Agé d'à peine 24 ans, le Tunisien Karim Haggui fait déjà figure de joueur d'expérience. Le solide défenseur n'a pas l'habitude de perdre du temps. Ni dans son club du Bayer Leverkusen, où en à peine deux saisons, il est devenu l'un des meilleurs défenseurs de la Bundesliga, ni en sélection nationale où il a déjà inscrit à son palmarès un titre de champion d'Afrique en 2004, une participation à la Coupe du Monde de la FIFA 2006 et au Tournoi Olympique 2004. Le défenseur des Aigles de Carthage évoque les ambitions de Leverkusen en Bundesliga, et le match à quitte ou double qui attend la Tunisie lors de la prochaine journée de qualification pour la Coupe du Monde de la FIFA, Afrique du Sud 2010. "Nous sommes en danger" prévient-il avant le périlleux déplacement au Burkina Faso.
Karim, la saison de Bundesliga vient de débuter. Quelles sont vos ambitions avec le Bayer Leverkusen ? Nous espérons avant tout oublier la fin de saison dernière où nous n'avons pas atteint notre objectif, à savoir une qualification européenne. Mais nous sommes toujours ambitieux. L'objectif est évidemment une place européenne et remporter le titre la saison prochaine. Mais si on peut y arriver avec un an d'avance, on ne va pas s'en priver !
Revenons sur cette fin de saison. Vous avez longtemps été dans le haut du tableau avant de perdre 7 de vos 10 derniers matches, au point de manquer la qualification pour la Coupe UEFA. La pilule n'a pas été trop dure à avaler ? Ce fut un coup dur au vu des ambitions du club et la qualité de jeu proposée. Jusqu'au match à Munich face au Bayern, nous étions deuxièmes. On a perdu (1:2) et après cela, on a chuté pour des raisons physiques. Nous avons été en quart de finale de la Coupe UEFA, et cela fait beaucoup de matches en plus, surtout que nous avons utilisé le même noyau de joueurs. On a craqué physiquement et subi quelques coups durs, notamment la blessure de Bernd Schneider.
La conséquence directe a été le départ de votre entraîneur Michael Skibbe, remplacé par Bruno Labbadia. Quelles sont les différences entre leurs méthodes ? Grâce au travail de Michael Skibbe, nous avons produit l'un des plus beaux jeux du championnat. La Bundesliga est associée à un jeu direct, physique et puissant. Nous sommes un peu à contre-courant avec un jeu posé, rapide et technique. Malheureusement, les résultats n'ont pas suivi. Avec Bruno Labbadia, le mot d'ordre, c'est la rigueur. Il est très exigeant avec lui-même et avec nous. Si on garde la qualité apportée par Skibbe et qu'on y ajoute l'exigence de Labbadia, on ne peut que progresser. Bien sûr, il faudra peut-être du temps pour le mélange porte ses fruits. Avec Henrique, Renato Augusto, Patrick Helmes ou Constant Djakpa, Leverkusen fait de gros efforts de recrutement. C'est une marque d'ambition, mais également un signe que la concurrence va être plus importante... Henrique est un très bon défenseur. C'est un concurrent direct à mon poste, mais la concurrence ne peut que faire du bien. J'en ai fait l'expérience durant toute ma carrière, elle m'a permis de progresser. Augusto va nous faire beaucoup de bien... et beaucoup de mal à nos adversaires ! Je comprends qu'au Brésil, on le considère comme le nouveau Kaka. Il sait tout faire. Il est jeune, très technique et a un bon sens du but.
Parlons de l'équipe nationale tunisienne. Vous êtes deuxièmes du Groupe 9 des qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA 2010, derrière le Burkina Faso. Seul le premier est sûr d'accéder à la phase suivante. Comment envisagez-vous la suite de la compétition et particulièrement le prochain match au Burkina Faso ? Il ne faut pas se mentir, nous sommes en danger. Même si on a gagné nos trois derniers matches, la défaite à domicile face au Burkina Faso nous a fait très mal. Notre qualification dépend entièrement du match retour. Et je ne veux pas - je ne peux pas - imaginer la Tunisie sortir dès maintenant.
Vous faites partie des joueurs expérimentés. Vos coéquipiers, notamment les plus jeunes, sont-ils conscients de la difficulté de la tâche? Nous avons une nouvelle génération mais il faut être efficace tout de suite. Tout le monde doit être conscient de cette situation et se battre pour s'en sortir. Les plus expérimentés comme moi, Rahdi Jaïdi, Jawhar Mnari ou Mehdi Nafti doivent faire comprendre aux jeunes que c'est à eux d'écrire une belle histoire. Leur histoire. En 2006, nous sommes passés à côté de notre Coupe du Monde. Mais c'est un peu tôt pour penser à faire mieux en 2010. Il faut d'abord passer le prochain obstacle. Nous devons absolument gagner ce match !
En sélection aussi vous avez connu un changement d'entraîneur, le Portugais Humberto Coelho ayant remplacé le Français Roger Lemerre. Comment s'est passée la transition ? M. Lemerre nous a énormément apporté. Je tiens à le remercier pour les quatre ans de bonheur qu'il a donnés à la Tunisie et l'expérience qu'il nous a apportée. M. Coelho, nous le connaissions par ses prestations à la tête du Maroc et du Portugal, mais on n'a vraiment fait connaissance que lors du premier stage de préparation. Il nous a présenté son projet de travail. Ce sera sans doute différent de ce que nous avons fait avec M. Lemerre car ce sera plus offensif, dans le style de la sélection portugaise.
Justement, la Tunisie semble manquer de puissance offensive et s'appuyer davantage sur sa solidité défensive. C'est assez rare dans les sélections africaines... La Tunisie est différente de l'image traditionnelle du football africain. Il y a moins de folie et d'improvisation. La sélection est très organisée, on étudie beaucoup nos adversaires et on insiste sur la concentration. Un peu comme l'Egypte. Nous avons actuellement des problèmes offensifs. Santos n'est pas encore revenu à son niveau de 2004, mais j'ai une grande confiance en lui. Je sais qu'il va revenir. Nous avons également de jeunes très talentueux comme Yassine Chikhaoui, Issam Jemâa ou Amine Chermiti. C'est à nous, les anciens, de leur apporter cette envie de gagner et les aider à acquérir l'expérience du haut niveau.
En 2010, la Coupe du Monde de la FIFA se déroulera pour la première fois sur le sol africain. Qu'est-ce que cela représente pour vous ? C'est un rêve qui se réalise pour le tout le continent. Chaque joueur africain vous dira que jouer une Coupe du Monde chez lui, c'est la plus belle chose dont il puisse rêver. J'espère de tout cœur en faire partie. C'est pour cela que je n'imagine pas une seule seconde que la Tunisie ne se qualifie pas.
Vous êtes en sélection depuis 2003. A seulement 24 ans, vous avez déjà disputé la Coupe du Monde de la FIFA, la Coupe d'Afrique des Nations et le Tournoi Olympique. Quels sont vos souvenirs les plus marquants ? Le meilleur reste la demi-finale de la CAN 2004 contre le Nigeria (1:1, 5:3 t.a.b.). C'était inoubliable car j'ai inscrit le tir au but décisif qui nous envoie en finale, que nous gagnons ensuite. Evidemment, j'ai connu aussi des moments difficiles, notamment l'élimination au premier tour en 2006. Nous avions les capacités pour faire mieux et nous avons déçu le peuple tunisien. Mais c'est aussi ça le football. On tombe, puis on se relève. C'est comme cela qu'on progresse. Pas en ne tombant jamais, mais en devenant plus fort quand on se relève.