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Dr Sofiane Zribi - Les mille visages de la tristesse: Comment vivre avec la dépression ?
Publié dans Leaders le 03 - 10 - 2020

Par Dr Sofiane Zribi - Raouf (les noms ont été changés par mesure de confidentialité), homme d'habitude entreprenant et vigoureux, est méconnaissable ! Lui qui jadis était plein d'entrain et de vie semble avoir pris une dizaine d'années d'âge en quelques semaines. Il marche en se traînant, son visage exprime une forte tristesse et une douleur dont il ne trouve pas les mots pour la décrire. «C'est comme si exister m'était devenu douloureux !», dit-il d'une voix monocorde et hésitante. Sa femme, Najla, est à la fois inquiète et en colère contre lui. «Il n'est pas allé au travail depuis quatre jours !», me dit-elle, « En plus, il passe le plus clair de son temps au lit à regarder le plafond ! », ajoute-t-elle. Le médecin de famille appelé au chevet de Raouf l'a examiné de la tête aux pieds, lui a fait pratiquer toute une série d'analyses et même un scanner cérébral. Rien n'explique à son avis la situation du malade, mis à part un épisode dépressif ; raison pour laquelle il a décidé de l'amener consulter un psychiatre.
En continuant l'entretien avec Raouf et Najla, j'apprends que cette situation dure depuis plus d'un mois. Sans raison apparente, Raouf s'est petit à petit renfermé, ne communiquant que peu et très difficilement. Il a commencé par se lever très tôt le matin et éprouver un dégoût pour son travail. Lui qui adorait préparer le petit-déjeuner pour sa petite famille et réveiller femme et enfants en musique, se terre dans sa chambre et ne sort que par devoir et sur l'insistance de sa femme. Il ne mange presque plus, et éprouve le plus grand mal à lire un journal ou à se concentrer sur un document. «Ma tête n'est plus comme avant, j'ai perdu mon intelligence, ma capacité à me concentrer, à réfléchir. D'ailleurs, je ne suis bon à rien!» Il ajoute avec une note d'espoir : «Le mieux pour moi et ma famille, c'est que Dieu m'emporte ! Oui, mourir n'est pas un drame pour moi, c'est une vraie solution !». Najla, sur un ton confidentiel, me dit aussi qu'il a perdu le goût à la sexualité et ne cherche plus à la toucher et que cela dure déjà depuis plusieurs semaines. «D'ailleurs, ajoute-t-elle, il ne se lave que sur mon insistance et ne change ses vêtements qu'avec mon intervention. Si je le laisse à lui-même, il peut passer toute sa vie en pyjama !».
Comme Raouf, ils sont des dizaines de milliers en Tunisie et 100 millions de par le monde, selon l'Organisation mondiale de la santé, à vivre un état dépressif. Ils sont des milliers à se suicider aussi. La dépression est la première cause des repos prescrits pour longue maladie qui coûtent à la pauvre mais très sociale Tunisie dans les cent millions de dinars de pertes directes, sans compter le coût indirect de cette sourde maladie.
Cinq signes qui alertent
Un épisode dépressif caractérisé (EDC) se définit par :
• A. Une rupture avec l'état antérieur avec la présence d'au moins 5 des symptômes suivants, dont l'humeur triste ou la perte d'intérêt ou du plaisir, présents presque tous les jours pendant une durée d'au moins 2 semaines consécutives :
• Augmentation/diminution significative du poids ou de l'appétit,
• Insomnie ou hypersomnie
• Agitation ou ralentissement psychomoteur
• Fatigue ou perte d'énergie,
• Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité,
• Trouble de concentration ou indécision,
• Idées noires ou suicidaires.
• B. Souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement.
• C. Absence de causes médicales non psychiatriques ou absence de causes toxiques
• D. Ne répond pas aux critères d'un trouble psychotique chronique
• E. Pas d'antécédent d'épisode maniaque ou hypomaniaque
Qu'est-ce que la dépression ?
La dépression est un trouble de l'humeur. L'humeur étant cette faculté psychologique que nous avons d'éprouver de la joie, du plaisir, de la motivation, ou encore de la colère, de la tristesse et du dégoût. L'humeur, associée à notre intelligence, fait notre humanité. La dépression est cette situation où l'être devient pareil à une roue crevée, sans «pression», perdant le goût à la vie, aux projets, à l'amour, au travail et versant sur une longue période (au moins deux semaines) dans la tristesse, le désespoir et la désolation. C'est dans ces moments terribles que la personne perd le sentiment d'attache à ce qui l'entoure et désire ardemment mourir. D'ailleurs, le suicide est la complication la plus redoutée des états dépressifs mais pas seulement ! Abandon de travail, alcoolisme, conflits conjugaux, divorce, négligence de soi et des enfants, conduite automobile dangereuse, prise de risque, arrêts intempestifs des traitements pour d'autres maladies (diabète, hypertension…) sont en fait des équivalents suicidaires.
Selon la référence américaine en matière de troubles mentaux (DSM V), on porte le diagnostic de dépression devant un tableau comportant les éléments suivants:
Remarquons que pour parler de dépression au sens commun du terme, le médecin doit au préalable avoir éliminé d'autres maladies physiques qui peuvent causer des symptômes dépressifs, comme les maladies hormonales, les maladies neurologiques, les maladies inflammatoires ou auto-immunes, les cancers ou certaines infections virales. Il doit aussi écarter d'autres maladie psychiatriques comme les troubles bipolaires (où existent des épisodes dépressifs, mais aussi des épisodes d'excitation et de joie pathologique), les deuils normaux (où existe une tristesse, mais le souvenir de la personne perdue est coloré d'affects aussi positifs), les troubles de l'adaptation ( une cause à l'origine des symptômes est bien identifiée), les états de stress post-traumatique, les conduites toxicomaniaques (cannabis surtout) et l'alcoolisme.
Les mille formes de la dépression
Le tableau de Raouf ne représente qu'une forme infime de la multitude de présentations que prennent les états dépressifs. Si le noyau dur de la dépression est toujours présent (tristesse ou perte d'intérêt et de plaisir, ralentissement des processus psychiques, idées noires et perte de projection positive vers le futur), d'autres formes existent et sont tout aussi fréquentes:
Les dépressions avec peurs et angoisses au premier plan, les dépressions avec des convictions délirantes (les djinns m'habitent pour me faire souffrir, je suis puni car j'ai commis un péché…), les dépressions où s'entremêlent tristesse et excitation (appelées états mixtes), les dépressions où la personne mange anormalement trop avec une sensation de jambes lourdes, les dépressions avec des symptômes de ralentissement moteur extrême, etc.
Mais certains moments de la vie sont aussi propices à l'éclosion de syndromes dépressifs:
Les bébés peuvent faire de vraies dépressions marquées par le refus alimentaire et une perturbation de la relation mère-enfant.
L'enfant est aussi sujet à la dépression, notamment dans un contexte de conflits parentaux, de divorce, de maltraitance, d'inadaptabilité scolaire. Le tableau est marqué par une irritabilité, une chute des résultats scolaires avec des plaintes douloureuses souvent digestives répétées.
L'adolescence est une période propice à l'éclosion des états dépressifs, à différencier des crises habituelles de l'adolescence. Ces états sont souvent associés à l'entrée dans le tabagisme, l'alcoolisme, la toxicomanie et se compliquent de crises familiales répétées et de tentatives de suicide.
La femme enceinte ou celle qui vient d'accoucher est aussi fréquemment sujette à des crises dépressives. La dépression du post-partum (après l'accouchement) peut être très grave, se compliquer de confusion, de délire et mener au suicide et à l'infanticide.
Le sujet âgé enfin peut présenter des crises dépressives d'une gravité extrême et menant facilement au suicide. Le syndrome pré-suicidaire se manifeste par un émoussement affectif, un changement du sens des valeurs, une agressivité envers les proches, un désintérêt pour soi et les autres, alors que le vieillard est envahi par des phantasmes suicidaires. Notons que 80% des sujets âgés qui essayent de se suicider réalisent ce funeste projet contre à peine 5% des adolescents.
Toutes ces formes de dépression, à tous les âges, avec des degrés de sévérité variable de léger à très sévère, témoignent de la complexité du trouble et de la difficulté de son diagnostic correct. Par ailleurs, le trouble peut se résumer à une crise unique sans lendemain de quelques mois, comme il peut évoluer sous forme de crises successives répétées ou encore sous une forme chronique altérant de manière irrémédiable la vie personnelle, familiale, professionnelle et sociale du malade.
Les conséquences des dépressions
Le propre de l'état dépressif est qu'il se complique toujours. Nous avons déjà souligné la complication la plus grave qu'est le suicide, qui doit hanter l'esprit du médecin comme celui de la famille qui entoure le malade et qui doit toujours être prévenu par le traitement et une prise en charge adéquate.
Mais d'autres complications sont à redouter:
Sur le plan physique, la dépression s'accompagne d'une baisse des défenses immunitaires. Le malade sera facilement infecté et fera plus que la moyenne des gens des viroses par exemple. Des maladies dites psychosomatiques peuvent apparaître et se surajouter au tableau (asthme, diabète, psoriasis, troubles du rythme cardiaque, douleurs digestives, hypertension artérielle…). S'il est déjà porteur d'une maladie physique, cette dernière aura tendance à s'aggraver.
Sur le plan psychiatrique, des maladies peuvent être réveillées par l'irruption d'un état dépressif : troubles anxieux, obsessions, compulsions, troubles du sommeil, troubles sexuels, troubles de conduites alimentaires. Chez le vieillard, un état dépressif peut annoncer l'évolution vers la démence ou la maladie d'Alzheimer.
Sur le plan familial, une dépression qui dure est synonyme de problèmes.
Au niveau du couple, de la famille, de la relation parents-enfants. Chez l'adolescent, le contexte dépressif peut inciter à s'aventurer dans les chemins de la toxicomanie ou de la délinquance, peut favoriser un échec ou une rupture scolaire. Beaucoup de ruptures et de divorces sont la conséquence d'un état dépressif, ignoré, non reconnu.
Sur le plan professionnel, la dépression est synonyme de mauvais rendement, d'absentéisme, de congés de longue durée. Elle représente une perte sèche pour l'individu, l'employeur et la société.
Les états dépressifs en Tunisie
En 2013, une étude a dénombré que dans les centres de soins de base, 23% de ceux qui consultent présentaient des états dépressifs. En 2017, le ministère de la Santé a publié que 8% des Tunisiens souffraient de dépression. Chiffres alarmants, au regard de la modestie des structures psychiatriques que nous avons et du nombre très insuffisant de psychiatres nationaux en rapport avec notre population. C'est dire toute l'importance de cette maladie et tout l'intérêt que l'on doit lui porter.
Pourtant, la sensibilisation à ce trouble peine encore à tracer son chemin. On a encore tendance à culpabiliser le dépressif (comme s'il ne l'était pas déjà) à considérer cette maladie comme de la mauvaise volonté ou en rapport avec un mauvais caractère. Pire encore, surtout pour les enfants et les adolescents, on culpabilise les parents et l'éducation. Bien souvent aussi, la famille ne considère pas la dépression comme une maladie mais comme un sortilège et le patient se retrouve à traîner dans les zaouias ou chez les tradithérapeutes qui lui infligent toutes sortes de traitement et le font vivre dans des explications paranoïaques de sa maladie (on te veut du mal, on t'a fait manger quelque chose, etc.).
Si par un heureux hasard le malade consulte un médecin, c'est chez le pharmacien (heureusement que la plupart des pharmaciens sont de plus en plus sensibilisés au problème, mais pas leurs assistants qui servent les patients!) qu'il va vite comprendre qu'il n'est pas un malade ordinaire. «Attention, ces médicaments sont des drogues, tu vas passer toute ta vie à les utiliser», «Non, cette pharmacie ne vend pas ce type de traitement !»…
Quelquefois, on lui demande sa carte d'identité, alors qu'aucun antidépresseur ne nécessite une ordonnance sécurisée, on le dévisage et on le met de côté.
Rentré à la maison, c'est la famille qui s'acharne contre le traitement et contre la mauvaise volonté supposée du patient d'être résilient avec sa souffrance et d'enjamber le gap de la dépression. Un patient rapporte : «Ma vie est devenue un enfer avec tous ceux qui me disent ‘' tu n'as que'', ils me demandent de faire un effort alors que je suis totalement vidé de toute énergie. Parfois, ils croient que je fais semblant et cela me fait souffrir davantage !».
S.Z


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