son importance. Dans sa facture actuelle, commerçante, influente, satellitaire, planétaire, la télévision occupe l'essentiel de nos vies. Elle s'y confond presque. Inutile d'insister sur «les effets pervers» que lui prête la sociologie moderne. Ce n'est plus qu'un simple loisir, un divertissement innocent qui nous repose de nos journées de labeur. C'est un «instrument» omniprésent, de tous les instants, piloté par «les puissants de ce monde», disait Pierre Bourdieu, qui oriente les opinions, façonne les esprits, conditionne les intelligences et les goûts. En un mot, la télévision, de nos jours, pose un problème de culture. Et l'impression, ici, est que les décideurs n'y pensent pas assez. Sous la dictature, soit, ce n'était pas le premier des soucis. Voire, on en faisait usage à dessein, pour mieux assujetir les populations. Les chaînes publiques mêmes contribuaient au gâchis. Quant aux deux seules «libres», on sait dans quelle mesure elles étaient «alignées». Mais là, maintenant, à l'aube de la République démocratique, à l'heure de l'éveil citoyen, une réflexion préalable sur le rôle et le contenu de nos télévisions ne devient-elle pas primordiale? A contre-courant On voit, certes, venir la réplique : on n'autorise pas la création de chaînes indépendantes pour, aussitôt, interférer dans leurs choix. Vrai. Mais nous n'en sommes qu'au début d'une expérience. Le passif accumulé, tout au long d'un quart de siècle de gouvernance irresponsable, est énorme. Des exceptions à la règle peuvent (doivent) être envisagées. Le défaut majeur du système audiovisuel tunisien a résidé, jusqu'ici, dans le fait qu'il fonctionne à contre-courant des institutions éducatives et culturelles. Ce que celles-ci produisent en termes d'enseignement, de formation, ce qu'elles inculquent de principes et de valeurs est, simultanément, faussé par ce qui se propose à la télévision. Ce qui se construit de meilleur en amont est compromis en aval. Et il n'y a pas photo: l'impact de la mauvaise musique, du sport à profusion, de la télé-réalité larmoyante et des feuilletons mélos est autrement plus prégnant et durable que ce qui se retient de l'école, de l'initiation et de l'apprentissage de base ou même de la fréquentation des spectacles. Pas la mer à boire Une faille. Une grosse faille. Un maillon, ô combien déterminant, manque à la chaîne de la culture : l'audiovisuel qui fait toujours cavalier seul. Si on ne comble pas ce vide, la chaîne entière continuera de fonctionner en perte de sens. Avec la télévision publique, le raccord ne serait guère prohibitif. Bien au contraire, cela devrait être une conduite obligée. Avec les chaînes privées, l'idée serait de négocier une sorte de «quota pour l'Etat», à partir duquel les diffuseurs libres, tout en préservant leurs plus grandes marges commerciales, aideraient à rendre plus cohérent le rapport entre la politique générale de la culture et la programmation télévisuelle. L'Inric, à ce jour, n'exige qu'un cahier des charges technique et financier. Au mieux, déontologique. On pourrait imaginer qu'elle réunisse encore autour d'une table, les patrons de chaînes, les responsables du ministère, les directeurs de festivals (car eux aussi sont impliqués) aux fins de convenir de ce supplément culturel utile, pour l'heure du moins, toujours urgent. Ça rendrait service au pays. Et ce ne serait pas «la mer à boire». A méditer.