On a toujours été bercé par la médiocrité, c'était notre nourrice, et elle est notre tutrice, celle avec laquelle on a grandi. Elle veille sur nous jour et nuit sans relâche. Elle a peur qu'on l'abandonne et qu'on parte sous d'autres cieux. Nous de notre côté, on a pris l'habitude de vivre dans son univers, on ne peut plus la quitter, la séparation serait très douloureuse, elle serait vécue comme un sevrage. Cette relation passionnante on la doit à notre chère municipalité. Le bastion de cette médiocrité c'est l'espace de la ville où on donne aux impasses, aux rues et aux avenues des noms consacrant la rétrogradation. Ils nous donnent l'impression que le temps s'est figé, qu'on vit encore à l'ère coloniale. On glorifie des personnalités pour leur savoir, leur dévouement, leur patriotisme, ou bien des événements heureux ou bien encore des vertus, mais pas de mauvais souvenirs qui font rougir de honte l'humanité comme l'esclavage. Eh bien oui ! On en garde encore le souvenir dans l'impasse de « elouesfène »(les nègres). C'est comme si on disait à ces gens de couleur que votre statut demeure le même, que vous êtes toujours esclaves. La conservation de ce nom de la honte laisse l'entaille béante, ravive les douleurs du passé. Il y a d'autres noms qui inspirent la terreur tels que « el machanka »(l'échafaud). Les pauvres habitants de cette rue sise à Hafsia se trouvent dans une situation pire que celle des condamnés à la peine capitale dont l'appréhension qui s'aiguise avec le temps qui passe et qui fait rapprocher le moment de l'exécution ne dure pas longtemps. Pour eux, le temps d'attente est beaucoup plus long, il s'étale sur toute une vie, ils ne connaissent le salut qu'avec la mort. De même pour les habitants de l'impasse de l'ogresse de Bab El Khadra, Ils sont terrorisés par ce fantôme qui cohabite avec eux, qui les accueille chaque fois qu'ils rentrent chez eux. Et ces noms des marabouts qui sillonnent la vieille ville, il y en a des dizaines. On n'est pas le seul peuple à avoir des saints à ce qu'on sache, on ne croit pas que dans les autres pays il y en autant. La médiocrité est puisée même dans les entrailles avec des noms comme « el kebda »(le foie). Si on tenait à célébrer un organe, il vaudrait mieux que ce soit le cœur, le siège de l'amour ou bien le cerveau, le foyer de l'intelligence ? Ce serait plus élégant. Le comble de cette médiocrité c'est la rue « kaâ el mezouid ». Mais qu'est-ce que cela veut dire ?! Cela n'a absolument aucun sens. Quand on évoque quelque chose du passé, il faut qu'il en ait un, rappelant une pratique ancienne ou renvoyant à un événement historique particulier par exemple. Au-delà du fait qu'il soit insignifiant, ce nom est à la limite de la trivialité. Le déprimant c'est que cette rue se trouve à proximité de deux lycées, technique et l'ex Bab Laâlouj, et du ministère de l'Education et de la Formation. Nous rappelons à messieurs les responsables que nous avons évolué et que nous ne sommes plus incultes comme l'étaient nos aïeuls, et que les noms des rues doivent donc suivre cette évolution, et rassurez-vous, vous n'avez pas à demander un jugement au tribunal pour pouvoir procéder à la modification, les noms ne sont pas immuables surtout lorsqu'ils sont médiocres. Fonction esthétique et éducative du nom Ces noms sont l'héritage de l'époque coloniale et beylicale, ils gardent la nostalgie de la misère, de la discrimination, de l'analphabétisme et de l'obscurantisme. On ne comprend pas pourquoi on en a supprimé quelques uns tels que Ferry ville ou Gambetta et conservé d'autres. La municipalité doit bouger et changer ces noms, on a besoin de sentir qu'on vit réellement au troisième millénaire. Son comportement dénote une insouciance inquiétante à l'endroit de tout ce qui se rapporte à la valeur du nom que porte une rue, il est considéré par elle comme un simple repère, il a une fonction d'identification, rien de plus. Non messieurs les responsables ! Les noms des rues font partie intégrante de l'esthétique de la ville et assurent une fonction éducative. Un nom d'un savant ou d'un poète pousse à se renseigner sur la personne et son œuvre, invite à réfléchir. Un nom d'un ancien métier comme celui des tanneurs par exemple nous replonge dans l'histoire, il permet au passé de vivre dans le présent. A ce propos, on loue l'effort de TRANSTU qui a donné de jolis noms aux onze stations de El Mourouj comme, par exemple, Nesrine, Montazah ou bien encore Tahar Haddad, un intellectuel et militant de notre histoire. Cela ne relève pas du génie, mais tout simplement de la délicatesse d'esprit, ce qui manque visiblement à certains qui ont donné des numéros aux rues et aux quartiers et nous ont livré une série de Mourouj et de Ezzouhour, et ce ne sont pourtant pas les noms des fleurs qui manquent. Ils ont fait de nos villes des casernes s'identifiant par les mêmes noms, dépourvues de toute originalité, de toute personnalité, ne différant les unes des autres que par de simples numéros. Il y a un autre comportement qui est vraiment à déplorer, c'est celui de certains commerçants donnant des noms étrangers à leurs établissements comme Bora Bora, Miami ou Khan El Khalili. Cela dénote une négligence et une sous-estimation de notre patrimoine national qui regorge de noms méritant la commémoration et l'éternité. Enfin, il existe des noms qu'on trouve partout dans nos villes, alors qu'on en oublie d'autres qui ont offert de grands services à la Tunisie. On cite à titre d'exemple notre grand champion Gammoudi ou bien encore Mellouli, pourquoi ne donne-t-on pas leurs noms à certaines de nos rues ? Ce serait un signe de reconnaissance. Un nom d'une rue participe à l'esthétique de l'espace et permet de cultiver l'intelligence et le goût du citoyen, donc égayons nos villes par de jolis noms et faisons-en une galerie d'art et de savoir.