Dans un temps pas très loin, la notion de mariage, avait un caractère, comme qui dirait, sacré. Quand on parlait à l'époque d'union durable, d'un engagement à vie ce n'était pas un discours en l'air. Les filles ne quittant pratiquement jamais le domicile paternel, elles n'étaient repérées par les futures belles mères à l'affût que lors d'une virée du côté du bain maure ou une discrète présence à une cérémonie de mariage où elles prenaient place bien sagement dans le coin le plus éloigné du tumulte, en dehors des feux de la rampe et chaperonnées par la mère, la tante et sur instructions fermes du paternel sous le regard inquisiteur du benjamin âgé de six ans jouant à l'authentique détective privé en herbe à l'occasion !
Que de réunions de familles, de conciliabules, d'enquêtes sur les origines du postulant, ses ascendants (et l'arbre généalogique en entier d'être pratiquement passé en revue, décortiqué). La décision définitive revenant au collège des dignitaires de la famille, l'intéressée n'ayant point droit au chapitre. Est-ce à dire que ce mode d'alliance courait à l'échec annoncé, capotait invariablement ? Que non, le calme plat de l'unique palais de justice à l'époque (driba) contrastait étrangement avec l'animation incessante de la médina tout autour ! Point de problèmes, de discordes...de divorces ; les malentendus étaient circoncris en familles et ne prenaient que très rarement des tournures irréversibles.
Autres temps, autres mœurs A quoi assistons nous de nos jours ? La jeune fille se fiance un nombre incalculable de fois ; périodiquement elle se pointe à ses géniteurs en compagnie d'un heureux élu, présentant bien, bon chic bon genre, et qu'elle a choisi elle même : camarade à la fac, collègue au travail, frère de la copine intime etc. Les réponses des parents sont immuables telles que : « si tu es heureuse avec lui, nous le sommes également. Ou bien, c'est ta vie et tu sais ce que tu en fais, etc ». Sans autre forme de procès, ni vérification de ses antécédents, ni investigations auprès des connaissances fiables le côtoyant de près, même pas une entrevue avec le chef du personnel de l'administration où il travaille. Le samedi d'après, et autour d'une (khobza gâteau) à 30 dinars à base de cacahuètes avec bien en évidence un attendrissant : « hereu fiancail » et fièrement exhibée, les parents les plus proches, les voisins les plus médisants, histoire de couper court aux commérages, donc tout ce beau monde officialise l'expéditive union en récitant la Fetiha. Point d'étrennes en or, un collier, un bracelet voire une simple bague 9 carats.
Une agence de belles mères à louer ! La future belle mère, ou celle prétendant l'être, de claironner à la ronde avoir fait le tour des bijouteries les plus huppées de la capitale sans dénicher un présent fin, de valeur, digne de la beauté éclatante de sa dorénavant adorée fille, et qu'en désespoir de cause elle ferait incessamment un saut à Dubaï pour ramener à sa chère bru une parure sertie de diamants pour les sorties en soirées et un assortiment de bagues pour le quotidien. Et tous d'être accrochés à ses paroles, gobant ses sornettes comme du petit lait et se demandant ce qu'ils pourraient bien lui demander de leur ramener des Emirats à leur tour. Tout juste en revanche, un rachitique bouquet de fleurs sur le chemin de retour et ayant vu sûrement des jours meilleurs ! Le supposé frère cadet se chargeant d'immortaliser la cérémonie avec un appareil photo d'avant guerre au flash récalcitrant, capricieux. Et le beau parti d'être désormais considéré comme membre à part entière de la famille, prenant ses aises, ramenant tard la fiancée chez elle et à l'occasion y passant la nuit. Deux mois après, et nous sommes larges, une nouvelle « khobza gâteau », re-Fetiha, le précédant prétendant ayant mystérieusement disparu de la circulation après avoir soulagé la dulcinée de ce qu'elle a de plus cher. Et le cérémonial de se répéter de façon cyclique au grand bonheur du pâtissier du coin. Jusqu'au jour où, oubliant d'être déjà passée, la « première mère » revient à la charge avec un énième postulant, accompagné du « même frère cadet » et répétant les mêmes intentions de se rendre à Dubaï à qui veut bien l'entendre... ! La hantise de ne pas dénicher enfin l'oiseau rare la tenaillant, l'écervelée d'accélérer la cadence des relations avec les maris potentiels qui, profitant de l'aubaine, et au fait de ses déboires antérieures, l'épinglent aisément à leur tableau de chasse, se sucrent sur son dos, puisent dans ses économies et dans celles de ses parents à défaut d'autre chose, avant de prendre la poudre d'escampette, le jeu ne les amusant plus.
A qui incombe la responsabilité de ce curieux manège ? En premier lieu à la gamine qui a imposé à son entourage un train de vie, somme toute, incompatible avec nos mœurs et traditions. Sous le sceau de l'émancipation, du libre choix du conjoint, certaines pas encore suffisamment mûres, se précipitent à se jeter dans la gueule du loup par niaiserie, inexpérience, hautement conditionnée par les feuilletons Mexico-Egyptiens,où tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Négligeant leurs études et s'amourachant du premier venu, pro en la matière, et réussissant avec sa chevelure gominée, ses compliments mielleux à les appâter, à les tomber. Les parents avec leurs attitudes renonciatrices, leur laxisme ne font que rendre la situation plus dramatique. Comment obtempérer aux caprices de la petite sans mener au préalable une enquête aussi minutieuse que rigoureuse sur tout ce qui est en rapport avec le prétendant ? Et quand bien même, comment tolérer certaines libertés avec comme seul gage une unique et orpheline Fetiha ? Incriminer ces vautours voraces à l'affût de nos filles par trop idéalistes, irréalistes aspirant à une vie à base d'amour et d'eau de rose ne rimerait à rien ! Œuvrer à les protéger, leur expliquer, leur énumérer sans relâche les périls et embûches jonchant leur itinéraire, les exhorter à faire passer leurs études avant tout autre chose ; le reste viendra de lui-même et surtout selon les normes communément établies.