Moustapha Mbengue a crevé l'écran dans le film «Amin» de Philippe Faucon, à l'affiche dans les salles obscures. Il est un comédien et musicien italo-sénégalais dont on n'a pas fini d'entendre parler. Moustapha Mbengue joue dans « Amin ». Il y incarne un ouvrier du bâtiment tiraillé entre la France et sa famille, restée au Sénégal. À son cou, il porte un collier représentant Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, plus connu sous le nom de Serigne Touba, fondateur de la confrérie mouride, très influente au Sénégal. Moustapha Mbengue est un colosse aux yeux rieurs, qui inspire d'emblée la sympathie. Il s'exprime parfaitement en italien, sa langue d'adoption, entrecoupé de phrases en français. Son traducteur de l'italien Olivier Favier a, par ailleurs, écritChroniques d'exils et d'hospitalité, paru au Passager clandestin en 2016. Cet ouvrage remarquable rassemble des témoignages de réfugiés ayant fui la guerre ou la misère dans leurs pays respectifs. Il n'y a pas de hasard ! Car Amin, la fiction de Philippe Faucon dans laquelle Moustapha Mbengue joue le rôle-titre, aux côtés d'Emmanuelle Devos, porte sur la migration. Si le film n'est pas parfait sur la forme, la prestation de Moustapha Mbengue en est incontestablement l'un des points forts. Le public ne s'y est pas trompé : « J'ai reçu beaucoup de félicitations de gens qui ont trouvé que c'est authentique : "Moustapha, c'est nice !" Des Sénégalais mais aussi des Italiens ont salué mon travail. Ça me donne du courage pour continuer », raconte Moustapha Mbengue, plein d'optimisme. De Gorée à Rome Pour Moustapha Mbengue, tout commence en 1972 sur l'île de Gorée qui l'a vu grandir, dans une famille de cultivateurs : « Là d'où je viens, il y avait de l'art partout », se souvient-il. « Pendant la saison des pluies, on faisait des sabars. On stockait l'huile de palme dans les maisons. Il y avait ceux qui travaillaient et des musiciens qui les accompagnaient. Pendant le bilim, c'est-à-dire le premier jour de l'année pour les Sérères, ça se transformait en mini-discothèque : les hommes se mettaient sur une rangée, les femmes sur une autre et chantaient. » À Gorée, pour aider son oncle, Moustapha travaille initialement sur un métier à tisser. Mais le destin en décide autrement : « Je me suis blessé au pied et j'ai dû m'arrêter. C'est là que je me suis mis carrément au djembé. » En 1992, il fonde le groupe Africa Djembé : « J'ai voulu mettre en avant ma culture avec ce projet. Les Sérères sont connus pour leur attachement aux traditions ancestrales. » En 1996, Moustapha Mbengue fait son premier voyage à l'étranger, à Chartres en France. Il y anime des ateliers de percussions avec des enfants handicapés. Deux ans plus tard, un autre périple à Rome change le cours de la vie du percussionniste. Il s'y marie et s'y installe : « J'ai lancé deux groupes Tamburi di Gorée (tambours de Gorée) en lien avec des musiciens à Dakar, puis Tam Tam Morola. J'avais beaucoup d'idées en tête. J'ai fait beaucoup de théâtre, du jazz, de la house, de la musique africaine, du traditionnel, du mbalax... J'ai eu l'occasion de faire des échanges avec de nombreux artistes européens. Quand quelqu'un arrivait du Sénégal, j'essayais de lui trouver un job. » Celui qui de son propre aveu n'a jamais considéré la musique comme son travail en a fait son métier en ouvrant une école de percussions. Comme son personnage Amin, Moustapha Mbengue fait l'expérience d'être un immigré en Europe : « Beaucoup de choses ont évolué avec ma génération », explique-t-il. « Les Sénégalais qui m'ont précédé en Italie étaient vraiment là pour le travail. Ils restaient à la maison le soir à regarder la télévision sénégalaise. Leur but, c'était de revenir au pays. Nous, on sort davantage. Depuis vingt et un ans, je m'investis pour instaurer de la paix entre les gens. J'amène des Italiens en Afrique. » Toutefois, il nuance son exemple d'intégration : « J'ai un statut privilégié en tant que musicien parce que les Sénégalais qui vivent de petits commerces ne sont pas traités de la même façon. La réception que j'ai quand je suis sur scène où quand je suis un anonyme dans la rue n'a rien à voir. J'ai compris que la musique m'ouvrait plus de portes en Italie. » À l'assaut de Cinecittà Avant de percer avec Amin, le talent de Moustapha Mbengue n'est pas passé inaperçu en Italie. Le journaliste de télévision Maurizio Costanzo lui a notamment mis le pied à l'étrier. Il a joué dans plusieurs séries : Provaci ancora prof ! et Chiaroscuro, avec l'acteur Nino Manfredi. De son côté, le scénariste Enzo Decaro lui a donné sa chance au théâtre. Connu pour son travail avec Massimo Troisi, l'auteur repère Moustapha lors d'un concert en 2002. Il met alors sa carte de visite dans la poche du percussionniste : « Je l'ai appelé. Il m'a dit qu'il croyait que c'était un disque qui passait, car il n'avait jamais vu du tambour joué live comme ça. Il m'a fait intervenir sur son adaptation de la pièce Jonathan Livingstone le goéland de Richard Bach, en italien : Il gabbiano Jonathan Livingstone. J'ai aussi collaboré à son adaptation de l'Eneide de Virgile, en 2011. Le metteur en scène Antonio Calenda m'a fait jouer dansFinis Terrae Lampedusa en 2014-2015. » D'ailleurs, c'est une vidéo de ce dernier spectacle qui a sauté aux yeux de Philippe Faucon et de son équipe de casteurs, quand ils se sont enquis de leur « Amin ». Un succès en demi-teinte en Italie Moustapha Mbengue, qui a acquis une certaine notoriété localement, est parti de loin : «En Italie, je n'ai jamais vu une star noire. Il n'y en avait qu'un et c'était un Africain-Américain dans les années 60. Il s'appelait Rocky Roberts avec son tube "Stasera mi butto". Moustapha Mbengue déplore que ses chances au pays de la Renaissance restent limitées : «J'ai fait les plus grands festivals du pays: le festival dei due mondi à Ombrie, un festival de musique à Venise, des concerts retransmis sur les chaînes de la Rai et Media 7. Chez moi, j'ai des valises remplies des affiches des événements auxquels j'ai participé. Le problème, c'est qu'il n'y a aucune structure pour distribuer la musique africaine en Italie. Quant aux rôles qu'on m'a donnés dans des séries, ce sont des stéréotypes : percussionniste, dealer ou balayeur. J'ai beaucoup d'amis en Italie. Je suis bien intégré dans la société. Malgré tout, je n'ai jamais eu les mêmes chances que les Italiens de souche en ce qui concerne le travail. Je trouve de meilleures opportunités en France.» Négrophobie en Italie En 2011, des meurtres racistes de sénégalais endeuillent Florence. L'une des victimes a passé son enfance au Sénégal avec Moustapha Mbengue : « Il nous faisait de la peine parce qu'on avait tous une mère. La sienne est décédée quand il était tout petit. Il a d'abord vécu au Maroc avant d'arriver en Italie. Il a passé la journée chez moi à Rome. Ensuite, il est allé à Florence. Chaque fois que j'allais à Bologne ou à Milan, je le voyais au passage à Florence. Ma belle-mère possède un grand champ d'olives où mon ami a été saisonnier. Elle a vu à la télévision que plusieurs Sénégalais ont été tués à Florence. Automatiquement, j'ai cherché à joindre mon ami. Il ne décrochait pas. J'ai pris ma voiture pour voir ce qui s'était passé. Je suis connu en Italie et je sais comment les gens fonctionnent. Le tireur Gianluca Casseri gérait une casapound. À ce moment-là, le gouvernement a voulu cacher la vérité. On a dit que c'était un "malade". J'ai pris la parole en public pour dénoncer cet acte.»