Alors que les salles de cinéma disparaissent du paysage des villes tunisiennes, les unes après les autres et que l'installation pour l'exercice de certaines professions hautement utiles est réglementée, comme l'exercice de la médecine et de la pharmacie, les marchands de fruits secs, de beignets, des gargotes de nouveaux types spécialisés dans les pâtés et soufflets traditionnels dits ''mlawi'' et ''mtabbaga'' des semblants de cafétérias, des petits salons de coiffure et plusieurs autres vieux commerces et activités qu'on croyait condamnés par le progrès, prolifèrent, de nouveau, un peu partout à Tunis et sa banlieue proche, dans les quartiers populaires, comme dans les centres-villes et les nouvelles zones d'habitation modernes.
Comme l'a noté un citoyen d'un certain âge qui a requis l'anonymat, ''qu'un fonds de commerce adapté vienne à être mis en vente, à n'importe quel endroit de la ville de Tunis et en banlieue, il y a de fortes chances pour qu'à sa place, on voit surgir, dans un peu de temps, un marchand de fruits secs ou quelques commerces du genre.'' Aussi, la plus grande concentration de marchands de fruits secs, communément appelés ''hammaças'' en Tunisie, se rencontre, aujourd'hui, dans le centre-ville de Tunis, endroit huppé et convoité où l'ouverture d'un commerce quelconque coûte, pourtant, les yeux de la tête, ce qui infirme, déjà, en partie, la thèse de certains marchands de fruits secs selon laquelle le pullulement de ces petits établissements est favorisé par l'investissement faible que leur ouverture exige. A elle seule, la rue Ibn Khaldoun, en plein centre de Tunis, compte six marchands de fruits secs, trois de chaque côté. Autrefois, peu nombreux, d'aspect extrêmement modeste et confinées dans les quartiers populaires, les boutiques de ces marchands arborent, aujourd'hui, un nouveau look très ''in'' et des plus modernes, cadrant avec leur environnement modernisé. D'ailleurs, le premier commerce de fruits secs de style nouveau ayant déclenché, il y a une quinzaine d'années, cette occupation en règle du centre-ville de Tunis, a été ouvert, à la rue Ibn Khaldoun. Un même mouvement semble s'amorcer chez les traditionnels marchands de beignets qui, refilant à leur tour l'habit de la modernité, commencent à se multiplier dans ce même centre-ville de Tunis et ailleurs, encouragés, comme leurs autres collègues, par ''une demande ascendante de la bouffe frôlant le dérèglement'', selon l'expression d'un interlocuteur.
Une folle demande en bouffe En effet, à croire cet interlocuteur, ces nouveaux vieux commerces sont venus, tout simplement, rattraper une course effrénée pour l'exploitation de cette folle demande en bouffe, partie, il y a une vingtaine d'années, et qui se poursuit sans relâche, mettant à contribution tous les produits disponibles, locaux et importés, anciens et nouveaux, traditionnels et modernes. Justement, excitée par des perspectives alléchantes de ce côté, une compétition acharnée s'est emparée, depuis cette époque, du secteur de la restauration conventionnelle et rapide, aboutissant à la prolifération actuelle des établissements de bouffe de toutes sortes, restaurants, pizzerias, cafés, pâtisseries, « spaghetteries », « sandwicheriez », fast-foods, salons de thé...qu'on voit, aujourd'hui, dans le centre-ville de Tunis et partout ailleurs.
Mouvement d'essaimage ? Cependant, certains aspects du mouvement semblent militer, en partie du moins, en faveur de la thèse imputant cette prolifération à la modestie des investissements nécessités par l'ouverture de ces petits vieux commerces, thèse défendue par un marchand de fruits secs, installé près de la gare du TGM à la ville du Kram, avec cinq autres marchands, dans des boutiques différentes, dans une place d'une centaine de mètres carrés. Dans cette ville du Kram et celle de la Goulette qui forment, les deux, une même grande agglomération habitée, en majorité, par des gens de la classe moyenne, outre les établissements de restauration et la vente de fruits secs, on a assisté, ces derniers temps, à la multiplication des petits salons de coiffure, de commerces de détergents et autres commerces du genre ne réclamant pas de grands fonds. Le cas des petits salons de coiffure est, à cet égard, instructif. Il s'agit, le plus souvent, d'anciens jeunes apprentis qui, après avoir appris le métier, dans un salon-mère, sous la direction d'un maître- coiffeur, vont ouvrir des salons, pour leur propre compte, en sollicitant des petits prêts auprès des tiers ou de la Banque tunisienne de solidarité, en vue de financer leur installation. Ainsi, la multiplication de ces traditionnels commerces et services de proximité serait le produit d'une sorte d'essaimage naturel qui porte les membres d'un premier essaim, une fois devenus adultes, à le quitter pour aller le perpétuer ailleurs sous la même forme ou sous une forme en apparence différente et plus développée, mais identique à la première, dans le fond. A titre de confirmation, des marchands connus de fruits secs à Tunis nous ont dit, à ce sujet, que cette activité, entre autres, a , toujours, été exercée, de pères en fils, par des gens du sud qui continuent de se la passer, en l'adaptant, sans cesse, aux circonstances, et en trouvant, en cela , une aide précieuse dans leur ardeur au travail, leur esprit économe et une sobriété à toute épreuve.
Le revers de la médaille Pour eux, à l'image de la restauration, cette prolifération exprime un mouvement naturel d'extension et d'expansion propre à toutes les entreprises humaines, pourvu que les conditions propices de compétition et d'émulation soient assurées. Toutefois, quelques uns de nos interlocuteurs plus avertis, jugent, moins positivement, ce mouvement, affirmant que les traditions familiales et l'esprit de compétition primitif qui l'animent et le supportent, incitent, toujours, à imiter et à reproduire, plutôt qu'à créer et à innover, apportant le développement et non pas l'enrichissement et la diversification.