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« Travailler avec les jeunes, les consulter c'est d'abord les écouter et non pas s'écouter parler »
Question de l'heure : Etre jeune aujourd'hui
Publié dans Le Temps le 02 - 06 - 2008


Entretien avec Dr. Fethi Touzri
A l'occasion de la consultation sur la jeunesse qui se déroule toute l'année 2008, le docteur Fethi Touzri, spécialiste en psychiatrie, a réalisé une enquête sur les problèmes des jeunes et les perspectives d'avenir en collaboration avec d'autres spécialistes notamment en sociologie, en économie et en technologie. Cette étude vient d'être publiée dans un document intitulé "
les réformes politiques et les questions de jeunesse ". Nous avons invité Dr. Touzri pour parler des objectifs de cette étude, ses conclusions et la question de la jeunesse en général. Interview.

Le Temps : Quelle est la situation des jeunes, aujourd'hui ?
Dr Fathi Touzri : La Tunisie est en train d'achever sa transition démographique dans un contexte marqué par une forte représentation de la population jeune. Ainsi, la tranche d'âge (15-29) représente environ le tiers de la population, soit plus de trois millions d'habitants. Cette tendance démographique va se prolonger jusqu'à 2015. Elle coïncide avec des difficultés importantes sur le marché du travail dans un contexte économique difficile. Cette situation va peser de tout son poids sur les politiques de développement et aura certainement des conséquences sur la nature, le calendrier et le devenir des réformes politiques à engager dans le pays, des réformes tout aussi indispensables qu'inévitables.
L'accroissement dramatique ces dernières années du taux de chômage des jeunes et en particulier des diplômés de l'université en est l'exemple le plus inquiétant. A côté du chômage, d'autres manifestations de précarisation de la jeunesse se sont multipliées, comme l'immigration et surtout l'immigration clandestine avec son lot de malheurs, le recul de l'âge de mariage et la forte dépendance à la famille, le gonflement du secteur informel devenu l'unique espace d'attente d'emploi et l'expansion des symptômes de détresse sociale comme la violence, la délinquance juvénile de survie, la consommation de substances toxiques, en forte hausse et de plus en plus précoce, les conduites à risque et les signes de détresses psychologiques.
Ces transitions surviennent aussi dans le contexte de la mondialisation qui offre des contraintes et des opportunités. Ce contexte est marqué par une ouverture et un accès plus important au monde à travers le développement rapide et spectaculaire des NTIC, le développement de la télévision satellitaire et l'expansion du monde virtuel sur le net. A l'évidence, les jeunes semblent à l'aise avec cette nouvelle technologie et ce déferlement d'informations, d'images et de messages. La téléphonie mobile les rapproche de plus en plus ; l'Internet leur offre la possibilité de voyager, de participer, de produire, de s'amuser, d'échanger leurs expériences et leurs opinions ; et l'information satellitaire leur assure un accès au monde dans toute sa diversité.
Cependant, cette ouverture sur le monde n'est pas offerte à tous les jeunes. Le taux d'équipement de ménages en ordinateurs et à l'Internet demeure très faible, la connexion des jeunes et leur maîtrise de l'outil informatique s'élargit certes mais reste aussi limitée et il existe dans ce domaine, comme dans d'autres domaines liés au savoir et aux services, de grandes inégalités régionales.
Ce contexte n'est pas dénué non plus de contraintes et de problèmes qui ont un impact sur les jeunes dans leur quête d'identité et de réponses aux questions qui les tourmentent. Les jeunes vivent aussi à travers ce paysage médiatique ouvert et intense, une conscience de fracture numérique nord-sud, et une compétition d'images, de messages et de sens. Un monde incertain et mal défini s'offre à eux, avec les inégalités, la misère des uns et le bonheur des autres, les injustices criantes, les différentes formes d'exclusion, le doute sur la légitimité du système international que dégagent les nouvelles guerres coloniales, l'occupation de pays arabo-musulmans et les politiques des deux poids deux mesures concernant le conflit israélo-arabe.

. Sur quelles données s'est basée votre étude ?
- Nous avons essayé de voir dans quelle mesure ces questions stratégiques sont discutées dans le pays, à travers quels médiateurs et dans quel environnement. Nous avons également analysé les opportunités offertes aux jeunes, le degré de leur implication et l'ampleur de leur participation afin de s'adapter à ce contexte particulièrement difficile et élaborer des réponses à leur quête identitaire.
Partant de l'analyse de la politique officielle de la jeunesse et de la réalité tunisienne, nous avons essayé de voir dans quelle mesure cette politique a été " anticipatrice " sur les tensions, les problèmes (économiques, sociaux, politiques et culturels) et les défis actuels de la jeunesse.
Par ailleurs, nous avons analysé le système de protection sociale destiné aux jeunes, en particulier le système éducatif, les politiques d'emploi, le système de santé et de loisirs. Nous avons relevé les difficultés énormes que connaît ce système sur le plan de la qualité des services, de l'accueil des jeunes, de leur participation et la répartition régionale inégalitaire des services. L'évaluation de ce dispositif révèle que beaucoup de programmes sont tombés rapidement dans la routine, la composante évaluation est souvent rudimentaire, les indicateurs sélectionnés pour signifier les progrès sont souvent quantitatifs et peu d'importance est accordée aux systèmes d'information et aux indicateurs qualitatifs et de satisfaction. Certains départements sont mieux outillés et font un effort évident pour communiquer leur activité en particulier avec le ministère de la Santé et de l'Education. De très grandes lacunes persistent au niveau du département de la Justice, de l'Intérieur, des Affaires sociales, de la jeunesse et de l'enfance.

. Quel est votre constat en matière de politique de jeunesse suivie depuis des années ?
- Les choix en matière de politique visant la jeunesse ont permis, d'une part l'émergence auprès des jeunes d'un retour religieux en tant que repli identitaire et d'autre part l'éclosion d'une radicalisation religieuse " sous-terraine " liée au contexte international. Ces phénomènes sont aussi liés au ressourcement culturel et médiatique, facilité par les nouvelles technologies de la communication en particulier la télévision satellitaire, ce qui n'est pas sans poser de sérieux problèmes à la culture du pays et à son identité nationale.
Ces choix n'étaient pas à l'évidence en faveur de la jeunesse, et il est légitime de se demander si cette politique médiatique paternaliste, autoritaire et centralisée n'a pas entraîné suffisamment de dégâts. En effet, à vouloir trop les protéger, on a participé à la création d'une génération passive, dépendante, dépolitisée, frustrée, faiblement enracinée dans sa réalité locale et peu outillée à s'adapter aux grands changements que subissent le pays et le monde.
Malgré les réformes engagées dans plusieurs secteurs l'efficacité du dispositif reste limitée et le bilan reste mitigé. La centralisation est encore lourde et contraignante, le partenariat avec le secteur associatif demeure modeste et n'est pas couronné de progrès tangibles en grande partie à cause de la faible capacité de la société civile et de la culture bureaucratique.
La politique d'appui à l'emploi et ses multiples mécanismes permet tout au plus de reporter le chômage, d'atténuer ses effets et d'améliorer l'employabilité des jeunes mais ne peut être une alternative à la formation de qualité et à la croissance soutenue.
L'inadéquation de l'éducation avec l'emploi oblige l'Etat à dépenser de nouveau dans la formation des diplômés ; les structures de soins de santé de base ne sont pas " amies des jeunes ", elles restent inadaptées à leurs besoins et leurs difficultés ; le dispositif social scolaire ne dispose d'aucun indicateurs fiables d'efficacité à part le côté quantitatif et son efficacité est douteuse en raison de ses limites structurelles, matérielles et organisationnelles ; la protection des jeunes des IST/Sida reste modeste malgré les programmes et les multiples initiatives ; les maisons de jeunes, symboles d'une époque révolue, peinent à attirer les jeunes qui préfèrent les cafés, la rue ou la télévision. Et de nombreux mécanismes d'exclusion sont très actifs dans le domaine des loisirs. Se marier jeune est devenu un parcours de combattant et synonyme de pauvreté. Les jeunes tunisiens boudent les activités sportives structurées, la pratique physique reste faible et irrégulière ce qui est dommage pour cette génération. La culture s'est réduite à une quête de consommation non assouvie et un effort effréné pour " tuer le temps ".
Ainsi, le dispositif actuel de protection social destiné aux jeunes apparaît comme un filet à maille large, il laisse tomber beaucoup de jeunes dans la rue, le chômage, la délinquance, la toxicomanie, les maladies et dans les barques d'immigration clandestine.
Il y a donc des difficultés énormes sur la performance et la qualité du processus de développement, et en particulier sur son contenu et ses valeurs comme la dimension participative, l'habilitation et la redevabilité.
Les jeunes d'aujourd'hui appartiennent à une génération " dépolitisée ", désintéressée de la chose publique, très faiblement représentée dans la société civile ou les partis politiques, quasiment désintéressée de la question syndicale estudiantine ou ouvrière et ne participent que faiblement aux élections.
Les jeunes ne participent pas car ils ne voient pas encore dans le cadre de participation actuelle une quelconque possibilité de pouvoir changer les choses ou influencer les politiques qui les concernent. Ils ont rarement l'occasion d'être reconnus et voir leurs idées approuvées.
La situation de la jeunesse aujourd'hui et les problèmes auxquels elle est confrontée exigent une nouvelle approche stratégique orientée vers le renforcement de capacité des différents acteurs, l'innovation institutionnelle et la recherche de l'efficience. Pour cela nous avons identifié plusieurs axes stratégiques.

. L'année 2008 a été placée sous le signe de la jeunesse et une consultation nationale est en cours. Qu'en pensez-vous ?
- Une consultation nationale " exceptionnelle " sur la jeunesse est ordonnée, trois ans après une consultation de routine et un an avant les élections de 2009.
On donne alors la parole aux jeunes pour s'exprimer, les médias sont mobilisés et un " pacte de jeunesse " est prévu en automne et servira de cadre pour la stratégie future du pouvoir dans le domaine de la jeunesse. Il est indispensable que cette initiative puisse surtout aboutir à un pacte de participation qui habilite les jeunes et qui traduit une volonté politique d'élargir le champ de participation en levant les blocages juridiques, administratifs et institutionnels qui l'empêche de se déployer.
L'habilitation des jeunes suppose de travailler avec les jeunes et les laisser s'organiser, cultiver leur leadership, leur sens critique, déployer leur capacité créatrice et apprendre par l'erreur et le succès et leur permettre d'influencer les politiques publiques, les orienter et les négocier et à chercher des compromis et se familiariser avec le pluralisme.

- Quelles sont les conclusions de votre étude ?
. Après avoir bien défini la population cible et les priorités concernant les plus démunis, les plus vulnérables et les moins favorisés, les principaux axes identifiés concernent le développement d'un système d'information fiable, et transparent sur la situation des jeunes. Ainsi que le développement d'un système de protection sociale destiné aux jeunes qui soit performant, viable et efficient. Une participation réelle et tangible des jeunes à toutes les étapes stratégiques. Un enrichissement de notre modèle de développement de principes de participation, d'habilitation, de redevabilité et de droit humain. Et enfin, une coopération fructueuse avec les pays du Maghreb dans le domaine de la jeunesse et la mobilisation des ressources.
Cette stratégie devrait s'articuler à un ensemble de réformes politiques démocratiques, réalisées de manière progressive et crédible.
Nous pensons que les problèmes spécifiques de la jeunesse, les choix politiques, les défis actuels qu'affrontent le pays et qui ont un impact négatif sur les jeunes et le contexte international difficile, tous ces facteurs ne peuvent être gérés correctement sans une révision en profondeur des modalités de gouvernance, du système politique, de la distribution des pouvoirs dans la société et de l'enrichissement de notre politique de développement par les valeurs démocratiques et des progrès substantiels dans le renforcement de l'Etat de droit.
Dès lors il est indispensable de progresser sur la voie des réformes politiques afin de mieux protéger les jeunes dans leur transition et leur offrir un environnement propice pour le développement des valeurs positives d'autonomie, de responsabilité et de patriotisme. Cela exige des progrès tangibles et lisibles dans les réformes institutionnelles, des indicateurs fiables qualitatifs et quantitatifs d'élargissement de la participation, de la liberté d'expression et d'organisation. Mais aussi des réformes qui touchent les causes profondes de la non participation des jeunes en particulier la culture de l'administration régionale et locale, les capacités systémiques et organisationnelles de la société, l'encouragement de la décentralisation et l'indépendance des partenaires ( partis politiques, société civile, secteur public). L'Etat doit continuer à améliorer dans cette répartition son leadership et un effet d'entraînement positif.
Nous vivons dans un monde globalisé où l'Etat-Nation est appelé plus que jamais à être performant, efficace et capable de s'adapter aux changements rapides qui risquent d'ébranler de plus en plus les acceptations anciennes de la souveraineté. La résilience dans ce monde incertain est assurée en grande partie par la capacité de se réformer, de s'adapter et de savoir mobiliser toutes les ressources de la société.
Interview réalisée par Nejib SASSI


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