Depuis qu'il existe, l'homme a toujours montré qu'il est un être à double tendances : l'une s'oriente vers le travail, l'autre vers le plaisir. La danse, le carnaval, le folklore des tribus primitives en sont la parfaite illustration. Cette bipolarité comportementale il la partage avec son partenaire dans ce monde, l'animal. Le besoin de s'amuser pour cet être instinctif prouve que ce comportement est tout à fait naturel. Il s'agit là d'une nécessité dont l'homme ne peut se passer. Elle est le garant de sa pondération et de son bien-être, en ce sens que son rendement au travail ne peut être productif s'il n'est pas satisfait, s'il n'est pas apaisé : le divertissement c'est son arme indispensable dans sa lutte éternelle contre le stress généré par la besogne épuisante qui lui est imposée par les conditions très dures de la nouvelle vie baptisée modernité.
A voir l'ambiance dans laquelle nous évoluons, nous envions parfois les animaux tellement ils profitent de la vie, ils n'ont pas nos soucis. Quand ils sont rassasiés, rien ne les empêche de s'amuser, vous les voyez courir et grimacer, grands et petits, ceux-là avec ceux-ci, ils n'ont pas de complexes ni d'obstacles leur défendant de se défouler. Contrairement à nous, les êtres " sages " qui voyons des écueils partout, il y en a ceux qui nous sont imposés et ceux qu'on s'est érigés. Pour ces derniers, on ne peut s'en prendre à personne, c'est un choix personnel qu'on doit assumer, abstraction faite des raisons qui l'ont dicté. Pour ce qui est des autres, ceux que nous acceptons bon gré mal gré, on ne peut qu'en dénoncer les auteurs, les artisans de nos malheurs.
Une ambiance terne Nous éprouvons un grand besoin pour le plaisir après les moments de labeur, en dehors des heures de travail, c'est-à-dire les soirs de tous les jours de la semaine et en particulier le week-end. Cet espace temps négligeable comparé à celui qu'on passe au travail représente une bulle d'oxygène pour nous, cet air pur nous est vital pour éviter l'asphyxie. Malheureusement, cette quête n'est pas vraiment satisfaite, car nos villes ne nous offrent pas ce dont on a besoin comme plaisirs. La plupart d'entre elles sont pendant les jours de la semaine comme des dortoirs lugubres, et le week-end, elles se détendent un peu le visage, estompant légèrement la crispation et le renfrognement habituels faisant croire à un sourire qui est en vérité à apparenter à une grimace dénotant la gêne, elles nous donnent l'impression qu'elles agissent à contre-cœur en nous concédant ces quelques moments de détente. L'exemple de la capitale, la ville la plus animée nous éclaire et nous édifie sur ce plan. Elle commence à se changer en enfilant sa robe de chambre à partir de huit heures, deux heures après la sortie des écoles et des bureaux. Les cafés modernes ne sont pas meilleurs que les cafés maures, puisque eux aussi sont morts à partir de cette heure ; ils ne sont animés que par les cris des serveurs passant les commandes des clients et le bruit des tasses et des cuillers sur le comptoir. Le tintamarre de la musique des clips qui s'ajoute à ce brouhaha rend l'endroit insupportable, il faut crier pour se faire entendre. En dépit de cette apparence de modernité, nos cafés n'ont pas changé, ils sont toujours dépourvus de vie, il n'y a que le décor qui s'est ajouté à ce qui existait déjà. Et là il ne faut pas remonter loin dans l'histoire, car ils étaient meilleurs avec les conteurs(daoui). La vocation des cafés des temps modernes reste la même : offrir des consommations, l'animation est du ressort des clients. Ils n'ont qu'à venir en groupes s'ils veulent s'amuser, et le mieux serait de se faire accompagner d'un pitre. Quand on paye un dinar pour le café et deux à trois dinars le jus, on a droit normalement à un spectacle, ce doit être la contre partie de ces prix excessifs. Au lieu de cela, nos cafetiers nous offrent le décor.
Le prix des loisirs Néanmoins, si vous tenez à ce que votre soirée soit bien animée, on peut vous donner d'autres adresses. Vous avez tout d'abord les cafés chantants, mais c'est seulement pour le mois du ramadhan. Là, on vous propose une musique tapageuse, des voix rouillées et des danses hystériques contre des tarifs sympathiques de l'ordre de 25 dinars en moyenne. On vous présente des chanteurs et des danseuses sans réputation ni talent comme étant des stars nageant dans le ciel de l'art et le dominant. Cette même ambiance les bowlings se chargent de vous l'assurer pour le reste de l'année et avec des prix plus cléments : 7 dinars pour un morceau de gâteau et une boisson, une consommation obligatoire en guise de droit d'entrée. Si vous voulez vous régaler davantage, il va falloir que vous payiez plus, l'adresse c'est les quelques cabarets et les bars restaurants qui leur empruntent l'allure. Ici, l'ambiance est plus gaie et la soirée sensuelle grâce à l'effet enivrant de l'alcool. Cet état nous occulte les défectuosités des " artistes " et nous épargne la concentration épuisante et ennuyeuse, on les entend sans les écouter, on chante et on danse avec eux, ainsi on n'est pas importuné et notre plaisir est garanti. Il existe une autre adresse, c'est la plus coûteuse et celle dont l'accession est la plus difficile. Il s'agit des boîtes de nuit. Dans ces endroits, l'admission est soumise à des conditions strictes comme au paradis, seulement ceux qui vous accueillent n'ont rien à voir avec des anges. Ils vous jugent à l'enveloppe et sur l'étiquette, ce qui veut dire qu'en plus de l'argent, vous devez satisfaire à d'autres exigences qui sont laissées à la discrétion de ces gangsters qui font la loi, elles sont tributaires de leur bon vouloir et de leur humeur. Ce pouvoir discrétionnaire dont ils disposent sur ces lieux est toutefois atténué par les accointances, si vous avez des relations avec le patron ou bien recommandé par un " collègue " du gang, on vous laisse entrer. Une fois à l'intérieur, ne croyez pas que vous êtes à l'éden, ce paradis est payant et ses prix sont exorbitants. Les lois restrictives Donc, voilà ce que vous offrent nos villes la nuit, ce sont ses principales activités nocturnes. Les manifestations culturelles ont lieu d'une manière épisodique, elles interviennent, généralement, à l'occasion des fêtes. Il y a cependant exception sur ce plan pour la ville de Tunis grâce aux responsables du Théâtre Municipal qui font des efforts louables pour dynamiser la ville bien que l'effet optimum ne soit pas encore atteint. On se demande pourquoi cette centralisation de la vie culturelle, les maisons de jeunes peuvent faire office de théâtres et offrir des spectacles par les troupes exerçant en leur sein, ainsi la fête serait partout. Le premier constat que l'on fait à l'œil nu en nous promenant la nuit c'est que nos villes sont désertes. Les cafés, les principaux animateurs, ferment tôt ou manquent d'animation, ceux qui baissent les stores sont obligés de le faire, en l'absence de la clientèle comme c'est le cas des cafetiers de l'avenue Bourguiba qui ne dépassent pas dans les meilleurs des cas les onze heures du soir, on parle bien sûr de la saison hivernale. Les autres endroits de loisirs très peu variés et limités en nombre coûtent très cher, n'offrent pas de vrais spectacles et ne permettent donc pas une bonne détente. A la difficulté matérielle et l'absence de la bonne ambiance s'ajoute le problème du transport, le trafic commence à baisser à partir de 20h30 : pour le métro les voyages sont toutes les quarante minutes et ce jusqu'à 23h, pour le bus, il y en a un toutes les heures jusqu'à 24h. Voilà une autre raison qui n'encourage pas les gens à sortir le soir, tout le monde n'a pas la voiture. Il n'y a pas que les moyens de transport qui subissent la loi des restrictions, les bars le sont aussi, ils doivent fermer à 20h. Ces limitations de temps sont dictées par l'intérêt du citoyen : comme on est en hiver, on a peur pour sa santé, il y a un risque qu'il attrape la grippe surtout que le virus fait ravage ces jours-ci.
La privation Le résultat de cette philosophie c'est que les gens sont bien au chaud dans le café du quartier ou bien cloîtrés chez eux devant leur poste envoûtant en train de suivre un feuilleton ou de regarder une variété, les plus romantiques et les plus stressés sont autour d'une table dégustant leur boisson magique, ils sont tous ensorcelés par l'originalité de cette vie et son rythme soutenu. Ils ne sont pas encore remis de leur évanouissement, de leurs méditations qu'ils sont plongés dans la nouvelle journée. Après en avoir chassé l'ombre pendant la soirée, nous voilà entre ses griffes avant même qu'elle ne soit là, dans les rêves, on veut dire les cauchemars, c'est là qu'elle commence à se profiler. En réalité, le lendemain débute aussitôt la journée écoulée, c'est comme s'il n'y avait pas de transition entre eux, comme s'il n'y avait pas de nuit. Le Tunisien n'a pas l'opportunité d'évacuer le stress, il l'accumule à longueur de journées, de semaines, d'années, il a à le gérer toute sa vie, cela expliquerait en partie son humeur acariâtre, son attitude tendue, et donc sa violence verbale et physique. Sa vie est une continuité de journées, c'est-à-dire de labeur, les soirées ne sont pas conçues pour lui, il doit rentrer tôt pour être en forme demain et laisser les taxis et les agents de police animer la circulation pour donner une impression de vie à la ville agonisante, il ne faut pas oublier qu'on est un pays touristique et que notre capitale est l'une des sirènes de la Méditerranée. Et pourtant, c'est une ville morne. " Tunis by night " ; jamais elle n'a mérité autant cette appellation.