Si certains restaurants carburent à merveille, d'autres attendent encore l'arrivée de leurs clients. C'est dire que ce secteur n'est pas en bonne santé comme on le pense. Bien qu'ils soient une partie intégrante du tourisme tunisien, nos restaurants n'ont pas beaucoup évolué alors qu'ils sont supposés être des espaces de dégustation et de la bonne bouffe. Si certains vous laissent vivre des moments de convivialité et de bonheur autour d'une bonne table, d'autres n'ont pas encore une culture culinaire suffisante pour vous séduire. La Tunisie compte 376 restaurants classés dont la majorité à Tunis, soit 123 restaurants. Ces espaces destinés au divertissement, à se rencontrer, et goûter à la bonne chère n'ont pas connu le développement souhaité et ce, à cause de plusieurs raisons. Primo comme nous le précise Mohamed Ali un cadre dans une banque, « les tarifs dans ces temples de la gastronomie sont exorbitants. Ce qui les rendent accessibles aux seules classes aisées. Ce qui exclut du fait les classes moyennes », témoigne-t-il. Et d'ajouter ; « personnellement, je ne peux pas me permettre de dépenser 100 à 120 dinars pour une soirée passée dans un restaurant. C'est cher. Imaginez si vous êtes accompagnés par vos enfants, vous risquez de laisser des plumes. C'est dire que les tarifs sont parfois exagérés ». Il critique à cet égard les tarifs proposés. « Une entrée salade pour 7 à 8 dinars, un steak pour 15 dinars et une daurade à 25 dinars ! ». « C'est fou comme addition ! », enchaîne-t-il. De même, Samir un commerçant considère que les restaurants sont chers pour la qualité des repas qu'ils servent. « Les prix affichés ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Parfois, vous avez envie de manger plus mais vous-êtes freinés par ces tarifs. Un jour, j'ai invité un ami à dîner avec moi. Il a conclu que le prix d'un dîner dans un restaurant touristique est le double d'une pension complète », d'après lui. Faouzia, cadre dans une société nous dit, « personnellement, je préfère manger dans un restaurant non classé dit populaire où on y trouve une bonne cuisine et à bon marché. Il suffit d'aller dans un restaurant de la Médina de Tunis pour goûter aux délices des mets préparés ».
« Testira », poisson et toujours la même chanson ! Nos restaurants n'innovent pas. Leurs cartes de menu se ressemblent et ne changent presque jamais à part quelques exceptions. La cuisine est simple, sans création et imagination et surtout sans valeur ajoutée. Toujours la même chanson nous dit un habitué de ces coins, « de la « testira » et du poisson grillé, là tu es sûr de trouver ce repas dans tous nos restaurants. Rares sont les restaurants qui innovent et qui proposent des mets qui sortent des sentiers battus. On mange toujours la même chose. La différence d'un restaurant à un autre est davantage dans les équipements et les décors », témoigne-t-il. Critiquant la qualité de service, il considère « qu'il ne faut pas en parler, et tant pis si vous restez une heure à attendre l'arrivée de votre entrée où le maître d'hôtel oublie tout simplement de vous servir ». C'est un phénomène courant car les propriétaires ont beau jeu. Pourquoi se battre pour attirer le client puisque c'est le client lui-même qui se bat aux portes des restaurants pour entrer ? Pensent-ils en comptant leurs billets ? Il va sans dire que nos propos ne visent pas tous les établissements. Il s'agit seulement de constatations amères ressenties à plusieurs reprises et qui méritent d'être signalées.
Une chaîne de rôtisseurs, la bienvenue ! Nos restaurateurs sont mal encadrés et souvent livrés à eux-mêmes. Ils n'ont pas d'interlocuteur valable pour défendre leurs intérêts, promouvoir leur image et développer leurs activités. Ils travaillent contre vents et marées. Ils manquent de créativité et de moyens pour développer leur métier et leur culture culinaire. Sans formation et sans recyclage, ils ne peuvent aller plus loin dans l'amélioration du goût et des plats. Certains ne sont pas à la page pour améliorer leurs recettes. C'est pour quoi nous saluons la naissance de la corporation de la chaîne des rôtisseurs qui vient de voir le jour grâce à une pléiade de restaurateurs tunisiens dont l'objectif comme le précise son président, M. Ezeddine Chaieb, est « de faire connaître l'art culinaire tunisien, améliorer nos recettes et favoriser les meilleurs tables ainsi que les chefs talentueux ». Et de préciser ; « Notre objectif est de former et de recycler nos cuisiniers en les invitant aussi à prendre part à des concours de jeunes rôtisseurs au niveau national et international. Notre corporation est ouverte à tous les professionnels et les non-professionnels passionnés par la grande cuisine, qui partagent la philosophie des professionnels, apprécient la bonne chère et se consacrent à la promotion et au développement des valeurs gastronomiques et l'art de la table ».
Rafik Tlatli ; restaurateur et formateur en gastronomie « Il est temps de se spécialiser » Le Temps : Comment jugez-vous l'évolution de la restauration en Tunisie ? Rafik Tlatli : Tous nos restaurateurs sont rentrés dans un circuit fermé d'industrie gastronomique. Le nombre des restaurants est devenu très grand et tout le monde fait la même chose. De Tabarka à Médenine, on propose les mêmes spécialités. Je pense qu'il faut se spécialiser de façon à ce que chaque client aille cibler le produit qu'il veut manger. D'autre part, la cuisine tunisienne est absente dans nos restaurants. Il serait intéressant de proposer la spécialité de sa région et promouvoir le patrimoine culinaire tunisien.
Ne pensez-vous pas que nos chefs de cuisine manquent de créativité ? N'est pas cuisinier qui veut et là nos chefs de cuisine doivent faire un peu de recherche et de créativité dans leur carte et ne pas copier la carte du voisin. Nous devons nous informer pour être toujours à la page. Nous devrons aussi faire de la gastronomie et non du spectacle. L'essentiel c'est que déguste et mange le client alors faisons de notre gastronomie un emblème, une idole et un sacre.
Ne pensez-vous pas que les prix affichés sont élevés ? Je ne le pense pas car le coût des mets est élevé. Les produits de base, le personnel et l'énergie exigent aussi des moyens et cela se répercute sur les prix affichés.
La corporation de la chaîne des rôtisseurs va-t-elle restructurer ce métier sur des bases solides ? C'est un bon acquis pour le secteur. Cette corporation va modifier beaucoup de choses dans la gastronomie tunisienne. Son but est de mettre en valeur la cuisine tunisienne, la faire connaître aux tunisiens et à nos hôtes avec de nouvelles recettes adaptées à leurs goûts. Kamel BOUAOUINA