Par mesure de « précaution », le Fakhfakh démissionnaire avait limogé, en juillet dernier, et alors qu'il était sur le point de quitter la Kasbah, tous les ministres nahdhaouis de son gouvernement. Une démarche qui prend, bien entendu, tout son sens, quand on connait les pulsions tentaculaires, doublées d'enjeux obscurs, du mouvement islamiste et de ses alliés, qui tentent encore aujourd'hui de remettre perfidement la main sur les rouages de l'Etat, ou du moins sur ce qui échappe encore à leur contrôle, à travers un remaniement ministériel, aussi louche qu'éminemment controversé, notamment en raison des suspicions des corruption qui planent sur certains ministres. Malgré la « bénédiction » du Parlement, le remaniement en question se heurte, pour le moment, à un « veto » radical et pour le moins aventuré de la part du Président de la République. Lors de sa rencontre avec le secrétaire général de l'UGTT, Noureddine Taboubi, le président de la République avait réitéré, mercredi dernier, sa position ferme par rapport au remaniement ministériel. Il a ajouté qu'il respecte le rôle national de la centrale syndicale et reste attaché aux principes et aux choix qu'il s'est engagé à respecter face au peuple, soulignant que tout dialogue doit être fait dans le cadre de ces principes clairs et ces choix sans équivoque. Kaïs Saïed a assuré qu'il n'est pas responsable de la crise actuelle, soulignant que depuis son investiture, il vit au rythme des concertations, soit pour la formation d'un gouvernement, sa chute ou son remaniement. Procédure impossible Concernant le principe de la « procédure impossible », évoqué par les défenseurs du remaniement, notamment par quelques « spécialistes » du droit administratif, dont les positions pro-nahdhaouis suscitent bon nombre d'interrogations, Kaïs Saïed, ancien enseignant de droit constitutionnel, reste tout aussi ferme sur ses positions. Il a insisté sur son respect absolu de la Constitution, et son refus de tous les dépassements enregistrés sur la base de textes ayant un rang inférieur. « Ils parlent de la procédure impossible, mais ils ignorent qu'il s'agit d'un principe relevant du droit administratif et non du droit constitutionnel. Je suis prêt au dialogue, mais surtout pas avec ceux qui ont appauvri les Tunisiens durant des décennies », a-t-il martelé. Dans le même cadre, le frère du président de la République, Naoufel Saïed, véritable éminence grise à Carthage, a fait part, vendredi, de son soutien à la position de Kaïs Saïed concernant le remaniement ministériel, estimant que le président, étant le garant du respect de la Constitution et de la lutte contre la corruption, détient les prérogatives constitutionnelles pour le rejeter. Naoufel Saïed, lui-même juriste, a affirmé que la prestation de serment fait partie des prérogatives du Président, précisant que son rejet est justifié par des motifs constitutionnels, invoquant le précédent Béji Caïd Essebsi à propos du remaniement opéré par Youssef Chahed. Invoquant l'article 10 et l'article 72 de la Constitution tunisienne, il estime également que le président se doit de veiller au respect des dispositions de la Constitution et d'incarner la lutte de l'Etat contre la corruption et contre tout ce qui porte atteinte à la souveraineté nationale. Ennahdha fait son beurre Pendant ce temps, le secrétaire général de l'UGTT, Noureddine Taboubi a appelé vendredi, dans une déclaration aux médias, les nouveaux ministres suspectés de corruption à se retirer afin de mettre un terme à la situation de blocage. Noureddine Taboubi a assuré que la position du président de la République est claire à ce sujet, estimant que le retrait des ministres suspectés de corruption pourrait résoudre la situation de blocage actuel. Il a considéré que plusieurs personnes feront primer la voix de la sagesse dans les circonstances actuelles. Taboubi a estimé, par ailleurs, que le climat politique a fortement aiguillonné la crise socio-économique du pays, soulignant la nécessité de rationaliser le discours politique, de rétablir la crédibilité de l'Etat et de veiller au respect de ses engagements. Et d'ajouter que les réformes doivent être réalisées loin des surenchères et des tiraillements, pointant par là même le doigt sur le climat malsain sur la scène nationale, notamment, la mainmise de certaines parties influentes qui monopolisent les plus hautes fonctions de l'Etat. Malgré les indiscrétions faisant état d'un Méchichi prêt à calmer le jeu avec le Président de la République, la crise actuelle dépasse le simple bras de fer autour de la prestation de serment et du remaniement ministériel en soi. Il s'agit plutôt de résister autant que faire ce peut aux pulsions tentaculaires du mouvement islamiste, qui, force est de la rappeler, n'a pas cessé, par exemple, de réclamer pendant longtemps le ministère de l'Agriculture. « Nous œuvrons pour que des terres de l'Etat soient distribuées aux jeunes afin de créer de l'emploi », avaient déclaré Ghannouchi et autres dirigeant nahdhaouis à maintes reprises, durant ces derniers mois. De quels jeunes parlent-ils au juste ? Comment et par quels critères ces terres vont-elles être cédées ? Après les compensations, allouées aux nahdhaouis, en guise de « dédommagement » puisés dans les poches du contribuable par coups de plusieurs millions de dinars, et après les vagues de recrutements massifs des partisans nahdhaouis dans la fonction publique et dans les entreprises publiques du temps de la Troïka, le mouvement islamiste, on l'a bien compris, s'apprête cette fois-ci, à faire encore son beurre et à prendre profit d'une éventuelle « distribution » des terres domaniales. S.B.Y.