Et rebelote ! Mardi 19 mai, la présidence du gouvernement de Sarraj à Tripoli rend public un communiqué où l'on apprend que Rached Ghannouchi, président de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), a pris l'initiative de téléphoner à Sarraj. Pendant quatre heures, les Tunisiens en voulaient plus de détails et de réponses à leurs interrogations sur ces activités extra-parlementaires de Ghannouchi. Le bureau de l'ARP a fini par lâcher un communiqué «tunisien», une réplique pas très fidèle du communiqué issu de Tripoli. En effet, l'ARP, en un tour de main qu'elle a cru salutaire, a reproduit le texte du communiqué libyen…en le censurant ! Car le communiqué de Tripoli contient une phrase qui a été biffée lors de sa retransmission du Bardo. Voici la phrase : « M. Ghannouchi a exprimé sa satisfaction quant à la restitution à la légalité de la base proche des frontières tunisiennes… ». Entendez Loutiya ! Si les faits sont réels, leurs dimensions et leur nature le sont beaucoup moins évidents. En parcourant les médias des deux rives du conflit libyen, on s'aperçoit que la base de Loutiya a bel et bien été récupérée par les forces de Sarraj, perfusées par les armes et les contingents de mercenaires que la Turquie ne cesse d'acheminer sur le territoire libyen. Une bataille qui n'a rien changé à l'équilibre général sur le terrain. En termes militaires, le bilan de cette bataille est purement tactique, pour ne pas dire symbolique, d'une part par sa superficie en termes géographiques, et d'autre part, par son impact encore virtuel sur l'évolution de la crise libyenne en général. D'ailleurs, si les forces de Sarraj ont mis l'accent sur la nécessité de retourner à la table des négociations, le compte-rendu des forces de Haftar a annoncé la bataille comme étant un simple repli tactique de ses hommes, insinuant par-là la continuation de la guerre, comme contre-pied à l'orientation de Sarraj, lequel veut acculer ses ennemis à la négociation. Colorer la prudence tunisienne en Libye ! D'un point de vue diplomatique tunisien, depuis quand la diplomatie tunisienne se prononçait aussi ouvertement sur des « opérations tactiques » entre belligérants ? Et s'il y a lieu de le faire, le chef du parlement tunisien, en vertu de la « Constitution » n'a aucune compétence à le faire. Donc, où Ghannouchi puise toute cette arrogance pour faire dire à la Tunisie et à ses institutions souveraines ce qu'ils se sont toujours refusé à dire ? Déjà à l'ARP, le chef du parlement fait face depuis quelques jours à un sit-in, qui risque de tourner à la grève de la faim, voire à l'internationalisation du dossier, du groupe du PDL (Parti Destourien Libre), conduit par l'avocate Abir Moussi. Les sit-ineurs tiennent à réhabiliter un droit qu'ils considèrent comme étant bafoué par Rached Ghannouchi, son cabinet fait de ses proches, avec l'assentiment du bureau de l'ARP, qui semble-t-il, se joue de tous les textes en vigueur, à commencer par les statuts internes de l'ARP. Il s'agit du droit d'interroger le président de l'ARP sur ses cavaleries solitaires, en dehors de toutes les normes qui sou tendent le travail parlementaire. Déjà le block du PDL dispose de tout un dossier sur les activités « parallèles » de Ghannouchi avec les autorités turques et qataries. Un dossier que le reste des députés suivent avec une gêne de plus en plus marquée, laquelle risque de se transformer, à tout moment, de l'attentisme prudent en une vague d'alignement sur les positions d'Abir Moussi. Plaident en cette direction plusieurs facteurs dont notamment les agissements en cascades de certains responsables d'Ennahdha et de ses tentacules folkloriques dont semblent raffoler les médias ramadanesques ainsi confinés, et en mal de sensas. Le grand absent de ce processus de pourrissement de la scène politique et de la vie du citoyen, est bien entendu, la Présidence de la République, seule compétente en matière de diplomatie et de gestion protocolaire et politique des relations extérieures de l'Etat. La Présidence…aux abonnés absents ! Le Président Kaïs Saïd est-il en train de peaufiner la suite à donner à ses propos durs qu'il avait prononcés à Kébili, lors de la « cérémonie militaire » d'inauguration de l'Hôpital de campagne, acquis comme étant un don de l'Emirat du Qatar ? Le retrait de la charge, euphémisme de la dissolution de l'ARP, est-il encore à l'ordre du jour ? Ou bien était-il un simple abus de langage ou un élan rhétorique de circonstance, sans lendemain ? La situation semble plus que jamais intenable. Des organisations de Zakat éclosent ici et là, tandis que les feux sporadiques s'intensifient contre la nature plutôt froide de la période que nous traversons, pour viser une panoplie de cibles civiles, créant un concours de faits suspects à tous égards. Depuis deux semaines, Ghannouchi baignait dans une solitude qui a encouragé certains citoyens à multiplier les pétitions en faveur d'un audit sérieux des fortunes tunisiennes, avec en premier lieu celle de Ghannouchi et de sa famille. Au sein de l'ARP, le parti Ennahdha peine à fédérer les blocs parlementaires de l'opposition et ceux d'apparence neutre, en passe d'acquérir un impact réellement menaçant pour la toute-puissance du parti islamiste, allant jusqu'à proposer des projets de lois visant, franchement et sans ambages, à sauver Qalb Tounès, la deuxième formation à l'ARP, d'une disparition pure et simple. Ainsi, il apparait très sensé de s'interroger si la Tunisie est capable, dès après l'Aïd El Fitr, de rompre son jeûne démocratique, imposé par une classe politique où l'indigence intellectuelle le dispute à la mauvaise foi idéologique, afin de soutenir le climat de dépression que le pays supporte de plus en plus mal. Cette fois-ci encore, on peut dire que les institutions seules, et le juridisme primaire ne seront pas d'un grand secours face à une guerre de clans qui ne dit pas son nom. L'expérience du Quartet commence à refaire surface. Cette fois-ci, l'arrogance, quel qu'en soit le bord, sera fatale pour tout le pays. En tout état de cause, le pays ne peut plus continuer comme cela ! Avec un Etat en haillons !