Selon les récits millénaires des marins de la Méditerranée, les navigateurs ont toujours été impressionnés en abordant Alger, la ville blanche qui se dressait comme debout, front à la mer, fière et imposante. Alors, tout dépend qu'on soit venus en ami, et là, la ville est accueillante et fut même pour de nombreux orientalistes, enivrante. Ceux qui étaient venus la conquérir par la force ont dû se casser dents et fers, aux abords des citadelles renforcées... Mais nous, c'est en voisins qu'on aborde l'Alger contemporaine, entrés par les airs et via le tout rénové aéroport Haouari Boumédiène. Il paraît qu'il est l'un des aéroports les plus sûrs du monde. D'ailleurs, c'est le plus fort signal avec lequel le visiteur est accueilli et, entre nous, c'est plus que rassurant car même si la folie des années sombres où les attentats ne distinguaient pas entre les innocents semble atténuée, quelques durs restent encore perdus dans le maquis, à essayer de ressusciter des pratiques moyenâgeuses que les Algériens semblent exécrer. Que de sang versé pour rien, que de blessures toujours ouvertes pour rappeler que la bêtise humaine n'a pas de frontières. Mais l'Algérie d'aujourd'hui veut oublier ce passé récent qui freina voire plomba l'essor d'un pays, miné par son industrie lourde, «hypothéqué» durant des décennies par un modèle de socialisme qui n'a jamais marché. D'ailleurs, seule preuve de cette ère aux utopies perdues, l'immense centre commercial de « Makam Eshahid », rongé par l'oubli, dépassé par le temps et reflet d'une époque où le rêve tardait à s'accomplir. Aujourd'hui, les Algériens sont conscients qu'ils sont seuls maîtres de leur destin qu'ils ont fini par prendre en main. Ils savent aussi que les dividendes du pétrole ne seront pas éternels mais qu'il faut bâtir dès aujourd'hui les rampes d'avenir. Et pour une fois ce discours est partagé par l'élite et le peuple, tous convaincu que le modèle tunisien est le plus approprié aux réalités maghrébines. En attendant, les Tunisiens et leurs voisins algériens n'ont jamais cessé de travailler ensembles, et à tous les niveaux. Des petites babioles trouvées sur les trottoirs de Souk Boumendil aux grands partenariats qui emploient des milliers de gens. Il faut dire que les Algériens n'ont jamais pu adopter les méthodes des affairistes libanais. Ces derniers ont fini par le comprendre et les hommes d'affaires des deux pays voisins se disent finalement, mieux vaut « composer » avec celui que tu as toujours connu. Autre fait nouveau et très marquant, la présence des Chinois, venus construire des HLM à perte de vue. C'est que l'Algérie souffre depuis des lustres du problème de l'habitat. Et même si certains trouvent l'architecture ambiante moins séduisante qu'ailleurs, les pouvoirs publics répondent « habitez d'abord, embellissez ensuite ». Mais au prix où est vendu l'appart, il vaut mieux ne pas être trop regardant sur la déco. Au centre d'Alger, la vieille ville européenne et son art déco semblent saturés. Surpeuplée, surtout par les antennes paraboliques, Alger, ses Vals et ses Monts, sa Kasbah, son Bab el Wed, ses ruelles interminables, sa circulation éparpillée entre ponts et tunnels, bref, la ville qui vit et les gens qui la traversent, jamais une ville ne fut autant imprégnée par l'Orient et l'Occident. Pour comprendre cette spécificité, il faut se rendre à trois endroits uniques. Un, au jardin d'essai, édifié par Napoléon III, un parfum de Versailles « ouvrant » la baie d'Alger par un immense jardin exotique. Deux, le musée des beaux-arts de Hamma qui surplombe ledit jardin avec une collection d'œuvres uniques, avec des Delacroix, des Pissarro, des Gauguin mais aussi des Racim et toute la subtilité de l'école d'Alger. Trois, la cathédrale Sainte Afrique que le temps embellit sur les hauteurs de la ville. Et les Algériens, comment sont-ils ? Ils nous ressemblent, de caractère comme de qualités d'accueils, et même si pour certains, ils ont des traits sévères dominés par un « nif » encombrant, ils n'ont demeurent pas moins un grand peuple, un voisin qui nous admire parfois mais qui nous aime souvent.