Par Dr Amor CHERMITI Il est admis qu'aucun pays dans le monde n'a gravi dans les échelons technologiques et industriels sans le développement de l'agriculture. La transformation de l'agriculture doit être une condition préalable pour libérer le potentiel de développement économique du pays. Cela est d'autant plus convaincant que l'agriculture a été depuis longtemps le pilier fondamental de l'économie tunisienne, compte tenu de son rôle économique, social et politique. D'ailleurs, depuis la période coloniale, et bien avant (période romaine), les terres tunisiennes, plus fertiles à l'époque, assuraient des productions importantes, notamment en céréales, de sorte que la Tunisie était considérée comme le grenier de Rome (Matmouret Rouma). La Tunisie exportait du blé dur et de la viande, durant la période coloniale et même après l'indépendance. De nos jours, nous importons souvent même plus de la moitié de nos besoins, notamment en céréales, ce qui alourdit les charges de la Caisse générale de compensation. Ces charges sont et seront de plus en plus élevées devant, d'une part, la volatilité des prix sur le marché international, et si aucune mesure n'est prise pour l'amélioration de la productivité et de la rentabilité des secteurs stratégiques, dont en particulier celui des grandes cultures et de l'élevage, d'autre part. De même, et en ce qui concerne les productions animales, même si plus de 80% des besoins en lait et en viande soient couverts, nous devons noter que l'amélioration de la production est beaucoup plus liée à l'augmentation des effectifs, et non à l'amélioration de la productivité. Elle est également liée à l'importation et à l'utilisation massive de matières premières utilisées dans l'alimentation du cheptel (maïs, soja, orge, etc.). La production de lait et de viande est fortement liée aux aliments concentrés, de sorte que la vache laitière est transformée en poule pondeuse, ce qui est contraire à la physiologie de la digestion chez les ruminants. Ces importations sont de plus en plus importantes durant les période de sécheresse, devenues plus fréquentes et de longue durée, alors que l'impact des changements climatiques sur l'agriculture n'est pas pris en considération comme priorité dans les programmes de recherche scientifique. Nous devons noter, par ailleurs, que tous nos systèmes de productions agricoles (céréales, élevage, arboriculture, cultures maraîchères, olivier, palmier-dattier, agrumes, etc.) sont très fragiles aussi bien en années favorables que durant les périodes de sécheresse. Ils doivent également affronter de nombreux défis tels que la volatilité des prix et la compétitivité au niveau régional et international, les changements climatiques, la dégradation des ressources naturelles limitées, une consommation plus importante en quantité et en qualité, etc.). De tels constats imposent, aujourd'hui et demain, à ce que l'agriculture tunisienne doit être repensée sur la base des expériences réussies et non réussies du passé, d'une part, et prendre en considération les expériences et les modèles développés dans d'autres régions du monde (Asie : Japon, Corée du Sud; Amérique du Sud : Brésil, Mexique ; Afrique : Afrique du Sud, Maroc, etc.), d'autre part. La révolution qu'a vécue notre pays depuis janvier 2011 impose aux planificateurs et aux décideurs de nouvelles réflexions et approches pour atténuer au fur et à mesure les revendications dans certaines régions tout en visant une meilleure projection vers l'avenir. A ce titre, et en ce qui concerne le secteur des grandes cultures et de l'élevage, des mesures audacieuses et efficaces doivent être prises, telles que : - Une révision profonde du système de la formation professionnelle, de l'enseignement supérieur, de la recherche et de la vulgarisation agricoles, aussi bien au niveau des structures qu'au niveau de l'impact sur le développement régional. L'orientation de la recherche pour le développement agricole en vue de la création de projets innovateurs pour le renforcement de l'emploi est une nécessité ; autrement dit, il fallait transformer les résultats de la recherche agronomique en termes d'impact sur le développement régional à travers l'innovation et la valorisation industrielle des résultats de la recherche (partenariat public-privé). - La production nationale des semences sélectionnées doit être considérée comme une priorité des priorités nationales dans les programmes stratégiques de l'agriculture du pays. Assurer la production nationale en semences et en plants sélectionnés et indemnes de maladies, c'est contribuer à la souveraineté alimentaire du pays. - L'amélioration de la productivité et de la rentabilité du secteur des grandes cultures passe inévitablement par une maîtrise efficace des paramètres techniques (travail du sol, fertilisation raisonnée, traitement des maladies et des adventices, conditions post-récoltes, etc.) à travers le rapprochement de la recherche agronomique vers l'exploitation agricole. Une telle approche impose une réelle intégration de la fonction de vulgarisation agricole dans les programmes de recherche agronomique pour le développement. L'expérience réalisée et réussie en Tunisie dans ce domaine entre la recherche agronomique et la profession a été, d'ailleurs, reprise par certains pays en Europe et en Afrique, alors qu'elle a été considérée autrement dans notre pays depuis 2011. - Le développement de l'élevage doit tenir compte des spécificités des régions. La production de lait et de viande doit être assurée, entre autres, à partir des ressources alimentaires locales, et de moins en moins dépendante des matières premières importées. Certaines régions peuvent être considérées comme des bassins laitiers et/ou de viande (région de Sejnène par exemple), à travers le renforcement du rôle technique des offices de développement. D'ailleurs, il y a quelques années, le rôle joué par ces « écoles » : céréales, Medjerda, Nebhana, Kairouan, OEP, à travers les divisions techniques et les stations d'appui à la recherche, a été parmi les expériences réussies en Tunisie. Ces offices ont joué un rôle important dans la formation des jeunes ingénieurs agronomes, et dans le rapprochement de la recherche agronomique pour l'exploitation agricole. - La considération de certains programmes de recherche en tant que programmes nationaux prioritaires (PNP) dans le cadre des projets régionaux de développement serait la base de relance de tous les secteurs stratégiques, et par conséquent, du développement de l'agriculture, notamment dans les régions défavorisées du pays. Parmi ces PNP, citons à titre d'exemple celui relatif à la production de génisses locales pour l'élevage et l'amélioration de la production fourragère et des parcours. Repenser notre agriculture est une nécessité. La gestion l'agriculture doit être à travers la mise en place de plans de régionaux de développement tenant compte des spécificités des régions et de la complémentarité entre elles. A.C. *(Directeur de recherche)