Les jeunes n'ont pas la même chance en matière de loisirs. En plus des privilèges de naissance, ils doivent compter aussi sur ceux de la géographie. La campagne n'offre pas les mêmes opportunités que la ville, et les quartiers n'ont pas tous le même profil. La ville c'est bien sûr l'animation, la jouissance, les activités y sont nombreuses et variées et le rythme soutenu. C'est l'ambiance qui plaît aux jeunes, ils la préfèrent à celle de la campagne où le grand calme qui convient aux romantiques et aux retraités est synonyme de poisse pour eux. Les jeunes ont besoin de se divertir et ce cadre ne leur offre rien comme loisirs. Toutefois, appartenir à la ville ne veut pas dire forcément être privilégié, tout dépend de la catégorie d'appartenance du quartier que l'on habite, il y en a les résidentiels et les populaires. Ce qui nous intéresse ici ce n'est pas les différences relatives à l'infrastructure routière ni celles touchant au niveau architectural, mais les maisons de jeunes, le substitut de l'école dans le quartier. C'est elle qui est censée s'occuper des jeunes pendant leur temps de libre, quand ils n'ont pas cours et lorsqu'ils sont en vacances. L'intimité de l'endroit et son rôle éducatif et récréatif sont soulignés par le nom même : une maison est le lieu où le jeune se sent en sécurité, où il est bien entouré, où il apprend et s'amuse en même temps. Des inégalités Dans le grand Tunis et avec le développement de l'industrie du bâtiment, les maisons de jeunes se font de plus en plus rares, pratiquement on n'y pense même plus, puisque dans les nouveaux quartiers il n'y a que des habitations. Ils sont conçus juste pour dormir pareils à des dortoirs. On n'y trouve ni espaces verts, ni maisons de jeunes, leur physionomie exclut ces derniers, les loisirs sont sacrifiés au profit de l'intérêt : plus de logements, plus de bénéfices. Ceux qui en disposent ne sont pas toujours meilleurs. Certaines sont fermées à l'instar de celle de la cité du 18 janvier de Ettadhamen. « Si vous voulez voir un responsable, revenez demain matin, ici on ferme à 13 heures, nous dit le gardien, la seule personne que nous y avons trouvée en fin d'après midi. Le matin il y a des femmes qui viennent, elles restent quelque temps et puis elles s'en vont, ajoute-t-il ». Les jeunes ne fréquentent pas cette maison dans un quartier aussi chaud où leur encadrement est plus qu'un plaisir, c'est une nécessité. D'autres maisons de jeunes n'ont pas les fonds nécessaires pour répondre aux goûts variés des jeunes et financer les différentes activités. Excepté celles d'El Menzah et celle de La Marsa, dotées d'une bonne infrastructure et bénéficiant d'un grand budget, où les jeunes peuvent s'adonner à plusieurs activités culturelles et sportives, les autres n'en assurent que quelques unes et ne bénéficient pas d'assez d'espace comme celle de Sidi Daoud où on dispose d'une seule « grande » salle de 4 m/7 m pour cinq activités qui sont le taekwondo, la musique, la danse, l'aérobic, et le théâtre et pourtant il y a de grandes possibilités d'extension. La capacité d'accueil de cette maison de jeunes est très limitée, puisque le nombre des inscrits ne dépasse pas les 150. Les jours d'affluence posent un grand problème aux responsables à cause de l'exiguïté des lieux. Les mêmes écarts existent aussi entre les établissements scolaires. Dans certains d'entre eux, il y a des clubs de cinéma, de théâtre, de musique, d'autres n'ont même pas l'infrastructure nécessaire à leur bon fonctionnement. Ils ne disposent ni de terrains de sport bien aménagés, ni de matériel, ni de vestiaires, ni de bibliothèques, ni même de salles de permanence. Des établissements où il manque les moyens de loisirs, où l'élève est privé des activités récréatives sont des lieux lugubres où les études seraient vues par lui comme une corvée et l'école comme un centre coercitif. Celle-ci doit être égayée par des loisirs, il faut en faire une sorte de parc d'attraction pour qu'elle puisse le passionner et devenir pour lui un milieu d'épanouissement. Dans l'école d'aujourd'hui, ce ne sont pas seulement les loisirs requérant une infrastructure particulière et des fonds importants qui ont disparu, d'autres qui n'exigent rien de tout cela comme les excursions ont également cessé d'exister. Avant, il y en avait tous les dimanches et les jours fériés. Ces jours-là, les élèves se rassemblaient par centaines devant les lycées en compagnie de leurs professeurs, et attendaient impatiemment l'arrivée du bus pour partir à la découverte et à l'aventure. On organisait des visites aux sites archéologiques comme celui de Dogga, aux zones touristiques comme celle de Hammamet, aux régions forestières comme celle de Aïn Draham. Au-delà de leur fonction récréative et pédagogique, ces excursions étaient l'occasion pour les élèves d'approcher leurs professeurs, elles permettaient le renforcement des liens entre eux, ce qui instaurait un climat amical et établissait une complicité entre enseignants et apprenants se répercutant positivement sur le rendement scolaire. Pendant les vacances aussi on prenait soin d'eux, la relève était assurée par l'organisation des Séjours et Colonies de Vacances, le scoutisme et bien entendu les maisons de jeunes. A ce qu'on sache, l'Etat assure une assistance financière importante à ces organismes, mais on n'en voit pas la trace. Ces activités, même si elles sont encore organisées avec la même régularité, ne sont plus médiatisées comme elles l'étaient par le passé, on se demande pourquoi.
L'alternative Quand toutes ces institutions font défaut ou ne remplissent pas comme il se doit leurs rôles, l'alternative pour l'élève ne peut être que des endroits mal indiqués comme les cafés, les salles de jeux et les bowlings. Ons, une élève de 3ème lettres, est un exemple de cette nouvelle tendance. « Chaque samedi après-midi, nous allons dans un café mes amis et moi pour nous détendre et nous amuser, nous déclare-t-elle ». Jihed en 4ème éco. est plus assidu de ces lieux. « j'y vais tous les jours, chaque fois que j'ai un temps de libre, nous affirme-t-il ». Ces endroits publics conçus pour des adultes ne conviennent pas bien sûr à des adolescents qui, à ce grand tournant de la vie, ont besoin d'être bien entourés, car ils sont très vulnérables. A cet âge-là, ils sont perméables à tout ce qui touche le monde des grands auxquels ils veulent s'identifier, et ce n'est pas dans ces endroits qu'ils vont trouver de bons modèles à imiter. Les adolescents doivent évoluer dans leur monde, un monde sain où ils peuvent apprendre la vie décemment. Un vrai loisir est formateur, alors que ces lieux sont aliénateurs. C'est là que se fait l'apprentissage de la petite délinquance pour des jeunes non immunisés, qui n'ont aucun moyen de défense, qu'on peut atteindre facilement là où on veut et quand on veut. Néanmoins, même quand le vrai loisir est à portée de main, on est confronté à un autre empêchement : le temps. « C'est seulement le samedi après-midi que je peux me libérer un peu et me permettre de m'amuser avec mes amis, nous affirme Rahma, une élève de 4ème éco. Nous avons trop de matières et trop d'heures, poursuit-elle dépitée, mes amis qui sont au lycée français en ont beaucoup moins, c'est pratiquement la moitié de ce que nous avons, d'ailleurs ils n'ont jamais cours toute la journée et le samedi est un jour de congé pour eux ». A la belle époque, l'école était très animée par les diverses activités qui s'y tenaient surtout pendant les week-ends. Les vendredis après midi, il y avait l'inter lycées et le championnat scolaire. A travers ces compétitions intellectuelles et sportives, les élèves se formaient, s'amusaient, découvraient le pays et nouaient des relations d'amitié. Les samedis après-midi étaient réservés aux cinés clubs et aux clubs du baccalauréat où on organisait des débats après la projection des films et les conférences. Les dimanches, comme on l'a précisé plus haut, c'étaient les jours des excursions. Après s'être bien détendu pendant la fin de semaine, l'élève trouvait la force physique et mentale nécessaire pour affronter une nouvelle semaine de travail, il retrouvait la salle de classe en de bonnes dispositions.