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Sur les pas de Tahar Haddad
Réflexion
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 06 - 2010

Bien que son nom soit familier de tout le monde, rares sont ceux parmi nous, jeunes Tunisiens d'aujourd'hui, qui connaissent d'une manière détaillée ses contributions, ses sacrifices et ses mérites, ou qui ont jamais lu ses livres et ses nombreux articles.
Né à Tunis en 1899, Tahar Haddad est le fils d'Ali Ben Haj Belgacem Ben Farhat el-Hammi el-Fatnassi, d'une famille très modeste et conservatrice du sud tunisien. A l'âge de six ans, Tahar Haddad commença ses études au «Kouttab» où il apprit les soixante «hizbs» (chapitres) du Coran. Après cette phase préparatoire, il entra à la Zeytouna pour obtenir son diplôme de fin d'études secondaires en 1920, connu sous le nom de diplôme de «tatwiî». Selon ses biographes, durant cette période, le jeune Zeytounien devait travailler avec son père à Souk al-Attarine afin de soutenir financièrement sa famille. En outre, Haddad s'engagea dès son jeune âge dans le mouvement nationaliste et anticolonialiste de l'époque en participant aux activités du Destour et en y organisant des réunions clandestines qui lui coûtaient maintes amendes et sanctions de la part des autorités coloniales.
Dans son article «Contribution à la connaissance de Tahar el-Haddad (1899-1935)», le Professeur Noureddine Sraieb essaye de donner une idée générale de la personne de Haddad : «Issu de la classe moyenne d'intellectuels qui s'est constituée en Tunisie et dans toute l'Afrique du Nord entre les deux guerres, Haddad en représente un modèle dont le portrait devient presque classique. C'est le Zitounien au visage maigre et sec, lisant beaucoup et tout. Il découvre l'Occident à travers les traductions de classiques européens et surtout français et fréquente la Khaldouniyya ou l'Association des anciens élèves du Collège Sadiki. Son attitude est partagée : il est musulman sincère mais aussi ouvert aux idées nouvelles. S'il est admis avec méfiance par le clan des “occidentalisés”, il est pratiquement rejeté par le clan des vieux cheikhs traditionnalistes et conservateurs de la Zitouna (p. 109) ».
En 1927, Haddad publie son premier livre, al-Ummal attunissiyun wa dhouhour al haraka annaqabiya (Les ouvriers tunisiens et la naissance du mouvement syndical), qui joua un grand rôle dans la revendication des droits des ouvriers indigènes sous le pouvoir colonial. Dans ce livre, l'auteur décrit surtout les activités de la Confédération générale tunisienne du travail (un premier modèle de l'Ugtt créée plus tard par Farhat Hached) qu'il co-fonda avec le fameux syndicaliste M'hammed Ali el-Hammi.
Haddad lutta également contre la politique coloniale de naturalisation. «Conscient de sa personnalité tunisienne et de la spécificité de sa nation» (Sraieb, p.110), il met en garde ses concitoyens contre ce qu'il considére comme la forme d'assimilation la plus néfaste. Haddad s'intéressa aussi à la chose sociale dans le pays, critiquant violemment la mentalité matérialiste et égoïste de certains Tunisiens et appelant tous les Tunisiens à l'unité nationale et au rejet de toute forme de régionalisme qui existait surtout entre les Tunisois et les campagnards.
Souhaitant continuer sa formation de juriste, Haddad s'inscrivit à l'école de Droit de Tunis en 1928. Néanmoins, il ne réussit jamais à obtenir son diplôme de fin d'études car, par malheur, la date des examens finaux coïncida avec la sortie de son fameux livre jugé «hérétique», Imraatuna fish-shariâa wal mojtamaâ (Notre femme dans la Sharia et dans la société). Les cheikhs de la Zeytouna lancèrent une campagne farouche de dénigrement contre lui alors que certains parmi eux n'avaient même pas pris la peine de lire le livre. Ils ont pu par ailleurs intervenir auprès du Bey pour empêcher Haddad d'assister aux examens et ont fini par le dépouiller de tous ses grades et diplômes.
Le livre, qui est aujourd'hui considéré comme le premier traité féministe dans le monde islamique, est une défense sans précédent des droits de la femme tunisienne, cette femme qui «est la mère de l'homme, sa moitié et la moitié de la société en qualité et en nombre, une force de production dans les différents domaines» (page 2).
Le livre représente une révolte contre ceux qui ont toujours considéré la femme comme un outil de plaisir pour l'homme, ceux pour qui la femme est une marchandise à consommer et ceux qui réduisent à la catégorie des prostituées toute femme qui ne se conforme pas à leurs préceptes. Haddad insista particulièrement sur l'éducation des femmes, l'égalité entre hommes et femmes, la création d'un mouvement intellectuel tunisien et la promotion de la liberté de pensée, tout en se référant aux sources religieuses pour soutenir ses positions.
Le féminisme de Tahar Haddad ne fut pas seulement stimulé par le sentiment d'injustice dont souffraient les femmes tunisiennes car, malgré son importance, celui-ci ne put être qu'une cause secondaire. Il fut surtout motivé par l'amour de la patrie et le désir de pousser la société vers l'épanouissement et le progrès en la libérant des dogmes et des complexes qui s'opposent aux fondements de l'Islam. La libération de la femme de l'injustice et de l'ignorance représente en même temps la libération de l'homme de ses préjugés accablants et la libération de toute la nation des chaînes du machisme et de toute pression que cette mentalité exerce sur l'homme et sur la femme d'une manière égale.
Certes, sans égalité entre tous ses citoyens, hommes et femmes, une société demeure boiteuse. Faut-il rappeler encore que l'égalité ne nécessite point la similarité biologique comme certains veulent le faire croire, puisqu'il n'y aura jamais deux êtres humains biologiquement identiques sur terre. L'égalité selon Haddad est le droit d'être traité d'une manière égale devant la loi et dans la société malgré toutes les différences sans discrimination sociale, raciale ou sexiste. Malgré tous les efforts qui cherchent à la brouiller, l'égalité entre tous les êtres humains demeure une valeur indiscutable, car relative à la dignité humaine.
La défense des droits de la femme tunisienne coûta à Haddad très cher. Comme son prédécesseur, le leader Abdelaziz Thaâlbi, il fut agressé verbalement et physiquement par ses adversaires qui le suivirent partout où il alla. Après avoir perdu même le soutien de ses proches, il expira en 1935 suite à deux ans de maladie.
La femme tunisienne et son mérite incontestable
Aujourd'hui, certaines voix remettent en question le mérite de la femme tunisienne, arguant qu'elle n'a pas combattu toute seule pour ses droits et ses libertés, et que ses acquis lui ont été octroyés par les hommes. Ainsi, une évaluation des accomplissements de la femme tunisienne devient-elle nécessaire.
Certes, une personne qui souhaite se libérer d'une prison ne pourra jamais y arriver sans l'aide de quelqu'un qui se trouve à l'extérieur. Le fait que cette aide soit venue de l'autre moitié de la société tunisienne marque-t-il une sorte d'échec? La réponse à cette question dépendra sûrement des résultats de cette transformation qu'a subie la société tunisienne. Allons donc chercher si les grands hommes de la Tunisie qui ont parié sur la femme tunisienne avaient raison ou tort, si cette femme était à la hauteur des nombreux sacrifices et de la confiance de ces leaders nationaux !
On voit chaque jour, de beau matin, des femmes se diriger vers les usines, les hôpitaux, les écoles, les tribunaux, les administrations, etc. Elles enseignent, elles nettoient, elles soignent, elles réparent, elles fabriquent, elles reviennent le soir au foyer pour nettoyer encore, enseigner et préparer les repas du lendemain. Dans nos champs et nos vergers, on voit de nos propres yeux des tunisiennes qui, leur petit attaché à leur dos parfois, cueillent des fruits aux arbres ou sarclent la terre, tandis que leur mari les observe de loin devant le canoun. Combien de tunisiennes dépensent sans compter pour soutenir leurs familles ? Les Tunisiens le savent ! Combien de mères tunisiennes prennent toutes seules leur famille en charge ? Combien de Tunisiennes se consacrent complètement à leurs enfants au point de s'oublier ? Les Tunisiens le savent aussi !
Si la Tunisie a pu, en dépit de la rareté des ressources naturelles, garder une économie relativement prospère, c'est en grande partie grâce à ces combattantes. En tant qu'hommes raisonnables et responsables, on ne doit point l'oublier ou en avoir honte. Nos femmes, nos mères, nos sœurs et nos filles tunisiennes sont un honneur pour nous-mêmes !
Les rimes des cheikhs et des rappeurs
Malheureusement, cette femme tunisienne doit aujourd'hui en particulier subir les attaques quotidiennes des cheikhs d'autres contrées qui ne sont pas contents de ses exploits et de sa liberté. Pour ces gens qui ont mis la Tunisie comme un item principal dans leur agenda, la femme n'est pas un être humain comme les autres, mais une «perle» que son propriétaire doit cacher et protéger du mauvais œil. Ils sont encore dans un stade de développement qui ne leur permet pas de comprendre que le fait de comparer un être humain à un objet, même s'il s'agit d'une perle, est le summum du dénigrement. On assiste souvent à des leçons que ces hommes donnent sur la façon d'habiller les femmes, de traiter les femmes et même de les frapper. Une femme «décente» et «pieuse» est une femme qui obéit à ces gens, accepte son statut de citoyen de second degré et reconnaît la supériorité de l'homme et sa domination divinement recommandée sur elle. Une femme qui ne suit pas ces soi-disant «savants» et leurs jugements indubitables est une femme qui est contre l'Islam et contre la moralité, et Dieu ne sera jamais content de ce qu'elle fait. Ainsi, selon cette nouvelle conception de l'Islam, la majorité des Tunisiennes qui revendiquent tous leurs droits sur un pied d'égalité avec les hommes sont désormais des égarées.
Mais la mode du dénigrement des Tunisiennes et de la culture tunisienne en général est passée de ces «grands savants» à certains rappeurs de chez nous. Des groupes d'adolescents qui vivent parfois leur adolescence à la trentaine et même à la quarantaine se mettent à insulter et à diffamer des écrivains, des réalisateurs, des acteurs, et dernièrement la femme tunisienne en récompense de ce qu'elle a fait et ce qu'elle fait pour cette nation. On part de quelques photos personnelles, qu'on pille on ne sait où, photos montrant des filles au bord de la plage ou à la discothèque, pour porter un jugement sur la «femme tunisienne». Ironiquement, ces gens qui baignent dans l'analphabétisme musical, étant incapables de jouer du moindre instrument de musique ou même d'épeler les plus simples exercices de solfège, se considèrent pourtant comme des «musiciens». Pour produire leurs grands «hits», ils n'ont souvent qu'à choisir un certain rythme qui existe déjà parmi les classiques du rap occidental, puis à l'informatiser afin de le rendre un peu différent en lui introduisant quelques effets préfabriqués. Concernant les paroles, tout peut aller, à condition que cela véhicule un message absolutiste, extrémiste, régionaliste, raciste, ou sexiste.
Une schizophrénie contagieuse
Les cheikhs qui critiquent la Tunisie d'une façon outrancière préfèrent laisser dans l'ombre la question de la corruption dans leurs propres sociétés, bien que certaines de leurs villes soient parfois des hauts lieux de pratiques qui sont très répréhensibles par la morale. La délinquance, qui existe partout dans le monde (mais qui est institutionnalisée, en quelque sorte, dans certains pays, ceux-là mêmes qui donnent des leçons aux autres), reste limitée en Tunisie, puisqu'elle ne représente qu'une conséquence naturelle de l'évolution de la société, une société qui demeure cependant saine et transparente et qui osera toujours se traiter honnêtement.
Ces mêmes cheikhs n'osent pas non plus critiquer les dirigeants de leurs chaînes-collègues, qui partagent les mêmes satellites qu'eux et qui passent quotidiennement des clips et des spots «semi-érotiques». Comment pourraient-ils le faire, sachant bien que toutes ces chaînes, les puritaines comme les libertines, sont sponsorisées par les mêmes patrons ? Or tout le monde sait, par ailleurs, que si des scènes aussi suggestives que celles que nous voyons sur certaines de ces chaînes passaient à la télé tunisienne, elles déclencheraient l'état d'alerte. Elle créeraient des problèmes, car la société tunisienne n'est pas une société schizophrène.
Le plus grand danger de la schizophrénie dont souffrent ces gens est cependant qu'elle est contagieuse. La preuve en est : ces rappeurs qui se plaignent de la «délinquance» d'une petite minorité de filles, tout en s'autorisant eux-mêmes à adopter un discours obscène plein de formules grossières tirées du langage ordurier, souvent prononcées en anglais.
Reste encore à savoir pourquoi pointer du doigt des femmes dont les mœurs ne sont sans doute pas irréprochables, alors que leur nombre ne dépasse jamais le un dixième du nombre des hommes dont on pourrait juger la conduite équivalente. Il est clair que le problème n'est pas la «délinquance» en soi, puisque cette dernière est souvent le quotidien de ces «artistes» eux-mêmes. Le problème réside dans le fait que c'est la femme qui est en cause.
Il est par ailleurs à noter que certaines tunisiennes sont paradoxalement emportées par le discours sexiste de ces moralisateurs. Elles consomment quotidiennement leurs produits, tout en rejetant toutefois l'idée de partager leur mari avec trois autres femmes, d'être frappées par leur époux, de renoncer à leur droit de voyager sans permission et sans accompagnateur, d'abandonner leur droit de conduire une automobile, etc.
Heureusement pour la Tunisie que la grande majorité des Tunisiennes ne s'inscrivent ni dans le parti des rebelles ni dans celui des soumises. Elles maintiennent encore la longue tradition tunisienne instaurée par Tahar Haddad, comme par les autres grands fondateurs de la Tunisie moderne : une tradition qui combine modération, modestie, tolérance et décence.
En fait, ces Tunisiennes auxquelles est confié l'avenir des générations nouvelles confirment encore et encore qu'elles sont dignes de toute confiance et que notre société a raison de parier sur elles.


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