Elle vient de tirer sa révérence depuis quelques jours, en silence, comme pour insister à ne déranger personne. Elle s'appelait Latifa Zouhir et s'était fait connaître auprès des auditeurs de la Chaîne internationale de Radio Tunis pour l'avoir dirigée durant les années soixante dix. Cela pourrait être un faire-part anodin. Mais cette grande dame de la radio tunisienne mérite tous les éloges pour avoir marqué de son empreinte la période où elle avait présidé aux destinées de l'actuelle RTCI. Une période féconde où la programmation, quoique beaucoup plus courte qu'aujourd'hui, démarrait à six heures du matin jusqu'à neuf heures et reprenait à midi jusqu'à vingt trois heures, avec de quatorze heures trente à quinze heures trente, le programme en langue italienne animé entre autres présentateurs et présentatrices Mme Juliana Ben Abdesselem. Le programme en langue française, pour y revenir, suscitait l'intérêt des auditeurs fidèles qui ne voulaient rien rater de ce qui leur était proposé. Il y avait, en effet, des émissions tunisiennes en direct, comme « Silence, on tourne » de Néjib Ayadi et Farouk Boughedir ou enregistrées, comme celles consacrées à la musique classique sous la direction de Renée Mahet et « Dimanche Magazine », « Radio Service » et « Les jeux radiophoniques » de Hédi Zahag. D'autres émissions d'un très haut niveau, étaient reprises des chaînes périphériques françaises, comme « Radioscopie », de Jacques Chancel, « Le Club des poètes » de Jean Michel Rosnier et des tranches horaires d'animation. Ces dernières étaient assurées par les « anciens » : Faïka, Faïza Ghachem, Michel Servet, Rachid Ben Faïza et les nouveaux : Neïla Chehimi, Habib Belaid, Farouk Boughedir, Khelil Yatouji, Mohamed Ali Garci et Samir Ben Helal. Puis arriveront Donia Chaouch et Hatem Bourial. Il y avait également les émissions : « Avant-première, l'actualité de demain », de Nadia Aziza et Michel Servet, « Semi-nomadisme et sédentarisation », de l'historien-anthropologue le Père André Louis présentée avec Michel Servet, « Tunis, mon inconnu », de l'historien Mahmoud Bouali, présentée avec Faïka, sans compter les rendez-vous avec l'éminent historien M'hamed Fantar sur les époques puniques, carthaginoises et romaines de la Tunisie. Othman Kâak était revenu à Radio Tunis au milieu des années soixante dix avec : « En votre nom, Othman Kâak raconte » après avoir dirigé son programme en langue arabe aux premières années de la création de la Radio Tunisienne en 1938 et participé à d'autres émissions en langue arabe dans les années soixante avec entre autres producteurs le poète Ahmed Kheireddine pour l'émission : « Ziara winyara. » Et on allait l'oublier, le Journal parlé était d'une richesse inouïe avec des rubriques quotidiennes ou hebdomadaires, comme : « L'invité de la semaine » de Rachid Mabrouk, « A mi-voix » de Faïka qui avait produit également : « A dossiers ouverts. » Les rendez-vous sportifs étaient de la partie avec « Tirs au but » d'Habib Belaid, tous les dimanches après-midi pour suivre de plus près les matches de première division du championnat national de football avec les reporters Mohamed Meddeb et Kamel Chérif. Ce n'est là qu'un petit aperçu sur les programmes de la Chaïne internationale de Radio Tunis du temps de Latifa Zouhir. Une grande générosité Notre regrettée collègue Latifa Zouhir avait également écrit dans plus d'un journal ou d'une revue. On se rappelle de sa rubrique : « Les yeux grands ouverts » sur « Le Temps-Hebdo », puis de ses articles sur « Le Temps » et sur confrère « Réalités. » L'auteur de ces lignes se rappelle de sa grande générosité et de sa gentillesse exemplaires qui caractérisaient son caractère. Toujours souriante, affable et spontanée, elle était prête à parler et à discuter. Mais il est un détail que votre serviteur n'oubliera jamais et qu'il a vécu avec autant d'émotion que de joie. Nous avions, elle et moi, le même casier de presse durant deux sessions du festival international du film de Cannes à la fin des années quatre vingt et au début des années quatre vingt dix. Une belle coïncidence du fait que nous étions accrédités pour la couverture du festival pour le même journal. Chacun de nous disposait d'une clé pour consulter le contenu du casier, étant donné que ce dernier était abondamment fourni par des documents sur les films de plusieurs sections. On se retrouvait autour d'un café au service de presse tous les matins après la première projection de presse. On discutait du film qu'on venait de voir et elle me donnait à consulter et à prendre les documents des films du jour que je voulais lorsqu'il lui arrivait d'ouvrir le casier de presse avant moi. Elle aurait pu me demander d'aller les chercher chez le personnel du service de presse. Mais elle n'était pas du genre à renier ses amis et collègues, car elle avait la trempe d'une femme cultivée, intellectuelle et très éduquée. Son geste, quoique des plus simples, est une marque d'estime et de respect envers autrui. Repose en paix chère collègue !