Le journal tunisien est « interdit de séjour » dans la plupart de nos hôtels où vous ne trouvez que des journaux étrangers, français, allemands, italiens... au point que vous sentez le dépaysement, contrairement aux touristes qui, eux, se sentent chez eux. Pourquoi on ne met pas à leur disposition nos journaux et magazines d'expression française d'autant plus que les Français comptent parmi les plus nombreux à visiter notre pays ? On trouve cela inadmissible, et même l'objection que pourraient faire les hôteliers concernés, déclinant toute responsabilité, et qui reposerait sur le fait que les locaux où se vendent les journaux sont loués par eux à des particuliers, n'est pas recevable, car ces magasins font partie intégrante de leurs hôtels et assurent des services à leur clientèle, ce qui signifie que tout ce qui se passe sur ces lieux est de leur ressort. Ils pourraient nous dire aussi que le touriste ne s'intéresse pas à ce qui se passe chez nous. Dans le cas où cela serait vrai, les responsables d'une telle situation seraient eux, parce qu'ils auront cultivé chez lui cette indifférence par leur négligence : tout homme s'accommode avec ce qui existe. On est persuadé que le touriste se définit principalement par sa curiosité, il aime découvrir le pays qu'il visite et le journal local est l'un des moyens de cette découverte, donc en tant que tel, il peut être considéré comme un produit touristique. D'aucuns nous rétorqueraient qu'il y a d'autres moyens d'information autres que le journal, on ne dirait pas le contraire, on en convient, cependant cela n'empêche que celui-ci reste l'outil principal d'information, il est le miroir de la réalité locale, par son biais, les touristes ont la possibilité de se mêler à la foule à distance. Au-delà de ces considérations, on voudrait bien poser une question à mesdames et messieurs les hôteliers : est-ce qu'on ne vend pas de journaux et de magazines locaux en France, en Allemagne, en Italie et ailleurs dans les hôtels ? On aimerait entendre leur réponse. On ne demande pas de priorité, de privilège, mais une égalité avec l'étranger, de la dignité, il est vraiment déprimant et révoltant que l'on s'exclut soi-même, cela s'appelle de l'auto-flagellation, du masochisme. Ce n'est pas seulement le journal d'expression française qui est proscrit dans ces hôtels, celui d'expression arabe l'est aussi, il connaît exactement le même traitement. Et là nos soupçons se confirment, car on fait comme si le Tunisien n'existait pas, on nous donne l'impression qu'il est indésirable. Où est ce tourisme local dont on ne cesse de parler, dont on fait un slogan ? Apparemment, ils sont tous étrangers dans ces hôtels, le journal tunisien et l'homme tunisien. On ne réduit pas le séjour à un journal bien sûr, mais on procède par analogie, puisqu'ils en procurent aux étrangers, qu'ils fassent de même avec le Tunisien, il est client au même titre qu'eux, après tout le journal est un service parmi d'autres, pourquoi l'offrir aux premiers et en priver ce dernier, qu'on place tout le monde sur le même pied d'égalité abstraction faite de leurs nationalités. Les retraités des loisirs On pourrait nous dire que vous faites toute une montagne d'un petit détail, mais justement tout projet suspect est trahi par un fait anodin qui échappe même à l'observation, donc on n'exagère en rien et on n'est pas dans l'exception. Ces détails d'apparence insignifiants sont corroborés par des faits encore plus tangibles dissipant tout doute quant à la tendance non déclarée de ces hôteliers favorisant le touriste étranger au détriment du touriste local. Par exemple ils vous ferment la porte au nez prétextant qu'ils affichent complet même si vous avez réservé ; l'annulation devient une pratique courante pour eux quand ils obtiennent un marché européen plus rentable. Il est clair qu'ils ne misent pas sur le touriste interne comme ils le laissent entendre dans les allocutions médiatisées qu'ils tiennent en moments de crise, ils ne pensent qu'à la devise de l'autre rive, celle du Nord, il ne faut pas leur en vouloir, ils ont la phobie du Sud réputé pour sa misère. Donc la faible fréquentation des hôtels par les Tunisiens ne s'explique pas seulement par des considérations financières, mais aussi par des raisons se rapportant au traitement qu'on leur réserve, ce qui a amené certains à changer de destination. On ne pense à eux que pendant la basse saison, quand les hôtels sont désertés par les « grands touristes », ils ne commencent à exister pour ces hôteliers qu'à partir de la saison automnale lorsque la grisaille s'installe et le thermomètre commence à baisser exactement comme leurs recettes. C'est à dessein de redresser cette courbe descendante qu'on fait appel à eux, ils sont comme une cinquième roue ou encore comme les serviteurs qui ne peuvent manger qu'après avoir servi leurs maîtres. Manifestement, le retard technologique qu'on accuse par rapport aux occidentaux on le vit dans le domaine touristique : ils ne nous exportent que les inventions dépassées, archaïques, et nous n'avons le droit de fréquenter que les touristes du troisième âge, c'est logique, il faut respecter le décalage séparant nos deux mondes. D'ailleurs, il y a un point commun entre cette catégorie de touristes et nous, eux, ils sont retraités du travail et nous des loisirs de la vie.