Lutter contre le harcèlement sexuel des enfants et adolescents : Le FTDES publie deux guides numériques    Slim Kacem : « La Tunisie est sur la bonne voie pour revenir aux fondements de l'école de la République »    Intérieur : opération coup de poing contre les réseaux illégaux de monopole et de spéculation    ESET Research découvre PromptLock, le premier ransomware piloté par l'intelligence artificielle    Energie : la dépendance de la Tunisie bondit à 63%    Russie : Séisme de Magnitude 5.3 au Kamtchatka    Courir pour Gaza : Un ultramarathon de solidarité à travers la Tunisie    L'USBG – se fait renverser à la fin : Un scénario fatal !    Ligue 1 – 5e journée – ASG-ESZ (0-1) : Les Zarzissiens en voulaient plus...    Rentrée scolaire : semer le savoir, éradiquer la corruption    Rentrée scolaire 2025–2026 : l'ASR appelle à appliquer la loi relative à la "Zone 30" et sécuriser le périmètre des écoles    Protection Civile : Plus de 450 Interventions en une Journée    Ridha Chkoundali nuance la portée de la révision de la note de Fitch Ratings pour la Tunisie    Kia EV3 et Sportage brillent aux What Car? Electric Car Awards 2025    Ons Jabeur en passe d'ouvrir une nouvelle académie pour jeunes talents à Dubaï    Sami Rachikou : plus de cent dealers arrêtés aux abords des établissements scolaires en 2024    Ben Arous : la Garde nationale interpelle l'homme impliqué dans le braquage d'une banque    Marwa Bouzayani en Finale du 3000m Steeple aux Mondiaux d'Athlétisme !    L'administration profonde freine la réforme du Code du travail en Tunisie, selon Youssef Tarchoun    Le ministre de l'Education : « Nous interviendrons rapidement en cas de problème »    Séisme de Magnitude 5,7 Secoue l'Assam en Inde    Météo : nuages et pluies faibles attendues    Rentrée 2025 : Evitez l'entrée sud, suivez les nouveaux trajets !    La Tunisie serait-elle une destination d'exil pour certains dirigeants du Hamas ?    MONDIACULT 2025-Tunis accueille les « Indicateurs Culture 2030 de l'Unesco »    Dar El Kamila à La Marsa ouverte au public pour les Journées européennes du patrimoine 2025    Un faux fusil d'assaut braqué sur la police, mandat de dépôt contre le suspect    Le Président Abdelmadjid Tebboune nomme Sifi Ghrib Premier ministre    À partir du 17 septembre : TikTok pourrait être interdit aux Etats-Unis    La flottille Al Soumoud entre la clarté de l'adhésion populaire et le tangage des autorités    Production d'électricité: une hausse de 4% enregistrée    Balance énergétique : Tunisie réduit son déficit de 5 %    Abdelaziz Kacem: Le poignard d'Esmeralda    La victoire de Boubaker Bethabet saluée par les avocats    Nouveau pont de Bizerte : avancement des travaux et ouverture prévue en 2027    Kaïs Saïed dénonce de « faux adversaires » manipulés par un metteur en scène    Hommage posthume à Fadhel Jaziri : deux jours de commémoration pour son quarantième jour de décès    72ème anniversaire de l'assassinat de Hédi Chaker: Photos et documents révélés par les Archives nationales    Hannibal Mejbri offre un immeuble estimé à un million de dinars à SOS villages d'enfants    L'artiste Wadi Mhiri décédé à l'âge de 60 ans    JCC 2025 : ouverture des inscriptions pour la section "Cinéma du Monde" jusqu'au 10 octobre    Exposition l'objet de Majed Zalila : Bizarre, Bizarre    Les trois savants auxquels Abdelmajid Charfi témoigne de sa profonde reconnaissance    Sidi Bou Saïd : la Tunisie accélère le dossier d'inscription à l'Unesco    Le futur champion tunisien Rami Rahmouni sur le point d'être naturalisé en Arabie Saoudite    Une source précieuse : Encyclopédie de Science politique    La FIFA donne raison à la Fédération tunisienne : les joueurs avertis !    La Tunisie valide son billet pour la Coupe du monde 2026 grâce à Ben Romdhane    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Tahar Haddad, écrivain féministe avant la lettre
Publié dans Leaders le 11 - 08 - 2015

Il y a presque soixante ans, la Tunisie s'est dotée d'une législation sociale d'avant-garde. Promulgué le 13 Août 1956, soit cinq mois après la signature du protocole de l'Indépendance, le Code du Statut Personnel ( CSP) pose le principe de l'égalité homme-femme en institutionnalisant pour la première fois en Tunisie et dans le monde arabe les droits de la femme. Acte politique majeur, dû à la jeune équipe dirigeante de l'époque, et notamment au Premier ministre, Habib Bourguiba, le CSP vise, au-delà de la reconnaissance des droits de la femme, à accélérer l'évolution de la Tunisie. Rompant avec la vision anachronique de la société traditionnelle, cette démarche moderniste ouvre la voie à l'intégration de la femme dans le processus de développement. L'objectif est d'autant plus ambitieux que la société tunisienne, à peine sortie de la nuit coloniale, est peu préparée à s'inscrire dans cette démarche.
Mais si le CSP est résolument tourné vers l'avenir, son esprit et sa teneur portent la marque d'une réflexion qui a divisé l'élite tunisienne dans un passé récent. S'inspirant largement des idées développées un quart de siècle plus tôt par un zitounien éclairé : Tahar Haddad qui a payé un lourd tribut à son courage intellectuel, la promulgation du CSP tranche un débat qui a marqué les esprits au début des années trente. La prise en compte des propositions de T. Haddad constitue une réhabilitation, à titre posthume, d'un ancien militant des droits de la femme, mis injustement au ban de la société .
Ironie de l'histoire, le CSP soulève l'opposition des milieux conservateurs, c'est-à-dire des ténors du parti vieux Destour et et de certains Oulamas de la Zitouna qui réfutent, au nom des préceptes religieux la suppression de la polygamie et l'institution de tribunaux pour le divorce. Curieuse répétition de l'histoire, ces mêmes milieux ont jeté, en 1930, l'anathème sur Tahar Haddad l'accusant de transgresser les règles édictées par le Livre Saint .
I- Tahar Haddad, intellectuel atypique
Figure curieusement attachante que celle de ce jeune zitounien atypique originaire du sud tunisien ( El Hamma de Gabès). Né à Tunis en 1899, il reçoit une formation religieuse traditionnelle, diplômé de la Grande Mosquée en 1920, il refuse d'officier comme témoin- notaire comme le prédisposent ses études théologiques. A 20 ans il s'engage, corps et âme dans la lutte nationale. Adhérant au parti du Destour, il met sa plume et son talent au service de la cause nationale. Tahar Haddad est de tous les combats : dénonçant les excès du Protectorat, menant une campagne vigoureuse contre la naturalisation, portant la propagande nationaliste dans les centres reculés de la Tunisie. En 1924, il se met en relation avec Mohamed Ali Hammi, fraîchement débarqué d'Allemagne, pour fonder, avec le concours d'autres militants destouriens et communistes, la Confédération générale des travailleurs tunisiens qui attire les foudres du Protectorat . A peine crée, le jeune syndicat est durement frappé par l'inculpation de son principal animateur, Mohamed Ali Hammi , de complot contre la sûreté de l'Etat, et sa condamnation au bannissement. Cette dure épreuve inspire à Haddad son premier livre : Les ouvriers tunisiens et l'apparition du mouvement syndical , saisi par la police avant sa mise en vente.
Cette épreuve passée, T. Haddad s'engage dans un nouveau combat : la lutte pour l'émancipation de la femme tunisienne. Le terrain est déjà balisé. A la fin dans années vingt, Tunis vibre au rythme d'un débat qui n'en finit pas sur le progrès de la femme tunisienne : la scolarisation des filles, le port du voile, le code du statut personnel deviennent, pour ainsi dire, des thèmes récurrents dans la presse de l'époque. Attentif aux courants féministes en vogue en Turquie et en Egypte, les intellectuels tunisiens sont divisés sur la conduite à tenir face à cette question. Et pour cause. Le modèle de l'émancipation de la femme européenne est là , mais pour la majorité d'entre eux c'est un contre –modèle. Sans doute admet –on que l'équilibre de la société est fonction du sort fait aux femmes, mais on n'en continue pas moins de considérer que le progrès de celles-ci doit s'ancrer aux traditions religieuses, ultime rempart contre un monde occidental jugé trop envahissant.
En face des conservateurs, un petit courant féministe, proche de la mouvance socialiste, s'esquisse péniblement à Tunis, mais presque sans femmes. Les rares militantes qui osent défier l'ankylose ambiante sont des Européennes ou des Tunisiennes passées par les écoles françaises. Les nationalistes, eux, affichent une opposition sans nuance à l'émancipation des femmes, jugée trop prématurée. Se démarquant de cette position, Haddad publie, dès 1928, dans le journal destourien Essawab , nombre d'articles sur la condition de la femme. Reprenant la problématique de l'évolution de la société, il développe une approche inédite de la question de la femme. En septembre 1930 il publie son deuxième ouvrage : Notre femme devant la Charî'a et la société.
II-Un féminisme sacrilège
L'essai de T. Haddad sur la femme fait date par l'audace de ses propositions innovantes. Une idée- clé guide la trame du livre : l'évolution de la société tunisienne est impossible sans la participation de la femme. Reprenant le débat sur l'évolution de la société, T.Haddad en vient à examiner la question de la femme sous l'angle des normes religieuses et des mutations sociales. Affirmant la comptabilité de l'Islam avec le progrès social, il propose une relecture moderniste des textes sacrés. C'est tout un programme.
L'auteur de Notre femme devant la Charî'a et la société plaide pour la levée des discriminations à l'égard des femmes, dénonce la répudiation, appelle à l'égalité des hommes et des femmes en matière d'héritage, demande la reconnaissance des droits des femmes à l'exercice de tous les métiers y compris les charges judiciaires. C'en est trop pour les Oulamas de la Zitouna.
Manifestement T.Haddad est un auteur qui dérange. Son livre sur La femme devant la Charî'a et la société fait scandale dans le milieu politique tunisien et auprès des érudits de la grande Mosquée. Un conseil supérieur religieux, présidé par Cheikh al Islam, se réunit illico presto pour statuer sur son cas. Considéré comme subversif, le livre de T.Haddad est désigné à la vindicte publique. Son auteur, accusé de sacrilège , est condamné au retrait de son titre universitaire et empêché d'exercer le notariat . L'excommunication de Haddad ( Takfir) est ouverte : la quasi-totalité des journaux tunisiens, le vieux Destour, et notamment son directeur, Moheddine Klibi, et même les intellectuels formés dans les universités françaises, tels que Tahar Sfar et Mahmoud Matri, adoptant, certes, un discours plus nuancé, se jettent dans la mêlée et condamnent vigoureusement le livre; Habib Bourguiba, lui, se mure dans un silence prudent. Les rares esprits libres qui soutiennent T. Haddad ne parviennent pas à endiguer le mouvement.

Victime de l'ostracisme des conservateurs et de ses propres amis politiques, T.Haddad est contraint à l'isolement. Supportant mal son épreuve, il décède, à l'âge de 36 ans, le 7 décembre 1935, des suites d'une maladie cardiaque. Son apport à la réflexion sur la question féminine n'est pas oublié, mais il a fallu attendre un quart de siècle pour que son héritage intellectuel soit enfin reconnu par la Tunisie indépendante.

Noureddine Dougui


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.