Attendu depuis fort longtemps, le projet de loi de l'éradication de toutes les formes de violences à l'égard des femmes a été entamé, vendredi 21 juillet 2017, à l'Assemblée des représentants du peuple après avoir été validé par la Commission des droits, des libertés et relations extérieures. Un texte polémique d'autant plus que plusieurs articles ont été omis à l'instar du polémique article 227 bis du Code pénal tunisien. Au cours de cet entretien, Yosra Frawes, déléguée de la FIDH en Tunisie, revient, en détails, sur les acquis et les lacunes de ce projet de loi en attendant son adoption. -Le Temps : Comment évaluez-vous, dans sa globalité, la copie finale du projet de loi de l'éradication de toutes les formes de violation à l'égard des femmes ? Yosra Frawes : On peut dire que c'est un projet qui répond, dans sa globalité, aux standars internationaux dans la mesure où il s'agit d'une loi intégrale qui contient des mesures de prévention contre les violences à l'égard des femmes qui incrimine toutes les formes de violence quelque soit son auteur, qui prévoit les mécanismes de protection des victimes de violences et qui instaure un système de prise en charge de ces dernières. Les définitions des typologies des violences adoptées par le projet sont en conformité avec les instruments internationaux pertinents en la matière notamment la convention CEDAW en ce qui concerne la définition de la discrimination et la déclaration universelle de l'élimination de la violence à l'égard des femmes adoptée par l'Assemblée générale des Nations-Unis en 1993. La question des définitions est primordiale pour nous car cela serait un moyen pédagogique pour éduquer à la non-violence au niveau sociétal comme cela aiderait les magistrats pour une bonne application des termes de cette loi. -Les violences sexuelles Par rapport à l'incrimination des violences sexuelles telles que évoquées dans ce projet de loi, on regrette déjà qu'on reprenne la terminologie ligistique du Code pénal tunisien ; ce qui nous renvoie vers les aniciens réflexes. On aurait souhaité que cette loi qui vient après l'adoption de la Constitution de 2014 soit totalement inscrite dans le référentiel des droits humains y compris en matière ligstique. En outre, on a assisté à une version qui a maintenu l'article 227 bis que tous les Tunisiens connaissent maintenant comme l'article de la honte ce qui maintient l'impunité des auteurs du viol à l'égard des mineurs et contrevient ainsi à la protection des droits de l'enfant dont la Tunisie est engagée que ce soit au plan national qu'international. On souhaite que la plénière ait son dernier mot à dire pour abroger cet article tel qu'a été fait dans des pays proches comme le Marco et la Jordanie. Concernant les violences sexuelles aussi, l'on retrouve dans plusieurs législations comparées des réformes en matières de procédures ainsi qu'en ce qui concerne la charge de preuve pour faciliter l'accès des victimes à la Justice et les aider à briser le silence autour des violences qu'elles subissent. Le projet actuel reste malheureusement timide à cet égard. -Pour revenir aux peines citées dans le projet de loi, vous ne trouvez pas que celles qui concernent l'harcèlement dans les lieux publics sont excessives et polémiques ? Effectivement, parmi les reproches que nous avons formulées en tant que Coalition pour l'adoption de la loi organique contre les violences faites aux femmes, le fait que les peines soient très lourdes notamment en ce qui concerne les violences sexuelles en général. Pourtant, nous avons beau parlé de la philosophie même de ce projet qui a introduit la notion de la victime dans la législation tunisienne ce qui implique plus d'attention et de protection de celle-ci que des privations de liberté excessives qui pourraient, d'abord, nous éloigner de la logique protectionniste préventive et protectionniste des victimes comme elles peuvent favoriser le désistement de celle-ci pour aller en Justice ou, encore, pousser les juges à jongler entre les différents crimes pour disqualifier certains actes de violences sexuelles. Dans ce cadre, et à titre d'exemple, nous avons salué que le viol ne soit plus puni par la peine capitale mais nous avons aussi souhaité que la perpétuité ne soit pas retenue comme une sanction. -On ne peut pas finir cette interview sans parler des deux grands absents de ce projet de loi qui sont l'égalité de l'héritage et l'article 230. Est-ce une partie remise ? Il y a eu une première version de cette loi qui vaudrait toucher à toutes les formes de discrimination et de violence à l'égard des femmes. Cette version a été avortée avant même de devenir un projet technique devant le gouvernement. L'une des raisons à cause desquelles ce premier projet ambitieux a été rejeté est le fait qu'il ait touché aux dispositions discriminatoires maintenues dans le Code du statut personnel dont le titre de chef de famille comme une exclusivité pour le père, certaines discriminations qui concernent l'attribution de la garde à la mère et la question de l'inégalité successorale. Nous regrettons bien évidement ce recul et ce manque de volonté politique de franchir vers l'égalité totale et entière entre les deux sexes en Tunisie et nous continuons à considérer les discriminations dans les lois et dans les faits comme la raison majeure des violences répandues dans notre société. Cela dit, nous sommes conscientes et conscients de l'importance d'avoir une loi qui fait le divorce avec les insuffisances en matières de traitement de la violence et nous continuons à nous battre pour une loi qui abroge toutes les discriminations et instaure l'égalité dans les lois. Cette loi n'a pas touché non plus à toutes les violations des droits humains inscrites dans le Code pénal tunisien. Il réside derrière ce choix un conservatisme qui a emporté, pour éviter de faire une révision profonde du Code pénal pour qu'il soit protecteur des libertés et non plus réprimant de celles-ci. Cela a été clair quand un nombre de députés au sein de la Commission droits et libertés se sont opposés à la notion du genre tenant en compte que celle-ci englobe toutes les identités genres y compris les LGBTQI. En plus des luttes contre les violences, notre bataille englobe aussi le principe de l'égalité qui a été reconnu dans l'article 21 de notre Constitution. C'est ce qui fait que les mouvements des droits humains, les mouvements des droits des femmes se rejoignent à la lutte des mouvements LGBTQI++ victimes, aussi, de toutes les formes de discrimination pour que celles-ci soient illuminées. L'adoption de cette loi sera un pas vers la réalisation de l'égalité mais la lutte continue.