En se réveillant lundi matin, les habitants du Grand Tunis ainsi que de plusieurs autres villes savaient, pour la plupart, qu'ils trouveraient les rideaux de leurs boulangeries habituelles baissés. La veille, nombreux sont ceux qui avaient acheté de grandes quantités de pain, en prévision de la prolongation de la grève ouverte des boulangers, annoncée depuis quelques jours. Quel n'a été le soulagement général donc en apprenant que la grève avait été suspendue hier peu après midi suite à une réunion de négociations qui s'est tenue au siège du ministère de l'Industrie et du Commerce. Retour sur une grève abrégée. Vingt gouvernorats auront finalement participé à cette grève prévue ouverte et qui n'aura, au final, duré que le temps d'une matinée. Les boulangers de Jendouba, Béja, Bizerte et du Kef ont en effet refusé de se rallier à ce mouvement de protestation, certains estimant qu'il ne répondait pas à leurs revendications et d'autres que tant que les différentes parties étaient prédisposées à négocier, cette grève n'avait pas lieu d'être. Ces quatre gouvernorats mis à part, les autres ont tous répondu présents, certains même avec des taux de participation à hauteur de 100%. A l'origine de cette grève décidée par la Chambre nationale des boulangeries relevant de l'UTICA, une série de revendications dont l'augmentation de la marge bénéficiaire, la fermeture des boulangeries anarchiques ou encore la loi sur la concurrence économique. La Chambre nationale reproche au ministère de l'Industrie et du Commerce son manque de réactivité face à la dégradation de la situation et face aux menaces qui pèsent sur ce secteur qui emploie des milliers de personnes. « Les professionnels de ce secteur sont vraiment en souffrance. Ils se sentent marginalisés », argumentera Mohamed Bouanane, Président de la Chambre. Hier matin, il réitérera ses excuses aux Tunisiens pour la gêne occasionnée, tout en affirmant que le recours à la grève a été inévitable et qu'il estime que c'est le seul moyen pour les boulangers de faire entendre leurs voix et accéder à leurs droits. Face à cette situation, le ministre de l'Industrie et du Commerce a convoqué, hier, les responsables du secteur pour une réunion de travail à l'issue de laquelle il a été décidé de suspendre la grève. Lors de cette rencontre, Il a été décidé de mettre en place une commission mixte qui devrait identifier et résoudre les problèmes de ce secteur avant le mois de Ramadan lors duquel la consommation de pain connaît un pic annuel. Par ailleurs, concernant les doléances de la Chambre portant sur la recrudescence des boulangeries illégales, le ministre Zied Laâdhari a expliqué qu'il ne s'agissait pas là de boulangeries anarchiques mais plutôt de commerces non classifiés, ajoutant que des mesures seront prises très prochainement pour régler cette situation. « Le secteur disposera de réglementation commune. », affirmera-t-il. Surconsommation et gaspillage L'annonce de la grève ouverte des boulangers a créé un début de panique chez les citoyens qui sont nombreux à s'être rués vers les points de vente dimanche pour acheter de grandes quantités de pain. C'est qu'avec une consommation annuelle moyenne de 70 kg de pain par personne et une production nationale quotidienne de 6,2 millions d'unités (3.9 millions gros pain et 2.7 millions de baguettes), les Tunisiens sont classés parmi les plus gros consommateurs de pain au monde avec une nette préférence pour la baguette. Chaque année, les familles tunisiennes dépensent en général 200 D pour l'achat de pain qui est subventionné par l'Etat. La subvention de la farine pour le pain est passée de 116.4 MD en 2013 à 120 MD en 2015. Une baguette est vendue à 190 millimes alors que son prix réel est de 274 millimes. Le prix réel d'un gros pain est de 465 millimes alors qu'il est vendu à 230 millimes. Selon les statistiques, près de 900.000 pains sont gaspillés par jour, soit une perte quotidienne nette à plus de 350.000 D jetés à la poubelle. Et dire que le blé est importé moyennant devises fortes. En 2016, l'Institut National de Consommation avait proposé une stratégie anti-gaspillage axée sur la sensibilisation, la formation, la réforme du système de production et de distribution du pain, la mobilisation des institutions gouvernementales et l'éducation à la consommation. Espérons qu'en marge des solutions au profit des professionnels du secteur de la boulangerie, le ministère planchera concrètement sur la problématique de surconsommation de pain qui en plus de créer des déficits budgétaires énormes, décuple le risque de maladies tels que le diabète et l'hypertension pour les Tunisiens.