Nous assistons depuis quelques années à l'émergence d'un nouveau phénomène inquiétant : le chômage des diplômés du supérieur. Leur nombre ne cesse de croître d'année en année. Plusieurs mécanismes d'aide et d'insertion sont mis en place, mais l'expérience a montré qu'ils demeurent insuffisants. Faute d'emploi, des jeunes diplômés poursuivent indéfiniment leurs études, d'autres acceptent d'occuper des emplois sous-qualifiés par rapport à leur niveau de compétence rien que pour trouver de quoi vivre. N'aurait-il pas fallu faire des études prospectives depuis des années pour détecter les anomalies et les dysfonctionnements du système d'enseignement et de formation ? Pourquoi a-t-on attendu que les flux d'étudiants en chômage se multiplient pour, enfin, réaliser des études et comprendre qu'il existe bel et bien une inadéquation réelle entre les offres de compétences et les besoins de l'économie sachant pertinemment que le secteur public ne peut pas à lui seul satisfaire toutes les demandes d'emploi ? Au cours de cette dernière décennie, le nombre des diplômés du supérieur a presque doublé. On compte actuellement plus de 330 mille. Ce chiffre pourrait passer à plus de 440 mille en 2014. Certains d'entre-eux trouvent facilement un emploi. D'autres, et ils sont plusieurs, passent des années au chômage avant de dénicher un poste stable. Pour enrichir leur CV et augmenter les chances d'avoir un poste, ils poursuivent leurs études de troisième cycle. Ce sont spécialement les diplômés des spécialités les plus exposées au chômage qui s'inscrivent presqu'en masse dans des cycles d'étude post-diplôme. D'autres participent à plusieurs stages dans des spécialités différentes pour bénéficier d'une formation complémentaire ou de reconversion. Après avoir passé avec succès de longues années d'études, des jeunes maîtrisards décident de changer complètement de créneau pour pouvoir s'intégrer dans le marché de l'emploi et participer à la vie économique. Un titulaire d'une maîtrise en théologie devient un « technicien » en informatique, une titulaire d'un troisième cycle gestion devient une directrice d'un jardin d'enfant... Ils se lancent dans l'aventure et prennent l'initiative de créer leurs propres projets. Certains réussissent, d'autres échouent très rapidement. Le pire c'est quand on trouve un maîtrisard travaillant en tant que serveur dans un café, ou une jeune diplômée de niveau supérieur occupant le poste de standardiste... Ces situations sont désolantes pour ne pas dire choquantes. Il convient tout de même, de signaler que plusieurs jeunes refusent catégoriquement de changer de créneau ou d'occuper un emploi sous-qualifié par rapport à leur niveau de compétence. Et donc, leurs chances de trouver un poste d'emploi diminuent énormément. Généralement, ces personnes ne vivent pas réellement dans le besoin.
Le chômage n'épargne aucune catégorie de diplômés Une enquête réalisée fin 2005 par le ministère de l'Emploi et de l'Insertion professionnelle et la Banque mondiale intitulée « Dynamique de l'emploi et adéquation de la formation parmi les diplômés du supérieur » a relevé que le chômage n'épargne aucune catégorie de diplômés. L'étude a été réalisée dans un contexte particulier du marché de l'emploi. Celui-ci est caractérisé par des déséquilibres de plus en plus marqués entre l'offre de compétences provenant des diplômés de l'enseignement supérieur et les besoins actuels de l'économie. Les résultats de l'enquête démontrent que le chômage touche essentiellement les diplômés du secteur tertiaire (gestion, finances, droit). Le taux de chômage est de 68% pour les maîtrisards des spécialités juridiques. Par ailleurs, les diplômés des filières courtes supposés posséder une plus forte employabilité sont les plus exposés au chômage. Toutefois, les diplômés des ISET (Instituts supérieurs des études technologiques) se trouvent légèrement avantagés par rapport à leurs semblables issus des autres institutions d'enseignement supérieur. Les diplômés des filières techniques, spécialement de l'agriculture et l'agroalimentaire rencontrent d'énormes difficultés à s'intégrer dans le marché de l'emploi. Le taux de chômage atteint les 70% pour les techniciens supérieurs et plus de 31% pour les ingénieurs.
0% de chômage pour les instituteurs Actuellement, le secteur public reste le principal débouché avec 52% des emplois salariés. Bien que le recrutement dans ce secteur soit difficile (concours, examens..), beaucoup de jeunes le préfèrent au secteur privé. A souligner que les diplômés qui ont plus de chances de s'insérer dans le secteur public sont, bien entendu, les instituteurs (100%) et les médecins (plus de 75%), mais aussi les maîtrisards (prés de 60%) qui dans la plupart des cas occupent des postes d'enseignants. Les techniciens supérieurs diplômés en télécommunications, en multimédia, en chimie et en biologie trouvent aussi plus de possibilités d'emploi salarié dans le secteur public. En revanche, pour une bonne proportion des jeunes diplômés, l'emploi dans le secteur privé est mal perçu. Un peu moins de la moitié des jeunes salariés s'étaient déclarés, au moment de l'enquête, à la recherche d'un meilleur emploi. L'enquête a révélé que dans le secteur privé, plus de 23% des jeunes salariés travaillent sans contrat et plus de la moitié des emplois sont conclus sous contrat à durée déterminée. Pour les ingénieurs et les techniciens supérieurs spécialistes de l'agriculture, l'agroalimentaire, la mécanique et l'électricité, le secteur privé est le principal employeur. Par ailleurs, l'analyse des parcours professionnels a montré que l'accès rapide et durable à un emploi ne concerne que le cinquième des diplômés, notamment les enseignants et les ingénieurs. Pour mieux faire face au problème du chômage, l'étude recommande principalement de mieux aligner l'offre de compétences avec les besoins de l'économie. L'étude indique que les réajustements futurs devraient favoriser l'accroissement des formations d'ingénieurs - dont la part reste peu importante - réajustements qui permettront de se conformer aux exigences d'une économie fondée sur le savoir. En même temps, les flux dans les sciences juridiques et le tertiaire devraient être réduits. Dans le court et moyen terme, l'étude suggère aussi le besoin de renforcer les dispositifs d'aide à l'emploi. Actuellement, une Consultation Nationale sur l'emploi est en cours. Les tribunes de dialogue ont déjà commencé dans les régions. Toutes les composantes de la société civile sont invitées à participer à cette consultation qui vise à rechercher des approches nouvelles et innovantes afin de créer plus d'emploi, de former les ressources en relation avec ces emplois, d'adapter les instruments de régulation aux évolutions qualitatives et quantitatives de l'offre et la demande et d'en améliorer l'efficacité. La réforme LMD (Licence Master Doctorat) s'inscrit aussi dans ce cadre. Dans les toutes prochaines années, on aura une nouvelle vague de diplômés de spécialités innovantes. Mais leur insertion sera-t-elle aussi facile ? Le taux de chômage enregistrera-t-il une baisse ? Ce sont des questions qui restent aujourd'hui sans réponse parce que la réalité est tout autre. Afef BEN ABDELJELIL
Le chômage en Tunisie en quelques chiffres : *Le taux d'emploi des diplômés se situe à 43% *Pour plus de 39% des jeunes, l'inscription dans un cursus universitaire est plutôt destinée à contourner le chômage. * 43% des maîtrisards occupent des emplois sous qualifiés par rapport à leur niveau de compétence *57% de l'ensemble des diplômés sont des maîtrisards