Un chapitre des « Enigmes de l'histoire de France » est consacré à l'enquête sur la mort de l'écrivain, en 1902. La thèse de l'assassinat l'emporte. Les Enigmes. Voilà un sujet en or. Le public en raffole, surtout si on les mêle à l'Histoire. Le volume dirigé par Jean-Christian Petitfils ne manquera donc pas de trouver ses lecteurs. Au programme, des incontournables, les Templiers, Ravaillac, l'affaire des Poisons, le Masque de fer, Louis XVII, l'éventuelle bâtardise de Napoléon III, Rennes-le-Château, l'arrestation de Jean Moulin... Mais la vraie pépite de ce recueil collectif est signée Alain Pagès, coresponsable du centre d'études sur Emile Zola et le naturalisme, directeur des Cahiers du naturalisme, auteur depuis 30 ans de dizaines d'ouvrages sur l'auteur des Rougon-Macquart. Bref, rien de ce qui concerne Zola ne lui est étranger et le sérieux de sa plume est assuré. Or, voilà qu'il reprend l'enquête menée par l'illustre journaliste Jean Bedel. Dans différents articles (Libération en 1953, Le Quotidien de Paris en 1978) transformés en un livre paru en 2002, Zola assassiné, il avait démontré que l'asphyxie du rédacteur du célèbre article J'accuse mort en plein sommeil le 29 septembre 1902 était tout sauf accidentelle et que la conduite de la cheminée de son appartement du 21, rue de Bruxelles, près de la place Clichy à Paris, avait été délibérément bouchée. « Tirage défectueux » : telle avait été la cause officielle du décès. L'enquête, après avoir procédé à un test - négatif - sur des animaux cobayes, avait conclu que les trépidations de la rue avaient obstrué le conduit avec des gravats. Curieux. L'investigation avait été vite bouclée pour ne pas rallumer les braises d'une affaire Dreyfus tout juste refroidies. Cheminée bouchée Mais en 1953, le journaliste Jean Bedel fut le dépositaire d'un bien étrange témoignage. Pierre Hacquin, 68 ans, lui transmet la confession d'un nommé Z, entrepreneur de fumisterie, qu'il avait lui-même reçue en 1928, peu avant le décès de ce dernier. « Hacquin, je vais vous dire comment Zola est mort. C'est nous qui avons bouché la cheminée de son appartement. Et voilà comment : dans une maison voisine, il y avait des travaux de réfection de la toiture et des cheminées. Nous en avons profité, par suite du va-et-vient continuel dans cet immeuble, pour repérer la cheminée de Zola et la boucher. Nous l'avons débouchée le lendemain matin, très tôt. Nous avons pu profiter du remue-ménage provoqué par la découverte de l'accident pour nous mêler aux ouvriers qui ont pénétré dans la maison de Zola. » Une autre hypothèse avait surgi en 1990 à la suite de la publication d'un criminologue, le commissaire Le Clère, qui avait recueilli dans les années 60 le témoignage d'un marbrier, Paul Jouvensel, dont les parents habitaient la maison voisine de Zola. Un tampon de plâtre aurait été placé par mégarde sur la cheminée menant à la chambre à coucher de l'écrivain, alors que des travaux similaires étaient menés sur la maison mitoyenne. On tourne autour de la même cause. Reste à déterminer l'intentionnalité. Deux vérités Alain Pagès a enquêté sur la personnalité de ce monsieur « Z » dont Bedel, en 1978, avait enfin livré l'identité : Henri Buronfosse. Ce fumiste était membre de la Ligue des Patriotes de Déroulède, qui avait mené la campagne la plus violente contre le dreyfusard Zola, « romancier sans patrie », « défenseur du traître », figure numéro un de la cause dreyfusarde après la publication dans L'Aurore de son article J'accuse. Buronfosse n'était pas un simple adhérent de la Ligue, mais un commissaire, chargé d'encadrer les manifestations. A-t-il agi sur une initiative personnelle ou missionné ? Rien ne permet de trancher. Dans quelles circonstances aurait-il pris la décision d'agir ? Là non plus, son témoignage est trop succinct. Pagès s'appuie surtout sur la qualité de la relation entre Buronfosse et Hacquin, ainsi que la personnalité de ce dernier, « un homme intelligent, cultivé, qui a longuement fréquenté le fumiste, lui a accordé sa confiance et son amitié ». Il ne s'agit pas d'un propos en l'air, mais d'une confession de dernière minute à laquelle un ami a accordé foi. Par ailleurs, Pagès a mis au jour d'étranges apparitions et disparitions du prénom Emile (celui de Zola) sur l'état civil de Henri Buronfosse, comme si celui-ci avait voulu glisser ainsi incognito la trace de son méfait. Nous avons interrogé Alain Pagès sur le degré de certitude qu'il attribue à cette version de l'assassinat. « C'est ma conviction, mais comme je suis rationnel, j'entends apporter des preuves. Il n'y a pas de certitude absolue, car la preuve elle-même n'est pas absolue, on est bien dans le domaine de l'énigme, où le fait demeure soumis à l'interprétation et à la discussion. » Pagès, qui avait entrepris cette enquête en 2002 pour son ouvrage Guide Emile Zola (Ellipses), avait fait part de ses recherches à Henri Mitterrand, le biographe de l'écrivain, qui en avait lui-même rendu compte dans le tome 3 final de sa grande biographie, avec la prudence qui s'imposait. Cela restait pour lui une hypothèse. Si l'on consulte la plupart des sites internet aujourd'hui, la version qui continue à l'emporter reste celle de l'accident. Celle de l'assassinat peine à être reconnue. On est confronté au cas remarquable de deux vérités en concurrence, la plus probable n'étant pas encore avalisée. Dans ce cas-là, Zola serait l'autre grande victime de l'affaire Dreyfus.