Sous le regard coupable et scandaleusement omniscient des politiques, qui « saccagent » le pays depuis plusieurs années, et à l'heure où la Tunisie continue de s'enfoncer, corps et âme, dans les bas-fonds d'une crise socio-économique, chronique et aiguë, amplifiée désormais par les séquelles du corona-fléau, qui se font, de facto, d'ores et déjà sentir, des jeunes et des moins jeunes « zabratas » de la Tunisie profonde s'engouffrent chaque jour un peu plus dans le sombre abîme de leurs désespoirs thésaurisés. Et dire qu'il aurait seulement fallu que le « cocktail » soit, cette fois-ci, un peu plus empoisonné que d'habitude, et donc forcément mortel, pour que ça devienne, finalement, une affaire d'Etat –parce qu'enfin, ç'en est une !- et pour qu'on daigne, du moins, ne serait-ce qu'en parler. La nouvelle, éminemment tragique, tombe comme la foudre le lendemain de l'Aïd. Trois frères, originaires de Hajeb Laâyoun dans le gouvernorat de Kairouan, rendent l'âme durant la même journée après avoir consommé, la veille, un breuvage toxique à base d'alcool méthylique, mélangé essentiellement à de l'eau de Cologne, ou de la « Kouares », comme on se plait à l'appeler couramment en Tunisie, et dieu sait à quelles autres substances diaboliques et vénéneuses. Une tragédie arrosée… Le décès de ces trois frères ouvre le ban et déclenche une véritable hécatombe dans le village. En l'espace de 48 heures, sept personnes ont trouvé la mort et 56 autres ont été hospitalisées, dont 23, se trouvant dans un état grave, ont été placées en réanimation dans différents hôpitaux du pays. Et dire que même le corona, implanté depuis un peu plus de deux mois déjà dans nos contrées, n'a pu, décidément, infliger de tels dégâts, en seulement deux journées ! D'après les témoignages du cadre médical concerné, recueillis par nos consœurs et confrères de la radio locale Sabra FM, décidément mobilisés à longueur de journées pour couvrir ce drame national, les symptômes de l'intoxication causée par ce breuvage toxique, peuvent apparaître immédiatement ou dans l'heure qui suit sa consommation, tandis que les signes de complications peuvent être détectés même jusqu'à 72h après. D'après les mêmes sources, l'intoxication a déjà provoqué, sur le tas, une cécité partielle chez un certain nombre de victimes transférées à l'hôpital régional Ibn el Jazzar, où elles ont été placées sous surveillance médicale. Par ailleurs, devant l'alourdissement brusque du bilan et devant l'explosion rapide et inopinée de ce sinistre qui a grossi comme une boule de neige et qui a pris de court tout le corps médical et paramédical de la région, en pleine crise de coronavirus, la Direction régionale de la santé à Kairouan a appelé, via un communiqué publié mardi, toute personne ayant consommé le boisson toxique à se rendre, impérativement et dans l'urgence, au centre médical le plus proche pour passer les examens médicaux nécessaires, en vue d'éviter toute complication irréversible. Les « zabratas » mettent pinte sur chopine… Entretemps, une enquête a été ouverte, sur le champ, pour déterminer les circonstances exactes de ce drame, sachant que la fabrication et la mise en vente clandestine de cet alcool et de boissons similaires, avait déjà fait des victimes auparavant, étant monnaie courante, particulièrement dans la région de Kairouan, aiguillonnée par l'interdiction, aberrante soit dit en passant, par l'Etat tunisien de la vente de boissons alcoolisés sur le marché régulier dans cette région. D'après les dernières informations, relayées par la radio locale Sabra FM, les autorités ont arrêté un couple suspect, à Hajeb Layoun, pour avoir vendu récemment une quantité importante de cette substance toxique. 80 litres d'alcool frelaté mélangé à de la « kouares » ont été saisis par la même occasion. Rongés par le chômage, frappés par la guigne et piégés dans la pauvreté, bon nombre de jeunes –et moins jeunes- vivant un peu partout dans les recoins sordides de la Tunisie profonde, n'ont visiblement d'autres choix que de sombrer dans une autodestruction délibérée, en cultivant, matin et soir, le désespoir des maudits qui ne peuvent plus quitter leur Géhenne. A court d'espoir, ils s'adonnent à cette pratique, pourtant très connue par les Tunisiennes et les Tunisiens, à savoir le « tzabrit », qui consiste à « pinter » toutes sortes de « philtres », dont la consommation se veut beaucoup moins onéreuse que celle des bières, vins et autres boissons alcoolisés, et dont la plus répandue est la consommation de l'alcool cru, parfois mélangé à toute sorte d'autres substances. D'ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler, dans ce sens, qu'en 2017, un breuvage à base de méthanol, qui s'est également avéré un peu plus toxique que d'habitude, avait causé aussi la mort de 7 personnes à Zarzis dans le gouvernorat de Médenine. Gageons qu'à ce rythme-là, c'est toute la Tunisie qui sombrera bientôt dans la pinte et l'alcool frelaté…