Seront-ils les futurs Philippe Starck du design tunisien? Ashref Chichini, 25 ans, et Kamel Fakhfakh, 26 ans, sont de toute façon sur la grande rampe de lancement. Ils rentrent à peine de Singapour où ils viennent de remporter, avec leur chaise Ena Chair, le prestigieux Red Dot Award du Design produit dans la section Concept pour les jeunes talents. Une véritable consécration, sur 3.563 candidats de 54 nationalités (ils étaient les seuls Arabes) et parmi 252 projets primés en plus de 20 catégories, présentés par des jeunes travaillant dans de prestigieuses firmes comme Nokia, Mercedes Benz, LG, Philips, etc. La voie leur est désormais ouverte : ils n'attendent plus qu'à trouver le bon éditeur qui lancera leur création de par le monde et se mettent à le chercher, tout en continuant à concevoir de nouveaux produits. Ashref, natif du Bardo, plonge ses racines familiales en Egypte et en Turquie d'où sont originaires ses grands et arrière-grands-parents. Son père et sa mère, enseignants, l'ont toujours élevé dans l'amour de l'esthétisme et cultivé en lui les dons créatifs. Kamel, Sfaxien de souche, son père enseignant également et sa mère technicienne supérieure en santé, l'ont toujours poussé à faire ce qu'il aime le plus : dessiner, créer. Tous deux, ils se retrouveront sur les bancs de l'Ecole supérieure des sciences et techniques du design (ESSTED) à Den Den et feront chemin ensemble, se spécialisant en design produit, leur grande passion commune. Diplôme en poche, ils effectuent leur stage dans la même agence de création puis se décident à s'installer, toujours ensemble, à leur propre compte en créant l'agence Virtuose Lab. Quand on se lance en entreprise, on doit brasser large pour boucler les fins de mois, quitte à ne pas se concentrer uniquement sur la vocation de base. C'est alors qu'ils tâteront un peu de tout en identité graphique et communication, concevant des logos et chartes graphiques (Express FM, etc.), comme en packaging et décoration intérieure, pour des showrooms, un restaurant italien à Ennasr, des résidences à La Marsa, etc. Mais, leur véritable passion, c'est le design produit. La révolution leur en offrira la chance. Avec le ralentissement des commandes « commerciales », ils se retrouvent disponibles et reprennent alors leurs projets gardés au fond des tiroirs, à l'instar de l'idée d'une série de trois chaises qu'ils remettent en chantier, jour et nuit. Explorer, métisser, innover Comme Philippe Starck, ils exercent leur talent sur la chaise, mais à leur manière et avec d'autres matériaux. Première création, une chaise simple, moderne, déclinable en couleurs en vogue, facile à empiler. Ils lui donneront le nom d'Ena Chair, en puisant dans la langue grecque l'équivalent de First première, qu'est Ena. Ils pousseront davantage leur recherche et aboutiront à une deuxième création qui invite plus au repos et ce sera Gar Chair (Get a rest), pour ne plus s'arrêter. « Nous prenons goût à travailler ensemble, confient Ashref et Kamel d'une même voix à Leaders. Nous essayons d'explorer le mélange des cultures et des nouvelles technologies, toujours dans un souci de détail et d'influences. Le travail est mené au sein d'un dialogue permanent et d'une exigence commune vers plus de justesse et de délicatesse et d'une recherche continue. On aime l'idée du produit qu'on imagine, qu'on conçoit pour être utilisé par beaucoup de gens. Et on aime le fait que ce que nous concevons sera apprécié, partagé et adopté par d'autres. Nous cherchons toujours de nouveaux domaines d'expérimentation, dans le métissage des cultures, le mariage des matériaux et nous voulons créer des pièces qui ont une personnalité et un caractère, des objets qui durent dans le temps, qui racontent une histoire et qui ont de la poésie. » Et de poursuivre : «Nous imaginons des produits qui peuvent paraître élitistes mais aussi des objets pour servir au quotidien car nous croyons que le design est avant tout une conscience». Comment se faire ouvrir les bonnes voies Fiers de leurs créations, Ashref et Kamel cherchent à connaître la vraie valeur de leurs oeuvres, et pour cela, il n'y a pas mieux que les concours internationaux. Alors autant s'y essayer. Premier coup, premiers prix. Ils postulent au concours Design & Design, à Paris. Ils remportent trois prix pour leurs trois chaises : Ena, Gar et I'M Easy. Encouragé par cette réussite, ils partent alors s'essayer au prestigieux Red Dot et y raflent la mise. « Vous ne pouvez pas imaginer notre joie, racontent-ils à Leaders, lorsque nous avons appris que nous étions présélectionnés et invités à assister à la proclamation des résultats et à la remise des prix à Singapour !». Mais, leur joie a rapidement été submergée par le souci de financer ce voyage. « Comment pourrons-nous, à peine lancés dans la vie active, vivant sur un budget très serré, trouver de quoi payer les billets d'avion pour un parcours si lointain et les frais de séjour dans un pays si cher ? Evidemment, nous avons commencé à frapper à toutes les portes officielles, en quête de soutien, brandissant fièrement notre invitation. Nous n'avons eu que des promesses, interminables, alors que le temps pressait. Finalement, nous nous sommes rabattus chacun sur sa famille, et épuiser toutes nos économies, pour pouvoir embarquer !». Singapour est fabuleuse pour nos deux jeunes designers qui découvrent pour la première fois l'Asie. «Une ville fantastique, soigneusement conçue, très propre, où tout est design. Nous avons alors compris pourquoi le Red Dot y prend place. Et puis, la rencontre avec des designers du monde entier, la présentation des oeuvres, la cérémonie de remise des prix… Notre émotion fut grande lorsque, appelés au podium, nous avons remonté les marches sous les applaudissements, pour recevoir l'Award ». Forts de cette prestigieuse distinction qui leur donne grande confiance en leur talent, Ashref et Kamel s'empressent de se remettre au travail. Le premier pas est franchi. Reste à trouver le bon éditeur pour lancer le produit et … en créer d'autres. A commencer par monter un nouveau studio spécialisé uniquement en design produit: Chinchini + Fakhfakh (www.cplusf.com). Bonne chance, les Starck tunisiens.
