Le Salon de l'Artisanat, session 2017, s'est tenu, comme d'habitude et depuis quelques années déjà au Palais des Foires du Kram, du 28 avril au 7 mai 2017. Cet événement annuel est très couru par les artisans traditionnels, comme par ceux qui tentent d'innover, de réaménager l'ancien ou de développer un souffle créateur, de type artistique, ou de design dans la production des biens de consommation domestique quel que soit le genre ou le métier sollicité. Les produits proposés aux visiteurs sont multiples, variés et se répartissent toujours dans le même ordre d'idées, à savoir un secteur traditionnel-traditionnel au niveau du costume... Un deuxième caractérisé par une production hétérogène de produits fonctionnels ou décoratifs ne répondant à aucune norme traditionnelle, ou moderne mais à des efforts de création presque spontanés d'artisans imitant des produits d'importation ou répondant à des commandes privées très éclectiques. Le secteur est le plus souvent, dynamique. Il reste cependant sensible à la production non étudiée scientifiquement. Il répond à la demande d'accessoires, d'objets kitch ou quelquefois à des exigences de rentabilité et de fonctionnalité. Le secteur est, en général, le secteur traditionnel mais revisité. Il aboutit quelquefois à des propositions heureuses, par exemple, cette année, au niveau des tapis, klims et margoums. Certains opérateurs dans ce domaine sont issus des instituts d'arts et métiers. Le secteur novateur est le troisième il est représenté par le secteur de l'art et du design très franchement tourné vers la création ex-nihilo d'objets purement liés aux technologies nouvelles ou aux nouveaux matériaux. Nous estimons que ce secteur est celui de l'avenir. Il est pour le moment dominé par les tentatives de restauration de l'ancien et par la révisitation du patrimoine. Mais, il ne manquera pas d'acquérir une autonomie progressive au fur et à mesure du développement de l'industrie du meuble et d'un appel accentué vers une architecture moderne et contemporaine. Cette nette évolution de l'artisanat en Tunisie vers une plus grande implication dans l'élaboration d'objets et d'espaces tournés vers la moderniste était déjà remarqué depuis très longtemps. Nous n'avons pas à la regretter ou à la conforter. Il nous semble qu'il est encore temps de rendre le processus de transformation plus conscient, plus volontaire et moins objet à réification passéiste ou exagérément propice à une immersion totale dans une production mondialisée anarchique et insignifiante culturellement. La recherche vers laquelle nous sommes immanquablement poussés d'une nouvelle fonctionnalité de nos objets et de nos espaces, ne peut se faire que lorsqu'on recourt à des références stables culturellement, mais aussi à impliquer nos recherches par rapport aux innovations des technologies nouvelles, aux nouveaux matériaux et aux récentes technologies de communications... Le design en somme ! La politique d'adoption du design moderne suivie par le Japon est peut être l'exemple à suivre. Le Japon a été obligé d'opter volontairement pour une modernisation de tout son « complexe » productif traditionnel depuis l'ère du Meiji (1860). Cela ne l'a pas empêché de maintenir et de continuer à avoir recours à des pratiques et produits traditionnels. Le Japon est resté le Japon grâce à un sauvetage de ses objets d'une certaine architecture, de ses signes et symboles les plus récurrents. Le constat de dépérissement La Tunisie pourrait recourir à cette attitude pour retrouver une démarche synthétique salvatrice. Cette possibilité est certes rendue difficile par le cours pris par les choses depuis très longtemps. Trop d'occasions pour rétablir le déséquilibre, éviter l'effondrement de la production artisanale et les structures sociales afférentes, ont été manqués. Ni les tentatives coloniales sincères ou pas de maintenir l'artisanat en vie, ni celles prises depuis l'indépendance par la création de l'ONA, en 1959, ni celles de 1990 qui a vu le système réformiste s'effondrer, n'ont aboutis au secours d'un modèle en train de dépérir. Les structures mises en forme par le gouvernement du protectorat ont pu été purement formelles et les politiques de l'époque n'ont arrêté la marginalisation de l'artisanat et pour cause : comment peut-on sauver des secteurs traditionnels concurrents à la production manufacturière de la métropole. Certes, certaines initiatives de sauvetage (études, inventaires, expositions) dans le cadre d'instituts indigènes de l'artisanat ont été prises mais aucune n'a abouti sérieusement à arrêter le dépérissement de l'artisanat. Les difficultés structurelles très graves ont continué à soumettre tout le secteur de l'artisanat à rude épreuve et ceci depuis des décades avant l'indépendance, 40 ans après, et surtout depuis les années 90 du siècle dernier où le démantèlement de l'ONA fut annoncé et exécuté. L'ONA, créée en 1959, a été la tentative la plus sérieuse pour sauver la pratique de l'artisanat et la sauver d'une détérioration lente mais inexorable. « L'ONA » comme projet de modernisation réformiste de la pratique de la production artisanale et de la commercialisation a représenté un effort considérable pour sauver économiquement, socialement et culturellement une pratique patrimoniale importante. Le réformisme a échoué. Un nouveau mode de développement a été adopté. Le démantèlement du secteur dans les années 1990 a été réalisé par l'adoption d'un modèle néolibéral. Cela s'est traduit par le désengagement de l'Etat dans la production artisanale, sa commercialisation, son financement et même dans sa politique de formation professionnelle. La formation professionnelle est alors transférée à l'Agence tunisienne de la formation professionnelle, ATFP, dans le domaine de l'artisanat des arts du fer, du design du cuir et même dans celui de la bijouterie. Ce transfert était fait dans le cadre du développement escompté d'un artisanat moderne et d'un design avant-gardiste. Nous avons, nous-mêmes aidé à opérer ce transfert dans l'idée de contrer la mondialisation ou d'y participer afin de ne pas la subir seulement. Le repli imposé n'était pas la solution. Rien n'y fit ! La libéralisation ne voulait pas dire également l'arrêt des importations mais son intensification. Le tapis a connu alors un déferlement d'importation massive, illégale de produits industriels, artisanaux et autres qui aboutissent au démantèlement de tout effort de développement de l'artisanat moderne et même de l'industrie liée à l'artisanat... Tous les projets modernistes, de design d'importance connurent des difficultés dans les verreries, dont celle de la « Tunisiana », disparurent... des menuiseries, design également, des entreprises de chaussures... des entreprises de céramiques de revêtement... furent anéanties. Comment résister à un déferlement discontinu à tant de marchandises à bas prix. Les projets qui ont été promus dans le cadre de l'artisanat ont subi de plein fouet des augmentations de prix des produits des matières premières... Aucune n'a résisté à cette avalanche de difficultés... Comment reprendre ce projet révolutionnaire de créer une plateforme Design-artisanat capable de maintenir un artisanat moderne performant économiquement socialement et culturellement significatif... Une suggestion de réponse fera l'objet d'un prochain article.