Et de trois! Jean-Jacques Ciscardi vient de publier aux éditions Arabesques le troisième tome de la série d'ouvrages qu'il consacre à Djerba. Né à Djerba où il a passé son enfance et son adolescence, l'auteur plonge avec délices dans le flux du souvenir. Un livre à découvrir... La plume de Jean-Jacques Ciscardi a une capacité formidable. Elle fait renaître le souvenir et sait retrouver les traces les plus infimes d'une vie. Mieux, l'auteur, en se racontant et en restituant à son lecteur de nombreuses pages d'histoire djerbienne, fascine, passionne et transforme chaque détour du souvenir en mémoire féconde. Les années djerbiennes à l'ombre des phares de l'île Cela fait maintenant quelques années que Ciscardi a entrepris le projet de revenir sur les méandres d'une vie et surtout sur ses années djerbiennes. Né sur l'île de la cinquième saison, Ciscardi est le fils d'un gardien de phare et, de ce fait, il a grandi entre les phares de Tourgueness et Borj Jlijel où son père travaillait. De ces années, l'auteur garde un souvenir lumineux et mille anecdotes plus éloquentes les unes que les autres. C'est à l'âge de 21 ans que Ciscardi a quitté Djerba, une année avant l'indépendance de la Tunisie. Ayant pris la direction de la France, il y fera sa vie et une belle carrière dans le cinéma et la musique. Il revient ensuite à Djerba en 1980 et, depuis, il est devenu un incontournable de l'île. Apprécié de tous, mémoire infaillible, Ciscardi est considéré comme une légende vivante, un trésor humain. Sa vaste connaissance de Djerba l'a poussé à partager ce savoir dans une collection d'ouvrages qui évoluent entre le récit de vie et la chronique d'une île par l'un de ses enfants. L'irrépressible remontée des traces de vie Ces ouvrages sont publiés avec la complicité de Moncef Chebbi et des éditions Arabesques. Après deux premiers tomes qui ont en quelque sorte permis à Ciscardi de placer son dispositif mnémique, voici un troisième tome qui arrive à point. Intitulé "Djerba fontaine de souvenirs", ce livre en seize chapitres, parfois brefs, parfois plus touffus. L'auteur y précise son projet tout en exprimant un mea culpa dans des termes qui rendent hommage au jeu du souvenir et de l'oubli. Ciscardi écrit ainsi: "Les souvenirs n'ont d'intérêt que pour ceux qui les ont vécus, c'est vrai. Pour les autres, ce ne sont que des appréciations personnelles qui peuvent faire rêver, plaire ou déplaire. Les miens, même fidèles, ne sont pas toujours évidents, l'âge aidant, la mémoire devient capricieuse. J'ai fait de mon mieux pour regrouper ceux qui s'étaient égarés. Additionnés aux autres, ils sont nés et s'éteindront à Djerba, berceau magique de ma vie". Ceci dit, Ciscardi jubile en racontant ses souvenirs. Il semble boire à la source de la mémoire collective tout en rapportant ses propres faits et gestes. Dans chaque page, ce sont des fulgurances qui remontent, des images qui s'imposent à nous, un récit qui se déploie embrassant les détails d'une vie. De l'euphorie du ramasseur de bigorneaux à l'observateur des négociations au marché, Ciscardi nous renvoie à bien des réalités virtuelles, à des épisodes d'un vécu des années cinquante lorsque encore adolescent, il mordait dans la vie à pleines dents. Les jubilations du narrateur engagé Aujourd'hui, à l'âge de raison, c'est une mémoire retrouvée qui se fait entendre, qui retrouve le plaisir de la narration et partage l'écho d'une vie avec son lecteur. Ils sont nombreux ceux qui se retrouveront dans ce livre, dans ces histoires. Ils ont l'âge de Ciscardi et sont eux aussi passés par ses expériences de vie. D'autres, plus jeunes, découvrent un monde inédit à la lecture de Ciscardi, des ambiances disparues et des nostalgies ensoleillées. Ecrivant la préface de ce livre, Houcine Tobji, le conservateur du Musée du Patrimoine à Gallala, retrouve cet enjeu: "L'auteur a réussi grâce à son talent de narrateur engagé, sincère et passionné et sa pensée humaniste à redonner aux grandes valeurs qui ont fait la réputation de l'île toutes leurs significations et leurs valeurs symboliques". Ces propos que nous rapportons en substance soulignent bien la démarche de Ciscardi qui, à la fois, exprime le "je" et le "nous" dans son récit intime/extime. Un ouvrage à découvrir et un livre qui devrait être suivi d'autres parutions car l'auteur signale, complice, que "Djerba fontaine de souvenirs" n'est pas le point final car d'autres souvenirs "encore en hibernation" sont dans l'attente d'un réveil prochain.