Le staff médical de nos spécialistes nationaux est en conclave pour donner son diagnostic sur un malade, arrivé au stade final et déjà placé sur un corbillard. Pour certains, il a le cancer, pour d'autres, le sida ou la tuberculose, la fièvre jaune, la malaria, la peste, le choléra, la rage... Un spécialiste suggère de lui couper trois ou quatre bras. Un autre veut lui couper cinq ou six jambes. Et pourquoi ne pas lui enlever le cœur et lui greffer celui d'un rat ? Questionne un autre. Ou encore, lui couper la tête et la placer à l'envers ? Le plus pertinent propose tout simplement de l'emmener chez un marabout pour chasser la sorcellerie. Cette scène ne se passe pas dans un hôpital ou une clinique. Elle a pour théâtre, l'université, et le pauvre agonisant est un simple étudiant fraîchement débarqué de nos fameux lycées, face à ses enseignants dont 7,5% seulement ont le titre de professeurs et de maîtres de conférences (un seul à l'université de...Gafsa), chiffres présentés par les journaux et non démentis par le ministère. Plus personne ne doute que l'Université reçoit depuis des années, des dizaines de milliers d'incultes qui ne savent même pas pourquoi ils sont dans ce « temple du Savoir et de la Recherche, à l'exemple des pays les plus avancés dans ces domaines ». Seuls quelques génies, chargés depuis des décennies, de connecter, de temps à autre, une réforme, pensent régulièrement que la dernière était inadaptée et que la nouvelle est « à la pointe du progrès pour répondre aux grands défis de la mondialisation ». Et de réforme en réforme, il n'y a plus de place où piquer le malade. On ne change pas une équipe qui gagne ! Les raisons de cette situation ont été soulignées à maintes reprises par les enseignants. Mais à la place de la lucidité pour rechercher les solutions les plus urgentes, on préfère la fuite en avant.
Le nouveau bac est arrivé L'incroyable dégradation du niveau de nos élèves est soulignée par tout le monde. Triste constat quand on sait qu'il y a exactement un siècle (1908) le « Mouvement des Jeunes Tunisiens » a présenté dans le journal « Le Tunisien » ses revendications aux autorités coloniales dont la 1ère concerne l'enseignement gratuit et de pointe pour que le Tunisien arrive au sommet des connaissances et aux plus hautes fonctions. Actuellement, on déforme beaucoup plus qu'on ne réforme et le résultat est catastrophique. Tout le monde se rappelle la campagne faite l'année passée sur la chute du niveau de l'enseignement des langues et en 1er lieu le français pour les bacheliers. Cette année, LE NOUVEAU BAC EST ARRIVE. Et contre toute attente, pour décharger nos élèves, on ajoute l'examen de l'arabe pour les sections non littéraires. Dire que cela est de trop, sera traité d'anti-arabe. Pire encore, on divise les coefficients des langues par deux. Ainsi le français, l'anglais, la philo n'ont plus que le coefficient 1, comme pour le sport et les matières à option. Le résultat ne se fit pas attendre. Nos élèves du bac n'assistent plus à ces cours. J'ai tout essayé pour les élèves que j'encadre, mais peine perdue. Ils prétendent que seul 1/10ème, voire, 2/10ème des élèves (entre 3 et 6) assistent en classe, sous prétexte de mieux se concentrer sur les 2 matières principales. Même constat chez les profs qui remarquent que certains élèves ont même déserté le lycée depuis le mois de février. Logique, car l'examen du bac sport approche. Au 3ème trimestre les professeurs de ces matières maudites, faute d'élèves, viennent au lycée pour marquer leur présence dans la salle des profs. Tous savent qu'aucune sanction ne sera prise contre ces absences car cela risque fort de fâcher les statisticiens du bac. Autre constat très troublant. Les programmes sont tellement chargés que même les professeurs les plus chevronnés sont incapables de traiter les 2/3 des cours. Mais, superbe surprise pour certains enseignants. Les cours particuliers explosent et certains « professeurs-mercenaires », pour bien finir le programme, proposent à leurs élèves 8 à 10 séances pour le mois d'avril et 14 à 16 pour le mois de mai comme cours particuliers. Vous devez savoir que 4 séances sont payées pour un mois (de 60d à 100d et plus pour certaines matières). Faites votre calcul mon cher Crésus ! Et pour le bac blanc, censé être la dernière révision des cours, demandez à n'importe quel élève combien de leçons ont été fixées par les profs ? Ils vous diront qu'une seule, voire deux leçons, ont été choisies. Meilleure ruse pour faire exploser les moyennes pour ces fameux 25% de bonus pour le résultat final du bac. La correction du bac blanc pour les élèves a été supprimée. Ils ne viennent même pas chercher leurs copies. C'est tout simplement dramatique ! Quant au contenu des programmes, il est triste de constater que toute réflexion ou analyse critique ont été mises de côté. Ce bourrage de crâne est bien inutile si on cherche à créer une tête bien pleine au lieu d'une tête bien faite. On passe à côté car nos élèves n'ont plus de tête. Le pire est qu'en histoire, à titre d'exemple, on a supprimé 2 leçons capitales, à savoir la crise économique de 1929 et le fascisme en Europe. Je me demande comment nos élèves vont comprendre la deuxième guerre mondiale et surtout l'histoire de la Tunisie de 1930 à 1956. En géo, on a enlevé les 2 leçons sur les échanges des céréales et des combustibles dans le monde. Il est vrai que ces sujets (blé et pétrole) ne sont plus de mode. D'ailleurs on les a remplacés par « Le tourisme dans le monde ». Sujet bien plus captivant ! On nous explique que les nouveaux programmes ont pour but de faire coïncider la formation en fonction du marché de l'emploi. Il serait plus judicieux de se demander avant tout quel emploi on offre aux jeunes ? Si c'est pour être de la main-d'œuvre en France, « pays qui possède les connaissances » ou pour les futurs méga-projets de la capitale, on peut alors transformer toutes les facultés éparpillées à travers le pays en collèges techniques pour devenir spécialistes dans les métiers du bâtiment entre autres et ne laisser qu'une université des sciences humaines et exactes à Tunis. Super moyen de lutter contre le chômage des diplômés. Après la fin de ces gras chantiers, on pensera à recycler ces milliers de personnes venues de l'intérieur du pays dans d'autres projets.
Le nouveau koutab est arrivé ! Plusieurs articles de journaux ont été rédigés, il y a deux mois sur ce sujet. Je n'avais pas cru à ces informations et j'attendais un démenti de la part du ministère. Mais comme toujours, rien ne vient. Ainsi donc, des milliers de Koutab d'un genre nouveau sont en train de pousser à travers le pays, pour répondre à « l'échec des jardins scolaires dans plusieurs quartiers » signalent les articles. Questionné par une journaliste, un inspecteur du ministère affirme que ce phénomène est bien structuré et bien suivi par les responsables. Il explique que cet enseignement préscolaire se charge d'enseigner le Coran à des enfants de 5 ans et moins, dans des conditions les meilleures, (moins de 30 enfants par classe) Mieux que cela, les nouveaux maîtres, les medebs, doivent avoir au minimum le bac. Certains ont même la maîtrise en théologie. Le ministère leur donne un salaire symbolique et chaque parent leur verse 15d par mois. Je me refuse, par principe, de croire que l'enseignement du Coran est devenu un moyen de lutte contre le chômage. Ce qui est choquant et même dangereux, n'est point de faire apprendre le Coran à des gosses de 5 ans et moins. Depuis des siècles, les enfants musulmans vont au koutab. Les parents sont libres de choisir l'éducation qu'ils veulent donner à leurs enfants. Très souvent, c'est le contraire qui est obtenu et les millions d'exemples sont les exceptions qui confirment la règle. Par contre, il faut signaler les problèmes qui risquent d'avoir des conséquences dramatiques pour le pays, dès le moment où on analyse le côté psychologique de ces nouveaux meddebs. Ces maîtres s'ils ne sont que bacheliers, ont certainement abandonné leurs études supérieures, pour différentes raisons. Quant aux maîtrisards de théologie, ils n'ont pas été recrutés en tant que professeurs de lycée. Dans ce cas, leur psychique doit être très fragile, voire dégoûté et révolté contre leur sort. On peut alors se demander quels rapports vont-ils avoir avec la société d'une façon générale et avec les autorités d'une façon particulière ? Quels messages et discours vont-t-ils transmettre aux parents qui ont choisi de faire apprendre le Coran à leurs gosses et dont le choix de société est très clair ? Voilà des questions auxquelles il faut bien y répondre un jour. Abdelbaki Bedoui Professeur principal d'histoire-géo, retraité.