Le Temps-Agences - Les citoyens européens sont confrontés à des obstacles souvent insurmontables pour faire valoir leurs droits, d'où le fossé entre l'opinion et l'Europe, peut-on lire dans un rapport commandé par Nicolas Sarkozy. Le député européen UMP Alain Lamassoure a rendu publics son analyse de la situation et ses recommandations, comme le lui avait demandé le président français avant de prendre pour six mois les rênes de l'UE le 1er juillet. Ce rapport prend un relief tout particulier après le "non" irlandais au traité de Lisbonne, qui a démontré une méfiance certaine envers une construction européenne jugée lointaine. "Cinquante ans après, on constate un déséquilibre préoccupant", y estime-t-il. "L'intégration économique est allée jusqu'à la fusion des monnaies nationales, alors que l'union des peuples et des citoyens reste balbutiante." Résultat: les échanges entre Européens sont difficiles. Alors que les pays européens font les deux tiers de leurs échanges commerciaux avec leurs partenaires de l'Union, les mariages binationaux sont rares, les échanges universitaires trop peu nombreux et la mobilité professionnelle est réduite. Cette situation s'explique d'abord par l'inadaptation d'une législation européenne souvent très ancienne ou par son application défaillante par les Etats membres, la France étant loin de constituer un exemple à cet égard, dit Lamassoure. Ainsi, si la reconnaissance mutuelle des diplômes est un acquis, elle reste de la compétence des universités: la prise de décision se fait donc au cas par cas et se révèle très longue.
Conflits juridiques sans issue
De même pour la reconnaissance des qualifications professionnelles: le principe est posé, mais dans la réalité une demi-douzaine seulement de professions sont concernées. La "portabilité" des droits sociaux, qui permet théoriquement aux Européens de travailler ou de prendre leur retraite dans n'importe quel pays de l'UE, se heurte aux réalités, et le coût d'un cadre d'une multinationale est de deux à six fois plus élevé dans un autre pays que dans le sien. Le remboursement des frais médicaux encourus dans un autre pays "se fait dans des conditions erratiques", l'immatriculation d'une voiture achetée à l'étranger relève du parcours du combattant et les Etats membres continuent à favoriser leurs propres nationaux pour le recrutement par les administrations alors que toute discrimination est interdite. Dès que deux pays sont en cause, les unions libres, les mariages homosexuels, les transmissions de patrimoine et les droits de garde en cas de séparation se heurtent à des obstacles, voire à des conflits juridiques sans issue. L'information sur ces droits est souvent disponible, mais il faut être un génie de l'informatique pour s'y retrouver entre les centaines de sites internet où elle est présente. Le droit européen est méconnu des juges nationaux et les Européens ignorent qu'ils disposent de recours devant la justice, le Parlement ou le médiateur européens.
Une carte de citoyen européen
Le rapport fait une série de recommandations. Il préconise la création d'un portail unique pour les informations et la désignation dans chaque institution européenne, gouvernement ou administration d'un responsable de la bonne application de la législation européenne. Lamassoure suggère également la création de documents harmonisés à l'instar de la carte européenne d'assurance maladie, qui devrait devenir une véritable carte de sécurité sociale couvrant la protection familiale et la retraite. Il va jusqu'à émettre l'idée d'une carte de citoyen européen, véritable "passeport juridique" qui tiendrait lieu de carte de séjour, de travail et de sécurité sociale. Il faudrait aussi décupler selon lui le programme "Erasmus" d'échange d'étudiants, qui ne concerne que 3% des jeunes. Pour faire sauter les obstacles en matière de coopération judiciaire civile, Lamassoure demande une formation européenne des juges et envisage un 28e régime qui permettrait de choisir entre le droit national et un régime européen optionnel. "Vis-à-vis de ses citoyens, l'Union européenne a suscité plus de rêves que de projets, plus de projets que de lois, plus de lois que d'applications concrètes. Il est temps de partir des réalités pour concevoir des politiques et des lois plus adéquates, au risque de revoir les projets et les rêves."