L'Organisation des Nations unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO) a décrété 2019 l'année internationale des langues autochtones. Un moyen de sonner l'alarme sur le risque de disparition de plus la moitié des idiomes d'ici 2100. D'après un rapport remis en 2016 par des experts à l'UNESCO, 96 % des quelque 6 700 langues du monde ne sont parlées que par 3 % de la population mondiale, et entre la moitié et 95 % de toutes les langues parlées dans le monde auront disparu ou seront menacées d'extinction d'ici à 2100. La grande majorité des langues en danger sont des langues autochtones. Les langues autochtones sont des langues qui «existent depuis plusieurs générations, mais qui, sur un territoire donné, ne sont plus parlées que par un groupe restreint de locuteurs, généralement âgés, et qui ne sont souvent plus la langue maternelle de la nouvelle génération». D'après les estimations, une langue autochtone disparaît toutes les deux semaines. Une véritable catastrophe lorsque l'on sait que «les langues autochtones ne sont pas simplement des moyens de communication; ce sont aussi des systèmes de connaissance complexes et très développés. Elles constituent un élément central de l'identité des peuples autochtones ainsi que des efforts visant à préserver leur culture, leur vision et leur perception du monde, et sont l'expression de leur autodétermination». Il est à noter que les peuples autochtones comptent environ 370 millions de personnes et vivent dans 90 pays. Bien qu'ils ne représentent que 5 % de la population mondiale, ils constituent aujourd'hui 15 % des individus les plus marginalisés de la planète. Pour faire face à ces menaces de disparition, l'Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) du 19 décembre 2016 a adopté une résolution sur les droits des peuples autochtones. L'Article 13 de cette résolution «proclame l'année, qui commence le 1er janvier 2019, l'Année internationale des langues autochtones, afin d'attirer l'attention sur la perte critique des langues autochtones et l'urgente nécessité de préserver, revitaliser et promouvoir les langues autochtones et de prendre des mesures urgentes au niveau national et international (…)» La préparation d'un plan d'action est prévue pour sauver et sauvegarder ces langues autochtones, ainsi que différentes activités pour les mettre en valeur. D'autre part, le Programme de développement durable à l'horizon 2030, adopté par l'Assemblée générale en 2015, «vise à assurer l'égalité d'accès à tous les niveaux d'enseignement et de formation professionnelle aux peuples (…). L'utilisation des langues autochtones dans l'enseignement et la formation a été présentée comme une approche qui permet d'atteindre cet objectif». En quoi cette année internationale des langues autochtones concerne-t-elle notre pays ? La réponse est simple : la langue berbère. Le berbère (ou tamazight en berbère) couvre une aire géographique immense : Afrique du Nord, Sahara-Sahel. Il est considéré comme la langue autochtone du Nord de l'Afrique. La question du berbère en Tunisie Selon l'article «Diversité culturelle et dialogue interculturel en Tunisie» (2009, bibliothèque numérique de l'UNESCO), «Les berbères représentent aujourd'hui moins de 1% de la population tunisienne (…) Leur dialecte, le chelha, n'est pratiqué qu'à Jerba et quelques régions du sud tunisien, il tend à disparaître faute de locuteurs». Dans «L'aménagement linguistique dans le monde», que l'on trouve sur le site de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d'expression française en Amérique du Nord (CEFAN), et plus précisément la partie datant du 23 décembre 2016) qui concerne notre pays, on peut lire : «Les Berbères représenteraient entre 5 % et 10 % de la population tunisienne, ce qui signifie un nombre variant entre 500 000 et un million d'individus. (…) l'ethnie berbère est plus importante que ses locuteurs. En effet, les berbérophones sont estimés à quelque 78 000 personnes. Les berbérophones utilisent différentes variétés : le chaouia (39 000 locuteurs), le nafusi (26 000), le sened (11 300) et le ghadamès (env. 2000). (…) En Tunisie, les variétés berbères sont en régression constante au point qu'elles sont menacées d'extinction. Au plan linguistique, les berbérophones de la Tunisie ne bénéficient d'aucun droit linguistique. Comme minorité tunisienne autochtone, les Berbères constituent une minorité totalement oubliée. La langue berbère n'est ni lue ni écrite en Tunisie, parce que l'Etat a toujours refusé de l'introduire dans le système d'enseignement». Dans son billet dans «Le Carnet de l'IRMC» (en ligne), intitulé «Premiers pas d'une "renaissance" amazighe en Tunisie. Entre pression panamazighe, réalités locales et gouvernement islamiste» (7 décembre 2012), Stéphanie Pouessel : «Parmi les pays du Maghreb, la Tunisie détient le plus faible taux de berbérophones». «Il est décrété qu'ils représentent 1 % de la population dans les principales études sur le sujet; plus de 10 %», selon un militant berbère à Tunis, qui a donné ce chiffre à l'auteure du billet en octobre 2012. Dans sa contribution, au site huffpostmaghreb.com, intitulée «De la situation des Amazighs de Tunisie» (17octobre 2016 et actualisé le 18octobre 2017), l'activiste amazigh tunisien Khaled Kmira déclare : «Le dernier recensement officiel des berbérophones en Tunisie remonte à 1923 et il donne un chiffre de 20.601 locuteurs (y compris les Marocains, Algériens et Libyens vivant en Tunisie à l'époque) pour une population totale d'environ 1.500.000 habitants. Le dernier recensement de 2014 donne un chiffre de 30.371 habitants dans les zones berbérophones de Tunisie (Tamazret, Taoujout, Zraoua, Sedouikech, Guellala, Agim, Oued Zebib, Douiret, Chenini, Ras El Oued, Bir ThlathineJarjer). Il est à noter que le plus grand nombre de berbérophones se trouve dans la région du Grand Tunis. La Tunisie compte 10.982.754 habitants selon le recensement de 2014. Les parlers aujourd'hui vivants, pratiqués par un nombre important d'habitants au niveau d'un village, sont ceux de Chenini, de Douiret, de Zraoua, de Taoujout, de Tamazret, de Guellala, de Sedouikech et d'Ajim. Les habitants de Matmata, Ghomrassen, Toujane, Sened, Guermessa, Majoura, Ouesslat, etc., sont totalement arabisés. La conscience identitaire amazighe même si elle demeure forte en Tunisie, n'est pas visible de l'extérieur. Elle n'a pas une dimension "nationale", et est éclatée en autant de villages que de parlers, d'où sa faiblesse. Les parlers s'altèrent presque d'une façon irrémédiable, d'où l'urgence de leur sauvegarde. De plus les berbérophones ne sont pas légion dans chacun des villages, même si la situation diffère d'un village à l'autre. Il paraît clair que Taoujout, Zraoua, Chenini et Douiret comptent le plus grand nombre de locuteurs berbérophones même si cela nécessite d'être vérifié sur le terrain». 2019, année internationale des langues autochtones, remédiera-t-elle à ce manque ? Seul l'avenir nous le dira…