Nous avons évoqué dans une précédente analyse décrivant le nouveau profil de la famille Tunisienne (voir le Temps du 19/1/2007) la tendance des nouveaux couples à fuir la demeure ancestrale regroupant les parents, leurs enfants avec leur femme, les petits enfants. Cet exode a timidement commencé voilà bientôt trois décennies pour se quasi généraliser de nos jours. A telle enseigne qu'au mariage du dernier benjamin de la ribambelle et à son départ vers son futur foyer, les géniteurs se retrouvent seuls dans une maison devenue, subitement, affreusement silencieuse et aux dimensions étrangement démesurées ! Certes pendant les vacances et les jours fériés l'animation y renaît par l'arrivée massive de tous les descendants, mais il s'agit d'un phénomène occasionnel ayant tendance à se raréfier, à s'espacer pour diverses raisons. Avec l'âge qui avance, le grand père dans presque tous les cas tire définitivement sa révérence laissant une veuve désespérément seule. Invariablement, elle refuse catégoriquement de quitter son chez soi, ses repaires et habitudes, et les enfants de s'entendre (pas souvent) pour déléguer à tour de rôle un des leurs passer la nuit chez elle pour lui tenir compagnie. La sénilité aidant, cette dernière ne peut plus subvenir à ses besoins les plus élémentaires de façon autonome ; d'où son transfert dans la demeure de l'une de ses filles mariées. La femme Tunisienne travaillant généralement, une assistante est recrutée pour s'occuper pendant la journée uniquement de la mémé. Mais il est médicalement admis qu'à cet âge, la maladie de Parkinson mais surtout les prodromes de la maladie d'Alzheimer commencent à se manifester : troubles de la mémoire et du langage, états dépressifs, fabulations, hallucinations, etc du genre « ma fille ne m'a pas donné à manger de la journée, alors que le plateau de son repas est encore devant elle ; ou dans le coin éloigné de la pièce son fils lui fait des grimaces ou la menace d'un couteau ; biensûr le pauvre est confiné à son travail depuis tôt le matin ; et les exemples de se multiplier semant parfois la discorde entre les membres de la famille au début car prenant toutes ces plaintes pour argent comptable ! Pour lutter un tant soit peu contre ces signes avant coureurs de la maladie d'Alzheimer et en retarder au maximum l'échéance, l'installation proprement dite de la tare, les médecins préconisent et insistent sur les vertus de la conversation continuelle avec ces malades pour qu'ils « n'oublient » pas leur langage. Tâche rarement accomplie par les assistantes engagées préférant pourchasser les feuilletons Mexico-Egyptien !
Résultat, des courses une grand-mère confinée dans un petit coin de la journée, perdant graduellement sa lucidité, son vocabulaire : des bribes de phrases au début, puis des monosyllabes pour aboutir à un mutisme total ; pas même la moindre consonne, silence radio ! Un autre fléau la menace sérieusement et constamment : la fracture du col du fémur (fracture au niveau de l'articulation de l'os de la cuisse avec le bassin). Avec l'âge, il est notoire que la densité des os en calcium s'amenuise donnant ce qu'on appelle « des os en verre »synonyme d'une pathologie fréquente au-delà de la soixantaine : l'ostéporose. Il suffit de la moindre petite chute et la grosse catastrophe de se produire ; l'intervention (une prothèse) étant onéreuse, généralement de l'ordre de 5 mille dinars, on a tendance à laisser courir avec comme arguments : « les risques de l'anesthésie ; à son âge, elle n'a plus besoin de beaucoup se déplacer ; elle risque d'être très perturbée psychologiquement au milieu d'une flopée d'inconnus arborant des blouses blanches etc. » Le père de l'orthopédie en Tunisie, feu Mohamed Kassab ne cessait de ressasser en substance à ses étudiants et assistants : « plus le sujet est âgé, plus il est taré ; diabétique, cardiaque, insuffisant respiratoire et plus il faut se hâter de l'opérer » car, s'abstenir d'intervenir équivaudrait à en faire un grabataire ne quittant plus le lit avec le cortège inévitable des escarres qui vont se déclarer rapidement mettant en jeu la vie même du patient. Jusque là nous n'avons évoqué que les principaux problèmes médico-chirurgicaux pouvant handicaper la frange du troisième âge.
Ennuis Les ennuis sociaux ne sont pas en reste : un beau fils qui râle que sa femme quitte le lit conjugal en pleine nuit pour s'assurer que sa mère ne manque de rien, est bien couverte ou n'est pas assoiffée et réclame « en silence » à boire, ou qui rouspète à cause d'une bien pâle petite veilleuse au chevet de la belle mère ayant une peur bleue des ténèbres. Un autre en période des examens de ses enfants qui exige et obtient le départ de « la vieille » de chez lui car sa présence perturbe la concentration des siens lors des révisions ( le changement de repaires lui étant hautement déconseillé par son neurologue car contribuant à la déstabiliser davantage) ! Le comble c'est que durant son séjour chez lui, il n'a cessé de disposer de sa pension alimentaire, de se sucrer sur son dos. Et la chère petite dame d'être ballottée au gré des humeurs de ses gendres au grand dam de ses filles ne pouvant tenir tête à leur mari. Un troisième demandant une procuration de l'aïeule pour qu'il gère son patrimoine, vérifie son compte bancaire et dispose de son héritage. Le plus désolant, c'est que sa propre fille est de mèche avec son mari pour déposséder sa mère de ses biens. Des cas heureusement rares mais existant réellement, hélas ! Dieu merci certains, fort nombreux et majoritaires, sont plus attentionnés, plus présents dans la vie quotidienne de nos ascendants que leurs propres garçons ; ce qui nous rassure un tantinet sur la bonne tenue et la pérennité de la solidarité au sein de la famille Tunisienne et particulièrement sur le vieillissement digne dont tout un chacun aspire, le moment venu, de bénéficier, d'avoir.