* En revanche, les entreprises privées sont plus accessibles ... En l'espace d'une quinzaine d'années, la formation professionnelle a fait l'objet de mesures de promotion stipulées successivement par les dispositions de la loi promulguée en 1993 suivie de la loi du 11 février 2008. C'est dire la ferme intention de l'Etat, d'en assurer la promotion. Ce regain d'intérêt est dicté par la nécessité de relever les défis, notamment, de l'emploi et de la concurrence internationale mais surtout par l'urgence de satisfaire la demande en main-d'œuvre qualifiée des méga-projets dont certains ont déjà démarré. Or non seulement le rythme de modernisation et de promotion pêche par une certaine lenteur mais de plus, l'accomplissement du processus semble manquer d'énergie. Il est vraiment réconfortant d'assister à la réhabilitation de l'enseignement technique et de la formation professionnelle. Ce regain d'intérêt est également un juste retour de balancier qui les rétablit dans leur fonction de levier du développement après une longue période de mise en veilleuse voire d'une inexplicable et aberrante dévalorisation donnant lieu à son tour à une dépréciation du travail en tant que haute valeur morale auprès de nos jeunes, dépréciation qui s'est traduite par l'option massive pour l'enseignement théorique aux débouchés par trop restreints, avec le chômage des diplômés comme corollaire.
Connotation péjorative Les vicissitudes des réformes successives, ajoutées à une vision peu clairvoyante et une prévision erronée des besoins du marché de l'emploi ont abouti peu à peu à la décadence de l'enseignement technique et de la formation professionnelle. A ce propos, les professeurs des lycées techniques évoquent avec dépit le démantèlement des ateliers dont les équipements acquis au prix d'énormes sacrifices permettaient de former des tourneurs, des fraiseurs et autres techniciens qualifiés dans l'usinage des métaux dont tout pays en plein processus de construction ne peut se passer. La formation professionnelle n'a pas été non plus gâtée, à tel point qu'elle a acquis une connotation péjorative traduite par une attitude des jeunes, et même des parents, dépassant la simple déconsidération pour friser le mépris. Ni les bas salaires des fonctionnaires, ni l'incertitude des perspectives d'avenir pour les diplômés de l'enseignement théorique, ni l'aisance dans laquelle vivent les travailleurs manuels possédant un métier comme les techniciens ou les artisans, n'y fit : les jeunes ont bien longtemps continué à tourner le dos à la formation professionnelle avec tout ce que cela a impliqué quant à la rareté et au coût de la main-d'œuvre qualifiée et par ricochet, comme impacts micro et macro-économiques.
Signes d'évolution Ce n'est que récemment, et sous l'effet des campagnes de sensibilisation, que les mentalités commencent à donner des signes d'évolution et qu'une prise de conscience s'est amorcée, particulièrement dans les rangs des élèves peu motivés par les études. C'est ainsi que les centres de formation connaissent une affluence de plus en plus remarquée et que les collèges techniques, créés en 2007 commencent à se multiplier : avec la reconversion de 55 anciennes écoles des métiers en collèges du genre et l'ouverture de 32 nouveaux établissements au cours de l'actuelle année scolaire, on en compte 88 au total. De la sorte, lesdits collèges techniques appelés à être présents dans toutes les régions du pays, dispensent, en tant qu'anti-chambres de la formation professionnelle, une formation générale et technique devant permettre aux élèves d'acquérir des compétences dans divers domaines et d'accéder aux filières de la formation. Ils comptent un effectif de 5000 élèves. Les projets de création et les opérations de mise à niveau concernent aussi les centres de formation professionnelle. Cependant, le début d'engouement pour la formation professionnelle et la réhabilitation du secteur n'ont pas manqué de mettre à nu les nombreuses lacunes voire les carences du système dans son ensemble. En guise d'illustration en la matière, nous nous proposons de partir du cas de la région de Sfax, qui n'est certainement pas un cas isolé ni le pire, loin s'en faut. Le recoupement des informations recueillies auprès d'enseignants, d'élèves, de parents d'élèves et de responsables révèle deux catégories de problèmes : des problèmes d'ordre général et des problèmes d'ordre spécifique à chaque spécialité.
Collaboration négligeable des entreprises publiques Concernant la première catégorie, les critiques portent essentiellement sur la collaboration jugée négligeable des entreprises publiques en ce sens qu'elles dressent beaucoup d'obstacles devant l'admission de jeunes dans le cadre de la formation par alternance. Attitude pour le moins qu'on puisse dire, surprenante d'établissements à caractère public censés coopérer pleinement à la mise en œuvre de la politique et de la stratégie nationales. Nos interlocuteurs pointent le doigt nommément sur les Groupes Chimiques et les sociétés d'exploitation pétrolière. « Appartenant au domaine public, donc supposées ouvrir largement leurs portes aux élèves des centres et servir même de centres de formation vu leurs potentialités énormes en la matière, ces sociétés se montent peu coopératives, admettent les intéressés au compte-gouttes et pour un stage d'une durée d'un mois seulement, ce qui implique une logique de stage en nette contradiction avec la logique de formation par alternance. Imaginez que sur une vingtaine ou une trentaine de candidats, un seul d'entre eux, a la probabilité d'être admis», s'indigne un directeur de centre. Un autre chef de centre ajoute : « Les admissions dans les entreprises étatiques n'obéissent pas à des critères bien définis. Elles se font « à la tête du client », c'est-à-dire que c'est le règne de l'arbitraire et du népotisme » . Un troisième interlocuteur s'élève contre la routine administrative au sein de la STEG : « Au lieu d'être décidée à Sfax, l'admission d'un candidat en stage est tributaire de l'accord du service central de formation relevant du siège de la STEG, à Tunis. Conséquence : la réponse peut accuser des retards préjudiciables d'une ou de deux semaines. Inconcevable dans un pays émergent qui aspire à rejoindre le peloton des pays développés ! ». Nos interlocuteurs espèrent que le message sera bien reçu par le ministère de tutelle dont on attend une réaction salutaire : exercer la pression nécessaire sur les entreprises publiques sus-citées de façon à les amener à se montrer, à l'avenir plus coopératives.
Parfaite collaboration des entreprises privées Paradoxalement, toutes les personnes contactées sont, par contre, unanimes quant à la parfaite collaboration des entreprises privées, conformément à la règle du gagnant-gagnant. Et si par hasard, il y a une quelconque difficulté de communication ou mésentente, il suffit de recourir à l'intervention l'UTICA-régionale pour les aplanir avec la célérité requise. Le seul reproche adressé à ce genre d'entreprises concerne le taux d'occupation des stagiaires : « Plusieurs entreprises ne tournant pas constamment à plein rendement, faute de commandes ou d'appels d'offres, peuvent passer par des périodes de ralentissement de leurs activités. Quand il arrive que ces périodes coïncident avec l'entrée en stage de nos élèves, les conditions ne sont pas propices à l'application du programme de formation, ce qui se répercute négativement sur la qualité de leur formation », regrette un autre interlocuteur.
Capacité d'accueil et absence d'internat La deuxième catégorie de doléances concerne la capacité d'accueil des internats relevant des centres de formation en dépit de leur exploitation optimale selon la formule de l'alternance, à l'instar de la formation elle-même. L'exemple le plus frappant est celui du Centre de Formation Bach Hamba dont la mise à niveau a nécessité la bagatelle de 09 millions de dinars, qui a obtenu la certification ISO 9001, qui compte 1400 stagiaires mais dont l'internat a une capacité d'accueil de...80 élèves, qui plus est, exclusivement de sexe masculin ! Cela signifie tout simplement l'exclusion des filles et même des garçons domiciliés dans des localités ou des régions éloignées de Sfax, lesquelles zones seront privées de la possibilité de satisfaire leurs besoins en main-d'œuvre qualifiée. Il ressort donc de notre enquête que l'obstacle majeur qui se dresse devant les demandeurs de formation professionnelle est l'exiguïté ou carrément l'absence d'internat, ce qui est en contradiction avec l'esprit et les dispositions de la loi du 11 février 2008 qui stipule entre autres : « La formation professionnelle est fondée, dans ses contenus et dans son organisation, sur le principe d'égalité des chances entre tous les demandeurs de formation ». A cela s'ajoute l'inadaptation de certains centres dont il n'est nécessaire de procéder à la rénovation et à la mise à niveau. Le pari sur la promotion professionnelle en tant que voie passante vers le marché de l'emploi, exige en effet un rythme plus accéléré et des moyens plus conséquents à la mesure de son employabilité, sachant que le taux des diplômés des centres de formation professionnelle qui parviennent à s'insérer dans le circuit économique et à dénicher un job oscille entre 70 et 100 % et que la recherche d'un emploi ne dure pas plus de six mois. Mieux même, pour certaines spécialités, les offres d'emploi parviennent aux centres avant même la sortie des promotions.
Réticence pour certaines spécialités Volet difficultés spécifiques, certaines spécialités, à l'instar de l'électronique, connaissent une affluence qui excède très largement la capacité d'accueil des centres, ce qui conduit à une sélection très sévère. Par contre, pour certaines spécialités comme celles de maçon, de ferrailleur ou de carreleur, la demande demeure encore assez timide et ce, en dépit de leur forte employabilité et de l'importance des salaires. Cette réticence de la part des jeunes s'explique aussi bien par les préjugés qui collent à ces métiers mais également par l'exploitation éhontée à laquelle s'exposent les jeunes diplômés de la part des entreprises de bâtiment et de entrepreneurs privés arguant de leur inexpérience et de leur manque d'habileté. Les demandeurs de formation dans lesdites spécialités appartiennent pour leur majorité aux milieux professionnels en rapport avec le secteur du bâtiment, mieux au fait des avantages point de vue salaires et perspective d'accès à la fortune. Le deuxième problème a trait à l'inadaptation de la formation aux besoins du marché de l'emploi. Cela exige un effort accru de restructuration qui intègre les nouvelles technologies du bâtiment, des points de vue techniques et équipements . Il s'agit de se mettre au diapason des besoins des grandes entreprises qui exigent une main-d'œuvre qualifiée dans des créneaux biens déterminés tels celui de carreleur, d'ouvrier spécialisé dans le revêtement mural etc. Cela signifie que l'ère de la polyvalence sera un jour dépassé, quoiqu'elle ait encore cours et pour longtemps, auprès des particuliers. Le secteur des cuirs et chaussures connaît lui aussi une notable désaffection des jeunes, un secteur sérieusement affecté par la concurrence déloyale des produits importés de Chine et d'ailleurs. Les nombreux dépôts de bilan d'industriels, la fermeture d'usines et le marasme qui a caractérisé le secteur durant les quelques dernières années ont de quoi dissuader les demandeurs de formation. A tel point que le taux de remplissage demeure médiocre au sein du centre de formation spécialisé. Ce que ces jeunes ignorent, c'est que, signe de regain de santé, l'offre d'emploi du secteur représente presque le triple la demande. Explication : si certaines usines ont fermé, d'autres, implantées à Maharès et à Sfax manquent encore de main-d'œuvre qualifiée. N'oublions pas, avant de terminer, de rappeler que le pari sur la formation professionnelle n'est pas une fin en soi et que ce qui importe le plus , ce sont la qualité de la formation donnée, les compétences acquises et le savoir-faire possédé par les jeunes stagiaires. Répondent-ils, et nombre suffisant aux exigences des bailleurs de fonds des méga-projets ? Sont-ils en mesure de donner pleinement satisfaction ? C'est à espérer, d'autant plus que la Tunisie s'emploie à soigner son image en tant que destination privilégiée pour l'investissement étranger, ce qui est tributaire en partie des qualifications de notre main-d'œuvre et de son degré d'acquisition des nouvelles techniques et d'adaptation aux nouvelles méthodes de travail. Sinon, dépourvue de ces qualités, notre main-d'œuvre ne sera pas en mesure de soutenir la concurrence et risquera de céder la place, à la main-d'œuvre étrangère.